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De leur côté, les journaux montagnards et socialistes publiaient la protestation suivante, adressée à l'Assemblée nationale :

« Les soussignés,

>> Considérant que le droit de réunion et d'association est un droit naturel, antérieur et supérieur à toute loi positive, et reconnu d'ailleurs par la Constitution;

» Considérant que la loi proposée par le ministère du président n'a point pour objet de réglementer l'exercice de ce droit, ainsi que le prescrit la Constitution, mais qu'elle le supprime d'une manière absolue, et dépouille ainsi le peuple souverain de sa plus importante prérogative politique;

» Considérant que le ministère, par le seul fait de la présentation de cette loi, attaque la Constitution et les droits naturels de l'homme,

» Protestent de toute leur énergie et demandent à l'Assemblée de mettre en accusation les ministres qui osent tenter ce coup d'État.

« Les Rédacteurs de la Révolution démocratique et sociale : Ch. DELESCLUZE, rédacteur en chef; Amable LEMAITRE, GOUMAIN-Cornille, Désiré PILETTE, Ch. MARTIN, H. DELESCLUZE, H. CASTILLE, A. CARRÉ, A. DALICAN, administrateur; Henri BIGI, correcteur. » Les rédacteurs du Peuple : DARIMON, secrétaire de la rédaction; LANGLOIS, FAUre, Vasbenter, Duchêne, MadIER DE MONTJAU aîné, avocat du journal le Peuple.

» Les rédacteurs de la Réforme : RIBEYROLLES, rédacteur en chef; V. LÉOUTBE, directeur-gérant ; P. Coq, Alexis LAGARDE, CAYLA. » Les rédacteurs de la République : Eugène BARESTE, rédacteur en chef ; HERVÉ, CHATARD.

Le rédacteur du Travail affranchi : Toussenel.

>> Les présidents et les membres des clubs: Teissié du Morey, BerNARD, GAMET, E. MADIER DE MONTJAU jeune, BOCQUET aîné, A. D'ALTON-Shée. »

Il y avait entre cette pièce, sorte de parodie de la célèbre protestation des journalistes en 1830, et la proposition de mise en accusation déposée par M. Ledru-Rollin, une connexité évidente. On espérait déterminer un conflit matériel. Déjà même le prétexte était trouvé. Depuis quelques jours, des agitateurs mêlés à quelques étudiants égarés se portaient en nombre au cours de M. Lerminier, au Collège de France. L'éminent professeur était accablé d'injures grossières, et ses leçons étaient rendues impos. sibles. Le 27 janvier, jour de l'apparition simultanée des deux documents qu'on vient de lire, les perturbateurs avaient résolu

d'essayer au Collège de France le commencement d'une émeute. Mais l'autorité veillait. Dès le matin, douze cents hommes de troupe étaient concentrés dans les bâtiments du Collège de France et de l'hôtel de Cluny, sous les ordres du général Perrot. De fortes patrouilles de cavalerie sillonnaient la place Cambrai et la rue Saint-Jacques. Quelques malveillants tentèrent d'interrompre la leçon, mais ils furent expulsés, et le public sérieux put entendre continuer la leçon jusqu'au bout. L'ordre fut garanti sans collision, et la liberté du professorat fut assurée, sans autres suites que quelques arrestations des plus turbulents meneurs.

