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l'extérieur, l'intérieur, le travail, l'impôt, le service militaire, l'instruction et l'ordre. C'est M. Félix Pyat qui rédigea ce manifeste déclamatoire et vide, dans lequel se trouvaient toutes les théories socialistes: le droit au travail, le droit au crédit, l'État banquier des pauvres, l'absorption des industries par l'État, l'impôt progressif, enfin toutes les autres conséquences socialistes de la Constitution, etc. C'était un mélange confus de fourriérisme, de proudhonisme, de communisme et de saines propositions d'économie politique.

Nous voulons reconnaître à tous le droit à la propriété par le droit au travail. Qu'est-ce que le droit au travail? C'est le droit au crédit. Et qu'est-ce que le droit au crédit? C'est le droit au capital, c'est-à-dire aux moyens, aux instruments de travail. L'article 13 de la Constitution a promis des institutions de crédit le crédit, c'est la mise en circulation de la richesse commune, c'est la vie même de l'Etat, et la vie collective ressemble à la vie individuelle. L'État doit, comme le cœur envoie le sang aux membres, distribuer le crédit aux citoyens qui le lui rendent par l'impôt. Il faut donc que l'État, suivant l'article 13 de la Constitution, institue, organise le crédit public; il faut que, par un bon système de banques cantonales et départementales reliées entre elles et à une banque nationale, il supplée au crédit privé qui, soit défiance, insuffisance ou malveillance, s'est retiré du corps social et l'a paralysé. Il faut qu'il fasse en grand ce que la Banque de France fait en petit avec un capital restreint, usuraire et mal garanti: il faut qu'il prête au lieu d'emprunter; il faut qu'il prête sur immeuble comme sur meuble, sur valeurs présentes comme sur produits à venir; qu'il soit enfin réel et personnel.

Il faut qu'il fasse aussi baisser l'intérêt de l'argent de plus en plus; il faut qu'il arrache l'agriculture, l'industrie et le commerce à l'exploitation féodale des hommes de banque et de bourse, aux agioteurs et aux usuriers patentés ou marrons; il faut qu'il ranime, qu'il redouble la force, la vie, l'activité de la nation, qu'il fournisse à tous ses membres, à tous les citoyens, associés ou isolés, le travail, c'est-à-dire la propriété, c'est-à-dire la liberté.

En résumé:

Suffrage universel et direct; unité de pouvoir, distinction de fonctions; l'exécutif révocable et subordonné au législatif; point de président; la liberté de la pensée, quel que soit son mode de manifestation individuel ou collectif, permanent ou périodique, par la parole ou par la presse; la liberté entière sans aucune entrave préventive ou fiscale, sans cautionnement, priviléges, censure ou autorisation; liberté absolue sans autre limite que la responsabilité; rehaussement des fonctions d'instituteur; émancipation du bas clergé; application la plus large possible de l'élection et du concours à toutes les fonctions publiques; réforme du service militaire; abolition complète des impôts qui frappent les objets de consommation de première nécessité, comme le sel et les boissons; révision de l'impôt financier et des patentes; établissement de l'impôt progressif et proportionnel sur le revenu net, immobilier et mobilier; rembour

sement des 45 centimes; exploitation, par l'État, des chemins de fer, mines, canaux, assurances, etc.; réduction des gros traitements, augmentation des petits; réforme administrative, judiciaire et pénale; abolition de la contrainte par corps; abolition de la peine de mort; amnistie; encouragement à l'agriculture et à l'industrie; enfin, droit à l'enseignement et droit au travail par le crédit et l'association.

Voilà ce que nous voulons, ce que le peuple peut avoir, s'il le veut, avec le suffrage universel qu'il a déjà, et sans fusil, sans émeutes, sans secousse, en se barricadant dans la loi, en s'armant de son vote, par la seule force du nombre et de l'union, il peut, s'il le veut, tirer de l'urne, pacifiquement et progressivement, toutes ces conséquences des trois grands principes de la révolution, c'està-dire le Gouvernement de tous par tous et pour tous, la République une et indivisible, démocratique et sociale.

