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» Comment donc l'armée française qui, elle, marche en communauté de sentiments avec la nation tout entière, faillirait-elle à ce devoir éminemment patriotique? >>

Ces paroles si sensées, mais qui n'avaient d'ailleurs aucun caractère officiel, servirent de texte à des interpellations adressées par M. Coralli au ministère (12 février). MM. Coralli, E. Arago et Saint-Gaudens avaient vu dans le discours de M. le maréchal la déclaration formelle faite par le commandant de l'armée des Alpes que cette armée ne passerait jamais la frontière. C'était là, aux yeux des interpellateurs, alarmer la France, ôter aux étrangers l'appréhension de nos armes, détruire la sécurité à l'intérieur et paralyser l'influence française au dehors. M. Barrot n'eut pas de peine à démontrer qu'il n'y avait rien de tout cela dans le discours du maréchal, et que M. le duc d'Isly n'avait fait que constater cette incontestable vérité, que si l'ordre était assuré en France, la libre disposition de nos ressources nous donnerait, en Europe, une situation plus forte et plus grande. « Ce n'est pas » pour affaiblir l'armée des Alpes aux yeux de l'étranger, dit le » président du conseil, que nous en avons confié le commande» ment au maréchal Bugeaud ». Le général Bedeau s'associa, par quelques paroles énergiques, à la pensée du ministre.

L'Assemblée nationale vota l'ordre du jour à une grande majorité.

Aux agitations vigoureusement réprimées correspondaient, comme toujours, les tentatives théoriques d'anarchie dans le journalisme socialiste et dans les pamphlets révolutionnaires. Seulement, les philosophes de la République sociale s'abandonnaient imprudemment à la tentation de réaliser leurs chimères. Le grand prêtre de la république icarienne, M. Cabet, avait choisi le Texas pour théâtre d'épreuve. Il avait obtenu gratuitement la concession de terrains dans la partie nord-ouest, le long de la rivière Rouge. La première avant-garde de travailleurs communistes, mal renseignée, trompée par les agents de M. Cabet sur les ressources qui l'attendaient, avait été décimée par les fièvres, les fatigues et la misère. La seconde avait eu le même sort, et bientôt les hôpitaux de la Nouvelle-Orléans recevaient les débris de la colonie ica

rienne. Des plaintes nombreuses s'élevaient contre l'imprévoyance et même contre la loyauté des chefs de l'entreprise. Le communisme pratique allait bientôt descendre jusqu'à la police correctionnelle. Ainsi étaient renouvelées, mais avec des victimes plus nombreuses, les folies phalanstériennes de Clairvaux et de Rambouillet.

Un autre chef de secte, jusqu'alors triomphant, parce qu'il s'était prudemment retranché dans la critique, toujours [si facile, M. Proudhon, allait échouer contre l'écueil de tous les réformateurs socialistes, la mise en pratique de leurs projets de régé nération. Le philosophe de la négation et de la contradiction arrivait à son tour à l'affirmation, et réalisait la Banque du peuple (14 février). Une déclaration emphatique placée par M. Proudhon à la tête des statuts de la société nouvelle, semblait, au premier coup d'œil, porter l'empreinte d'une conviction sérieuse. Le sophiste hégélien, tour à tour protestant, papiste, panthéiste, monarchique, aristocrate, babouviste, communiste, abandonnait, cette fois, les divers projets économiques et financiers qui l'avaient fait si célèbre, l'organisation du crédit et de la circulation, la banqueroute partielle autorisée par l'État, l'emprunt national forcé. C'était une dernière épreuve, à l'entendre, une épreuve solennelle, définitive que cette Banque du peuple. C'était même le socialisme tout entier, et le succès de l'une ferait juger l'autre. L'écrivain athée invoquait hautement la Divinité, l'Évangile et la Constitution.

