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mis en opposition flagrante avec l'article 5 de la Constitution, qui défend à la République française de s'armer contre la liberté des peuples; il en conclut également que la République romaine n'était pas un vain fantôme, comme on s'était plu à le faire croire à l'Assemblée. En conséquence, il demanda formellement la mise en accusation du président de la République et des ministres, et une résolution formelle de l'Assemblée consacrant la reconnaissance de la République romaine. Quant à la lettre du président de la République, M. Ledru-Rollin signala seulement un fait auquel il attachait une extrême gravité. Cette lettre, dit-il, a été affichée dans les casernes, accompagnée d'un commentaire du général en chef Changarnier, et dans lequel on lit la phrase suivante: «Faites que cette lettre soit connue dans tous les rangs de la hiérarchie militaire. Elle doit fortifier l'attachement de l'armée au chef de l'Etat, et elle contraste heureusement avec le langage de ces hommes qui, à nos soldats, frappés par le feu de l'ennemi, voudraient envoyer pour tout encouragement un désaveu.» M. Ledru-Rollin demandait si un pareil commentaire n'avait pas pour but de désigner l'Assemblée aux baïonnettes, au profit d'un régime impérial ou royal, et si la lettre du président, « accompagnée du langage hautain de son prétorien,» ne démontrait pas que partout, au dehors comme au dedans, s'agitait la contre-révolution.

M. le président du conseil répondit avec chaleur : il releva le gant qui lui était jeté, et il déclara que, lui aussi, il appelait un vote solennel de l'Assemblée; que depuis trop longtemps on cherchait à accabler le Gouvernement sous des insinuations pertides et calomniatrices, qu'il fallait aujourd'hui déchirer tous les voiles; qu'en un mot, il sommait ses adversaires de formuler une proposition positive sur laquelle l'Assemblée pût être appelée à prononcer immédiatement. Abordant ensuite les affaires d'Italie, M. Odilon Barrot se plaignit avec indignation de la persistance avec laquelle un certain parti, sans connaître les faits, et sur la foi d'une correspondance qui ne prouvait qu'une chose, à savoir qu'il avait de puissants amis dans la place ennemie, prétendait profiter comme d'une bonne fortune d'un échec momentané de nos armes. A ces mots de « bonne fortune,» toute

l'extrême gauche se leva, en demandant le rappel à l'ordre du ministre, et lui adressant des interpellations violentes. Pendant plusieurs minutes, l'Assemblée resta en proie à la plus vive émo tion; mais M. le président du conseil tint tête à l'orage. « Avezvous donc, ajouta-t-il, perdu toute notion du juste et de l'injuste? Eh quoi! lorsque chaque jour vous jetez incessamment à la face du Gouvernement l'accusation du crime de trahison, vous ne roulez pas lui laisser la liberté de dévoiler à son tour et vos projets et vos sympathies? » Et comme M. Flocon lui lançait la qualification d'accusé : « Vous dites que je suis accusé, s'écria M. Odilon Barrot, mais devant qui?-est-ce devant vous? si cela était, dites donc que je serais d'avance condamné. Mais je ne reconnais pas votre jugement, car vous et moi nous avons d'autres juges; nous avons cette Assemblée tout entière, à l'appréciation de laquelle je serai toujours heureux de soumettre mes actes: nous avons aussi ce juge souverain dont les délibérations commencent, et qui bientôt aura prononcé entre vous et nous... Redouteriez-vous sa décision, et la violence de votre langage ne serait-elle donc que le signe précurseur de votre défaite?»

Ces paroles furent couvertes d'applaudissements, qui redoublèrent encore lorsque, repoussant le reproche qui lui était incidemment jeté par M. Clément Thomas de pousser à la guerre civile, M. le président du conseil déclara que, de la part du pouvoir, l'excitation à la guerre civile ne serait pas seulement l'acte le plus criminel, mais, en même temps, l'acte le plus insensé. La guerre civile ! Ah! si dans de pareilles circonstances elle pouvait éclater, la responsabilité en serait, ajouta-t-il, à ceux qui professent qu'il y a quelque chose au-dessus du suffrage universel; à ceux qui, lorsque les comices du pays se sont réunis pour élire le président de la République, ont traîné l'élu du pays dans la fange de la diffamation; à cette presse qui, tous les jours, provoque à dégrader celui que le suffrage universel a honoré. S'expliquant ensuite sur l'ordre du jour du général Changarnier, M. Odilon Barrot n'hésita pas à reconnaître que s'il avait en réalité le sens qu'on lui attribuait, il serait répréhensible, puisqu'il tendrait à censurer une délibération de l'Assemblée. Restait la proposition faite de reconnaître la République romaine. Mais

était-il besoin de discuter une proposition qui, présentée dans le moment où le sang de nos soldats coulait sous les murs de Rome, blessait si profondément tous les sentiments français? M. le président du conseil le repoussa donc dédaigneusement, et il conclut en demandant à l'Assemblée de ne pas permettre que les difficultés de la situation s'aggravassent par des équivoques, des doutes et des incertitudes.