Promesses irréalisables, aspirations confuses, théories mal digérées. Où la Montagne, une fois parvenue au pouvoir, prendraitelle donc l'argent nécessaire à la fondation de ses quatre mille banques, car elle en annonçait une par canton; à son budget de la guerre, car elle menaçait toute l'Europe? Qu'était-ce que cet impôt pogressif, impôt inquisitorial, confiscation en permanence? Pourquoi, lorsque M. Thiers et dix autres orateurs étaient venus en démontrer l'absurdité, reprenait-on aujourd'hui cette thèse qu'on n'avait pas osé soutenir dans le parlement? Ce n'était donc qu'un leurre aux passions populaires. Exciter par tous les moyens possibles le pauvre contre le riche, l'ouvrier contre le patron, l'homme qui a besoin du capital d'autrui contre le capitaliste, voilà la tàche glorieuse que s'était imposée le manifeste de la Montagne. Le riche, disait ce triste document, a, depuis trentequatre ans, spolié le pauvre de 13 milliards par l'effet de l'assiette de l'impôt assertion inqualifiable et dont on se gardait bien d'administrer la preuve. Haine féroce et aveugle, ignorance. profonde, c'était là tout le bagage des réformateurs.

Pour compléter ce tableau de la France électorale, il faut ajouter à ces différentes associations quelques comités bonapartistes qui avaient persisté à s'isoler du comité de la rue de Poitiers.

L'agitation électorale commença. Déjà depuis quelque temps les clubs, pour échapper aux prescriptions de la loi de 1790 et du décret du 27 juillet 1848, s'étaient transformés en réunions électorales. Ces clubs déguisés se chargèrent bien vite de justitier

par leurs violences l'insuffisante surveillance de l'autorité. « L'émeute est un devoir sous l'oppression actuelle » s'écriait un orateur. Un autre se voyait forcé de se justifier de n'avoir pas pris part à l'insurrection de Juin. « Il faut tuer tous ceux qui nous sont opposés » disait un partisan de la fraternité humaine élu à l'unanimité par la réunion. «Il faut anéantir tous les agents de la police» s'écriait un habitué de club, exhalant ainsi ses rancunes. Telle était l'attitude de ces réunions dont on voulait interdire l'entrée aux magistrats. Si la morale publique y était odieusement outragée, la morale privée n'avait pas plus à gagner à ces spectacles dont les directeurs faisaient de véritables exploitations commerciales. Trois clubistes, souvent condamnés pour délits politiques et célébrés comme des martyrs de la république sociale, vinrent continuer leur apostolat devant le tribunal de la police correctionnelle. La 6e chambre infligea à l'un d'eux une année de prison, et à deux de ses complices quatre mois de la même peine. Ces fougueux adversaires de l'exploitation de l'homme par l'homme avaient détourné le produit d'une quête faite au profit de la famille d'un insurgé de juin. Médecins sans clientèle, avocats sans cause, ces hommes ne vivaient que de contributions indirectes levées sur leur crédule auditoire, sous prétexte de droits d'entrée, de collectes, de cotisations, de quètes de toute nature. Pour dernière honte, le procès révéla que les fondateurs de ce club adressaient au ministre de l'Intérieur un rapport quotidien sur les séances, et qu'ils recevaient cinq francs par chaque communication semblable. Tels étaient les instituteurs du peuple.

M. Pyat n'en persista pas moins à renouveler le 28 avril, les interpellations de M. Ledru-Rollin et à contester au commissaire de police le droit d'assister aux réunions politiques électorales. Des désordres récents prouvaient assez la nécessité de cette surveillance à laquelle se prêtent tous les bons citoyens qui n'ont rien à cacher. Des voies de fait, des insultes grossières aux orateurs trop modérés avaient signalé quelques-unes de ces réunions : et cependant M. Pierre Leroux proposait la substitution d'un sténographe à l'assistance du commissaire de police. Il donnait à cette création originale le nom plus original encore de miroir. Toute la Montagne accusait avec des paroles outrageantes M. Léon Fau

cher, objet spécial de sa haine, de prétendues brutalités commises par les agents de la police. Aux démentis les plus explicites, au défi de traduire en justice les auteurs de ces violences, la Montagne répondait par d'indicibles injures. A ces calomnies, M. de Larochejaquelein opposa les brutalités commises par des démagogues dans une réunion qu'il présidait, et l'honorable représentant réclama, au nom même de la liberté, une surveilfance qui, bien loin d'être une cause d'ombrage, était à ses yeux une protection. M. le ministre de l'Intérieur, qui n'avait opposé aux scandaleuses interruptions et aux grossiéretés dont on l'accablait qu'une calme énergie, sut convaincre la Chambre. L'ordre du jour pur et simple fut votě, cette fois encore, à une grande majorité.