Les perturbateurs ne pouvant troubler l'ordre public sur un point si bien gardé, se dirigèrent vers la Chambre. Du Collége de France, la colonne, grossie dans son trajet d'un certain nombre de curieux et de clubistes, se porta vers l'entrée du pont de la Concorde, avec le projet de remettre au président de l'Assemblée une protestation contre la réintégration de M. Lherminier. Le rassemblement fut arrêté là par un groupe d'agents placés sous les ordres de M. Cauvin, commandant du palais, et de M. Yon, commissaire de police. Trois représentants, MM. Martin-Bernard, Brives et Gent, intervinrent alors, et offrirent aux agents de la force publique leur médiation, qui fut acceptée. M. Martin-Bernard adressa à la colonne une allocution pleine de modération. Après avoir reçu de la main des délégués la protestation, et avoir promis de la déposer immédiatement sur le bureau de la Chambre, il les invita à se séparer sans tumulte. En quittant la place de la Concorde, le rassemblement se rendit aux bureaux de la Démocratie pacifique, rue de Beaune, pour remettre aux rédacteurs une protestation semblable à celle qu'ils avaient adressée à l'Assemblée. Dans le trajet, et dans la cour même. du journal, des cris séditieux furent poussés; des gardiens de Paris ayant voulu intervenir furent insultés, et l'un d'eux gravement maltraité. Alors arrivèrent de tous les points des troupes qui cernèrent la rue de Beaune, et plusieurs arrestations purent être opérées sans résistance.

Ces actes de vigueur et un déploiement intelligent de forces aux abords de l'Assemblée, suffirent à réprimer l'émeute nais

sante.

En même temps, la démagogie essayait d'entraîner dans son action un corps armé qu'illustraient les services rendus dans la guerre sociale de 1848. Un arrêté venait d'être pris par le président de la République, qui réduisait à douze les vingt-cinq bataillons de la garde mobile. Cet arrêté avait été pris en vue de concilier les intérêts de l'armée et ceux de la garde mobile. Il était impossible de laisser des officiers en possession de grades supérieurs à ceux de leurs confrères de l'armée. Le bon ordre et la justice exigeaient impérieusement qu'un corps ne pût pas jouir d'une solde bien supérieure à celle des troupes de ligne. La démagogie, qui, jusqu'alors, n'avait eu pour la garde mobile que de haineuses rancunes, vit dans cet arrêté un moyen d'exploiter les mécontentements de jeunes gens, jusqu'alors privilégiés, que la justice faisait rentrer dans le droit commun. On s'aboucha avec quelques-uns des chefs; les passions furent habilement exploitées, et la démagogie put croire qu'elle avait son armée.

Informé du complot qui se préparait, M. le général Changarnier donna l'ordre à tous les chefs de bataillon de la garde mobile de se transporter à l'état-major dès que ces officiers supérieurs furent réunis, le général en chef leur déclara qu'il venait d'apprendre avec la plus grande surprise et la plus profonde douleur, que les officiers de la garde mobile cherchaient à entraîner leurs soldats dans un complot contre la République ; que des per missions en grand nombre avaient été accordées : qu'on devait se réunir au carré Marigny pour se porter de là sur le palais de l'Élysée-National et à l'Assemblée; qu'il fallait que force restât à la loi, et que quatre officiers supérieurs, désignés comme les meneurs, allaient se rendre à l'Abbaye. M. Aladenize, l'un des officiers désignés, mécontent de tous les régimes et autrefois compromis dans l'affaire de Boulogne, prit alors la parole. Perdant toute mesure et oubliant toute convenance, il injuria le général, et alla jusqu'à menacer le président de la République lui-même. Sans se troubler, et avec le plus grand calme, le général en chef tira un cordon de sonnette et ordonna que l'officier de service fût introduit. Celui-ci arriva immédiatement, suivi de vingt-cinq gendarmes. « Faites votre devoir, dit le général, et que M. Aladenize » soit immédiatement conduit à l'Abbaye.

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Les trois autres officiers demandèrent alors à s'expliquer; ils le firent en termes respectueux. « Je me fie à votre parole et à vo>>tre honneur, dit alors le général, et je lève, en ce qui vous » concerne, l'ordre donné par moi, qui n'était qu'une mesure » disciplinaire; retournez à vos casernes et prêchez l'ordre et la » soumission aux lois. Rappelez-vous surtout que je suis entouré » de troupes dévouées, et que ceux qui déplaceront les pavés de » la capitale ne les replaceront pas. »

Ce n'était pas seulement contre les factions de la place publique que le Gouvernement déployait cette salutaire énergie. Un réquisitoire du procureur-général demandait à l'Assemblée l'autorisation de poursuivre M. Proudhon, représentant du peuple, comme auteur de l'article insultant pour le président de la République, qui avait démasqué la conspiration démagogique. M. Proudhon monta immédiatement à la tribune, et déclara qu'en écrivant l'article incriminé, il n'avait voulu que soulever dans le pays la question de la reponsabilité du président.