M. Jules Favre parut alors à la tribune. A défaut de documents nouveaux, l'orateur crut devoir apporter une lettre émanée du ministère de la Guerre de la République romaine, et de laquelle il serait résulté que non-seulement le général Oudinot aurait attaqué Rome à coups de canon, mais encore qu'un grand nombre de soldats français faits prisonniers, indignés d'avoir été trompés sur le but de l'expédition, se seraient offerts à combattre dans les rangs des Romains contre les Autrichiens. A ce passage, reconnu plus tard comme un odieux mensonge, et qui semblait indiquer de la part de nos soldats l'intention de déserter le drapeau français, une agitation inexprimable s'empara de l'Assemblée. M. le général Bedeau se précipita vers la tribune de toutes parts ces interpellations énergiques furent adressées à l'orateur : « N'insultez pas l'armée. » On voyait d'ailleurs une injure faite à l'Assemblée dans la lecture, comme d'un document officiel, d'une pièce émanée d'un Gouvernement que la France n'avait pas voulu reconnaître, et qui cherchait aujourd'hui à flétrir l'honneur de nos soldats. M. le ministre de la Marine protesta par quelques paroles chaleureuses en faveur de l'armée française et de sa fidélité au drapeau. M. le général Leflo repoussa à son tour avec indignation les calomnieuses allégations puisées dans des correspondances hostiles. « C'est bien assez, dit-il, d'avoir tenté d'humilier l'armée en lui fermant, il y a quinze mois, les murs de Paris. Elle s'est vengée depuis en sauvant la société ne la flétrissez pas aujourd'hui. Je n'ai pas l'honneur d'être citoyen romain, moi; le titre de citoyen français suffit à mon ambition : c'est donc comme Français que je parle, laissant à d'autres le soin de faire acte de patriotisme en prenant contre nous la défense de la République romaine. »

Il fallait arriver à un vote. M. Jules Favre, modifiant la pro

position de M. Ledru-Rollin, s'était borné à demander que l'Assemblée, se retirant dans ses bureaux, nommât une commission chargée de formuler une résolution qui déclarerait le ministère déchu de la confiance de l'Assemblée. L'ordre du jour pur et simple fut réclamé et mis aux voix : il donna au ministère une majorité de 329 voix contre 292.

L'ordre du jour adopté, on mit aux voix une proposition de M. Babaud-Laribière, tendant à ordonner des poursuites contre le général coupable de désobéissance au décret du 11 mai. La proposition fut repoussée à la presque unanimité.

Enfin, on vota sur la demande de mise en accusation du président de la République et de ses ministres. 338 voix contre 138 firent justice de la proposition. Quant à la reconnaissance de la République romaine, il n'en fut plus question (11 mai).

Sortie de l'Assemblée, l'agitation se continua dans les partis. On vit éclater une sorte de patriotisme excentrique parmi les partisans de la République romaine. Si quelque bulletin étranger racontait un échec de nos armes, ce bulletin était reproduit, commenté avec passion par les journaux socialistes. Les récits les plus grotesques étaient accueillis s'ils étaient défavorables à l'armée française. On transformait en héros de Saragosse ces pauvres Romains que la terreur conduisait sur les bastions de Rome, et que les forcenés de la légion étrangère traînaient sur les remparts. Le Peuple rapportait avec enthousiasme cette lettre bouffonne pour qui connaît la population romaine : « Le quàrtier de Trastevère entier, enfants, hommes et femmes, est en armes aux barricades; les femmes menacent, après avoir épuisé tous moyens de défense, de jeter des croisées leurs petits enfants sur les assaillants. »

HAPITRE XV.

LES DERNIERS JOURS DE LA CONSTITUANTE.

Dépêche télégraphique de M. Léon Faucher, discussion violente, accusation d'influence électorale, explications, ordre du jour motivé de M. Millard, vote de blâme, démission de M. Léon Faucher. · Congés nombreux, vides dans l'Assemblée, mouvement électoral, le suffrage à deux degrés, opérations préparatoires de l'Union électorale, liste du National: scission de dix-sept journaux de la presse modérée, liste socialiste, listes diverses. - Résultat des élections, majorité nombreuse et minorité compacte, sens nouveau de cette minorité, le socialisme parlementaire; émotion publique. Derniers travaux de l'Assemblée, abolition de l'impôt des boissons, vote hostile au général Changarnier, agitation électorale après les élections, bruits de conspiration, l'armée est-elle socialiste. Encore les questions extérieures; entrée des Russes en Hongrie, l'Italie; ordre du jour belliqueux de M. Joly, rédaction nouvelle de M. Cavaignac; M. Ledru-Rollin, allusions regrettables; expédient révolutionnaire, M. Goudchaux et la permanence; adoption de l'ordre du jour de M. Cavaignac. Encore des conspirations, revue, cris inconstitutionnels, M. Considérant et ses quarante infirmiers; acte d'accusation contre le général Changarnier; déviation des débats, M. de Falloux et la Montagne, les ateliers nationaux, capables de tout et capables de rien; M. Joly et M. de Falloux, luttes personnelles, ordre du jour pur et simple. - L'amnistie et M. Flocon. - - Testament de la Constituante, l'adresse aux Français, de M. Antony Thouret; vote d'un décret de remerciements, M. Baze; discours de clôture par M. Armand Marrast; permanence étrange, défiances et regrets, les non-réélus; derniers adieux.

Résumé général, la Constituante devant l'histoire.

Tout n'était pas terminé par le vote favorable au ministère. A la suite de la discussion, M. le ministre de l'Intérieur crut devoir en faire connaître le résultat dans les départements par une

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