« Je fais serment devant Dieu et devant les hommes, sur l'Évangile et sur la Constitution, que je n'ai jamais eu ni professé d'autres principes de réforme sociale que ceux relatés dans le présent acte, et que je ne demande rien de plus, rien de moins que la libre et pacifique application de ces principes et de leurs conséquences logiques, légales et légitimes.

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» Je déclare que, dans ma pensée la plus intime, ces principes, avec les conséquences qui en découlent, sont tout le socialisme, et que, hors de là, il n'est qu'utopie et chimère.

» Je jure que, dans ces principes, et dans toute la doctrine à laquelle ils servent de base, il ne se rencontre rien, absolument rien de contraire à la famille, à la liberté, à l'ordre public.

» La Banque du Peuple n'est que la formule financière, la traduction en langage économique, du principe de la démocratie moderne, la souveraineté du peuple, et à la devise républicaine: Liberté, Égalité, Fraternité. »

Si le créateur de la Banque du peuple reconnaissait, par l'insuccès de sa tentative, qu'il s'était trompé, il se retirerait de l'arène révolutionnaire, au risque de mériter le mépris des honnêtes gens, s'il continuait à agiter les esprits par de fausses espérances.

« Ceci est mon testament de vie et de mort. A celui-là seul qui pourrait mentir en mourant, je permets d'en soupçonner la sincérité.

» Si je me suis trompé, la raison publique aura bientôt fait justice de mes théories, il ne me restera qu'à disparaître de l'arène révolutionnaire, après avoir demandé pardon à la société et à mes frères du trouble que j'aurai jeté dans leurs âmes, et dont je suis, après tout, la première victime.

» Que si, après ce démenti de la raison générale et de l'expérience, je devais chercher un jour, par d'autres moyens, par des suggestions nouvelles, à agiter encore les esprits et entretenir de fausses espérances, j'appellerais sur moi, dès maintenant, le mépris des honnêtes gens et la malédiction du genre humain. »

Ainsi, M. Proudhon se jugeait lui-même à l'avance. Malgré ces déclarations, si sincères en apparence, la Banque du peuple devait tomber bientôt sous l'indifférence et sous la risée publique, et, cependant, le sectaire continuerait à détruire.

Nous avons dit ailleurs sur quelles bases reposait cette conception si peu viable de la Banque du peuple : gratuité essentielle du crédit et de l'échange, ayant pour objet la circulation des valeurs; pour moyen le consentement réciproque des producteurs et des consommateurs; pas de capital, si ce n'est et jusqu'au moment où la France aurait adhéré tout entière, un capital provisoire de cinq millions de francs. Car il fallait, pour le moment, se conformer aux usages établis et aux prescriptions de la loi, et solliciter plus efficacement l'adhésion des citoyens. On stipulait que ce capital serait remboursé, si la société pouvait fonctionner avec un avoir social dégagé du capital de fondation; mais on ajoutait aussi qu'il pouvait être augmenté par une nouvelle émission d'actions, ce qui ne prouvait pas une grande confiance dans la possibilité d'amortissement. Ainsi, l'adversaire héroïque du capital commençait, en pratique, par en reconnaître la nécessité. Mais M. Proudhon ne s'adressait pas à ce capital égoïste qui prétend à l'inté rêt. Il divisait son capital d'émission en actions de cinq francs,

habitude du dénigrement et de la morsure, le vide dans la détraction. M. Considérant rendait aux Allemands, à Rousseau, à SaintSimon, à Fourrier tous les emprunts qui constituaient le bagage philosophique de M. Proudhon, et, ces restitutions faites, il ne voyait plus dans le prétendu philosophe qu'un zéro boursouflé : Erostrate du socialisme, qui n'avait allumé l'insurrection intellectuelle que pour fonder une banque en commandite!