Le lendemain, 28 janvier, le conseil des ministres se réunissait à l'Élysée-National, et, sur le compte que les ministres lui rendaient des incidents de la veille, le président de la République déclarait qu'il n'y voyait aucun motif pour modifier sa politique, et que le Cabinet pouvait compter sur son appui ferme et persévérant.

Enfin était arrivé ce jour désigné par les journaux démagogiques comme le jour de la lutte suprême entre l'Assemblée et le président. Ce n'était pas seulement au sein de la Constituante que le Gouvernement devait être attaqué. Il le savait et se tenait sur ses gardes. A la suite de la scène qui s'était terminée par l'arrestation du chef de bataillon Aladenize, quatre autres commandants de la garde mobile avaient été, on se le rappelle, rendus à la liberté. Ces officiers, MM. Duseigneur, Arrighi, Bassac et Camuset, au lieu de donner, comme ils venaient de le promettre, l'exemple de l'obéissance et de la discipline, s'étaient rendus dans un établissement public, et, de là, ils avaient envoyé des ordres aux officiers subalternes pour faire mettre à exécation le complot. Mais ils avaient été suivis, et la gravité de leurs nouvelles démarches motiva un ordre immédiat d'arrestation. Ils furent conduits à l'Ab

baye. A cette nouvelle, cent cinquante gardes mobiles, qui prenaient, sans titre, la dénomination de délégués, se rendirent à l'Élysée-National, et demandèrent à voir le président de la Répu blique. Ils élévaient la prétention d'exiger l'élargissement de leurs olliciers. Le président de la République refusa de les recevoir : mais le général Changarnier descendit pour leur parler. Dans une allocution pleine d'une franchise toute cordiale, le général en chef leur expliqua qu'un déplorable malentendu. pouvait seul exciter ces désordres; qu'il n'était point question de méconnaître leurs services et de les licencier, et que le Gouvernement n'avait songé qu'à fixer la position légale de la garde mobile.

En effet, l'arrêté du Gouvernement n'avait d'autre but que de régulariser la position de la garde mobile. Après la Révolution de Février, les engagements n'avaient été faits que pour une année. A l'expiration de cette année, dans les termes stricts de la légalité, le licenciement pouvait avoir lieu. 'Renvoyer la garde mobile, c'anrait été certainement le premier acte du parti qui voulait, en ce moment, soulever l'irritation dans ses rangs, et qui ne lui avait jamais pardonné sa conduite en juin. Telle ne pouvait être l'intention d'un Gouvernement issu du vote du 10 décembre, et qui devait se rappeler que la France entière s'était associée aux éloges décernés à la garde mobile, après ces fatales et glorieuses journées. Aussi, le Gouvernement n'avait-il fait que réorganiser la garde mobile; elle ne contenait plus que treize mille hommes; il avait réduit à douze le nombre des bataillons, au lieu de vingtquatre. Mais aucun soldat ne serait renvoyé, tous pourraient prendre place dans les nouveaux cadres. Quant à ceux qui ne souscriraient pas un nouvel engagement, ils recevraient leur paie comme un dédommagement jusqu'à la fin de leur engagement. Le Gouvernement avait anticipé sur l'époque où la réorganisation devait être nécessairement faite pour assurer ce pécule aux jeunes soldats qui sortiraient volontairement de la garde mobile. La solde de la garde mobile restait encore supérieure à celle que recevait la garde impériale sous l'empereur Napoléon. Il fallait qu'elle cessât d'être trop au-dessus de la solde des troupes de ligne. L'équité le voulait, et la raison l'indiquait. D'ailleurs, le sort des sous-officiers se trouvait amélioré de fait, puisque, comme dans

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