Il n'est pas dans les habitudes de la démagogie de se plier aux décisions de la majorité. Aussi le Comité démocratique socialiste, au nom des droits antérieurs et supérieurs aux lois positives, déclara-t-il que le droit de tenir une réunion électorale en dehors de toute surveillance est au-dessus des lois elle-mêmes. Partant de ce principe étrange dans une république où toute autorité procède de l'élection, les prétendus délégués du peuple annoncèrent dans un manifeste la suspension des réunions électorales démocratiques socialistes jusqu'à ce que le droit fût rendu sans entraves. Il résultait de ce document que la démagogie se considérait comme en état de légitime insurrection: si elle ajournait tout appel à la force, c'est qu'elle redoutait un échec. «Le jour n'est pas venu. Le peuple choisit son jour et ses armes. » Ceci signifiait que le vrai peuple n'était rien moins que disposé à une insurrection nouvelle.

Cependant ces excitations ne devaient pas rester sans résultat. Une certaine émotion se manifesta dans les bas-fonds de la population parisienne. Des rassemblements interceptèrent pendant quelques jours la circulation sur les boulevards, surtout aux abords de la porte Saint-Denis. Pendant quelques soirées, l'autorité ne crut pas devoir prendre des mesures énergiques qui n'auraient pas paru assez justifiées. Mais enfin la sécurité de la capitale était troublée, le commerce languissait; il fallut mettre fin à ces désordres : la loi sur les rassemblements fut affichée. Le

quartier devenu le siége de manifestations inquiétantes fut cerné et de nombreuses arrestations furent opérées sans résistance. Cette attitude vigoureuse de l'autorité suffit pour mettre fin à des troubles sans portée. Trois représentants, MM. Doutre, Jouin et Mathieu Louisy avaient eu le tort de se mêler en curieux aux rassemblements. Arrêtés comme d'autres, ils portèrent leurs plaintes devant l'Assemblée nationale. Ils se plaignirent, comme c'est l'ordinaire, de la brutalité des agents de police, et il ne manqua pas de voix sur la Montagne pour accuser la police elle-même de provoquer à l'émeute. M. le président du conseil répondit que c'était sans doute sans intention mauvaise que d'honorables représentants avaient grossi « la masse inepte de ces curieux qui, toutes les fois que la place publique est envahie par des factieux, s'empressent d'aller faire nombre au risque de donner un élément nouveau à l'emeute. » Mais n'était-il pas assez naturel que des agents, exposés pendant plusieurs heures aux huées et aux insultes de la multitude, traitassent sans trop de cérémonie ceux qui ne se retiraient pas devant les sommations légales? Une enquête fut, au reste, ordonnée par M. le ministre de l'Intérieur, et, pour éviter à l'avenir de pareils incidents, il fut résolu que si jamais des représentants du peuple se trouvaient en pareille occurrence, ils seraient conduits devant le bureau de l'Assemblée, afin que la part fût faite immédiatement à l'inviolabilité des représentants et aux exigences de la justice. M. Doutre et plusieurs de ses collègues, tout en se plaignaut de violences, avaient prodigué à M. le ministre des insultes et l'avaient hautement accusé de provocation: M. le président du conseil protesta énergiquement contre ces imputations surannées. « Peutêtre un jour, dit-il, saura-t-on par qui ces désordres ont été provoqués car il ne manque pas d'hommes qui se tiennent derrière les factieux de la rue, et qui attendent les événements, sauf à les désavouer ensuite quand ils n'ont pas tourné selon leur désir (30 avril). »

La violence appelle la violence et le désordre engendre le désordre. L'opinion publique venait d'être initiée aux incroyables révélations amenées par des perquisitions et par des arrestations récentes. Chez quelques sociétaires socialistes avaient été saisies des

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