A ces aménités, M. Proudhon répondait en homme qui sait manier l'injure. Esprit hébété par les vapeurs méphitiques du phalanstère, fondateur de journaux devenus le déversoir de toutes les folies et impuretés; élève du grand mystificateur des temps modernes, Fourrier; chef d'un commerce de rogatons, tel était, pour M. Proudhon, le socialiste phalanstérien. A ses yeux, M. Victor Considérant était mort au socialisme, et ce qui jargonnait aujourd'hui n'était plus qu'une ombre, une âme de trépassé, qui n'avait plus besoin que d'un De profundis et d'une messe de quinze sous.

Enfin, un journal représentant le parti montagnard socialiste, la Révolution démocratique et sociale, tançait les deux sectaires, et prétendait, sans s'aventurer à formuler un système, qu'il pouvait y avoir autre chose dans le socialisme que le phalanstère ou la Banque du peuple.

Tel était l'accord qui régnait entre ces ennemis divers de la société, réunis seulement pour détruire, incapables de fonder. Jaloux les uns des autres lorsqu'il ne s'agissait que d'achalandage et de commerce, ils savaient oublier un moment leurs querelles dans toutes les occasions où leurs efforts communs pouvaient menacer et atteindre la prospérité sociale.

L'anniversaire du 24 février 1848 fut une de ces occasions. L'Assemblée nationale eut le bon goût de célébrer cette commémoration par un service funèbre. « C'est un enterrement que vous faites à la République,» s'était écrié un représentant quaud l'Assemblée avait été saisie d'une loi relative à la solennité. Il était plus juste de dire qu'une guerre civile, quel qu'en ait été le résultat politique, ne peut être considérée comme un souvenir joyeux. La population parisienne s'associa à cette pensée. Vainement plusieurs organes de la République sociale l'avaient-ils con

viée à suppléer aux illuminations publiques par des illuminations spontanées personne ne répondit à cet appel. L'anniversaire fut grave et calme. On avait pu craindre un instant qu'on n'en fit un prétexte à une prétendue manifestation populaire. Mais les journaux qui affichaient la prétention de conseiller et de mener le peuple, contremandèrent ce mouvement, qui n'avait aucune chance de succès. L'agitation de la rue fut remplacée par l'agitation des banquets tradition heureusement empruntée à l'ancienne opposition constitutionnelle.

Dans ces réunions commémoratives, les diverses fractions de la démagogie se montrèrent avec leurs caractères différents. Ici, les uns, avec MM. Buchez et Ducoux, se contentaient de porter un toast à la République démocratique une et indivisible; là, M. Félix Pyat prêchait l'insurrection aux porte-blouses, canailles et manants. Mais ces solennités devaient fournir un nouvel épisode à l'histoire des factions en France. Un traité d'alliance y fut signé entre les chefs de partis, jusque-là profondément séparés par leurs doctrines. Timides et hardis, républicains du passé et de l'avenir, montagnards et socialistes s'unirent définitivement dans un banquet où M. Ledru Rollin fit les premières avances sérieuses au socialisme. Avec l'ardeur particulière aux néophytes, M. Ledru Rollin confessa hautement le dogme nouveau pour lui de l'organisation du travail. Le premier pas une fois fait dans cette voie, le montagnard converti donna les gages les plus complets à l'anarchie. Les insurgés de juin transportés devinrent, dans le discours qui scella la fusion des deux partis « des victimes saintes souffrant pour la cause de la France et de l'humanité. »

Tel fut à Paris l'anniversaire d'une révolution. Dans les départements quelques désordres se manifestèrent. A Clamecy, cinq ou six cents hommes parcoururent la ville, tambours en tête et drapeaux déployés, aux cris de: Vive Raspail! vive la Montagne! vive la guillotine! L'autorité du sous-préfet, du maire, du procureur de la République fut méconnue et la force publique insultée. A Toulouse, le préfet dut suspendre deux compagnies de la garde nationale qui avaient défendu le bonnet rouge. A Auch, un certain nombre de gardes nationaux, officiers en tête, parcoururent la ville en poussant des cris séditieux: la garde nationale dut

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