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nouveaux embarras. Parmi les conspirations imaginaires créées par les journaux, la Démocratie pacifique en avait inventé une tellement circonstanciée que M. Crémieux crut devoir dénoncer sur ces preuves le pouvoir exécutif. Une revue avait eu lieu le 20 mai et, selon le journal, on avait voulu s'assurer des dispositions de l'armée. Un complot devait éclater le 27. De là des interpellations nouvelles. M. Considérant parut à la tribune, invoquant comme preuve principale des mouvements de troupes suivant lui calculés, et même l'arrivée à Paris de quarante infirmiers appelés pour les cruelles éventualités du combat. Ceci tournait au ridicule et à l'odieux les infirmiers devaient, en effet, subvenir aux nécessités d'une épidémie qui frappait en ce moment sur la France le choléra règnait à Paris. De toutes parts, l'Assemblée demanda autre chose que des allégations, des preuves. M. Considérant répondit qu'il n'avait pas de preuves judiciaires, mais des renseignements sûrs, et que d'ailleurs il n'avait jamais menti : « Vous avez menti, » s'écrie M. Pierre Bonaparte d'une voix éclatante; vous avez menti en disant que le président de la République conspire contre la Constitution. »>

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Ces paroles ne firent qu'accroître l'agitation. M. Ledru-Rollin comprit alors qu'il fallait détourner le débat si maladroitement engagé il le fit en portant à la tribune un acte d'accusation contre le général Changarnier. En vue d'une permanence possible, le président de l'Assemblée aurait fait demander la veille un certain contingent de troupes, et le général Changarnier aurait répondu en envoyant à tous les généraux de brigade l'ordre de n'obéir qu'au commandant en chef. M. Ledru-Rollin demandait une commission d'enquête. Après lui, MM, Charras, Lagrange et Michot dénonçaient des cris inconstitutionnels poussés par l'armée qu'on aurait payée pour son enthousiasme de commande. Le général Bedeau s'élança à la tribune et protesta énergiquement contre ces indignes accusations. A son tour, M. le président du conseil repoussa avec indignation ces accusations soulevées par l'imagination des journaux, portées à la tribune sans le contrôle des formalités légales, avec le dessein manifeste d'en faire un moyen d'agitation, et peut-être de guerre civile. « Un complot, s'écriat-il, un complot au moment où va se réunir la nouvelle Assemblée

issue du suffrage du pays, ne serait-ce pas le comble de la folie? >>

Le 24 mai, la lutte durait encore. M. Clément Thomas voulait qu'on forçât le général Changarnier à des explications personnelles un autre membre s'écriait qu'il fallait le traduire révolutionnairement à la barre. M. Ledru-Rollin déroulait d'injurieux commentaires sur le passé du président de la République. M. Flocon évoquait les tristes réminiscences de la réaction de 1815 et, prenant à partie M. le ministre de l'Instruction publique, lui jetait l'odieux souvenir de Trestaillon. A cette inqualifiable insulte, M. de Falloux répondait énergiquement par le rappel des journées du 10 août, du 2 septembre, du 31 mai, du 9 thermidor, de toutes ces crises honteuses et sanglantes couronnées par leur conséquence nécessaire, le coup d'Etat du 18 brumaire. Alors s'engagea une lutte étrange de tout un parti contre un seul homme de tous côtés descendaient de violentes interpellations chacune d'elles recevait de l'orateur sa réponse, et quelquefois son châtiment. Déjà l'incident remplaçait la question principale dans les émotions de la Chambre. Attaqué pour la part qu'il avait prise à la dissolution des ateliers nationaux, M. de Falloux, avec une impitoyable lucidité, répandait la lumière sur ces journées de juin et sur leurs causes encore mal connues. Les traits les plus cruels de cette vive improvisation arrachèrent des applaudissements nombreux à l'Assemblée. On avait prononcé ce mot un peu superbe : Je ne veux plus. « Les hommes dont la France ne veut plus, dit M. de Falloux, ce sont les hommes qui sont capables de tout et les hommes qui ne sont capables de rien. » (24 mai.)

On était loin de la conspiration prétendue. Le lendemain, on s'en éloigna plus loin encore. M. Joly continua l'accusation. Mais le principal accusé ce n'était plus M. le président de la République, ou le général Changarnier, c'était décidément M. de Falloux. M. Joly vint lire à la tribune des fragments isolés et choisis de deux ouvrages de l'honorable ministre, l'Histoire de saint Pie V et l'Histoire de Louis XVI. Il ressortait de ces fragments, pour M. Joly, que M. de Falloux avait fait l'apologie de l'Inquisition et de la Saint-Barthélemy. Par malheur, les textes empruntés à ce recueil périodique étaient falsifiés. Mais les ré

criminations engendrent les récriminations. M. Mortimer-Ternaux vint, à son tour, faire le procès aux opinions républicaines de M. Joly. Il tira de la Gazette des Tribunaux un discours solennel dans lequel M. Joly, procureur-général à la cour de Montpellier en 1830, protestait de son dévouement chaleureux à la monarchie constitutionnelle en général et au roi Louis-Philippe en particulier.

Cependant la conspiration avait entièrement disparu derrière ces engagements rétrospectifs. Il est vrai que M. le président du conseil avait donné des explications complètes. La lettre du général avait été écrite à une heure où l'Assemblée avait renoncé à la permanence; en consignant les troupes, on n'avait fait que prendre une mesure de sûreté générale; l'ordre de n'obéir qu'aux instructions du chef militaire allait au-devant de la complication des ordres, et ne pouvait avoir pour but de paralyser l'exercice du droit de réquisition attribué par le décret du 11 mai 1848 au président de l'Assemblée. D'ailleurs, ce décret n'était-il pas resté à l'ordre du jour dans toutes les casernes de la division? Tout cela était trop clair: aussi, quand revint, quoique un peu tard, la demande d'enquête, M. Odilon Barrot put-il dire 'qu'il n'y avait là rien de sérieux, et l'Assemblée lui donna raison par un ordre du jour pur et simple voté à la majorité de 508 voix contre 260 sur 568 votants (25 mai).

Tout n'était pas fini. A l'ordre du jour se trouvait înscrite une proposition d'amnistie. M. Flocon y vit un moyen d'agiter les deux dernières séances. Mais la Chambre s'y refusa et s'apprêta à se séparer. Comment le faire? M. Degousée voulait un compterenda solennel des travaux de l'Assemblée; M. Antony Thoaret tenait pour une adresse aux Français. La majorité préféra un simple décret rédigé en ces termes par M. Baze : « L'Assemblée nationale voté des remerciements à la garde nationale et à l'armée pour le concours énergique et dévoué qu'elles ont constamment prêté à toutes les mesures décrétées pour le maintien de l'ordre et de la liberté, et le salut de la République. »

La dernière séance de la Constituante fut terminée par un discours du président. La parole de M. Armand Marrast, représen tant officiel de l'Assemblée, fut digne, calme et mesurée; il parla

avec convenance des travaux qu'il avait si longtemps dirigés. Il jeta sur la situation du pays un coup d'œil rapide, et commenta spirituellement le mot connu d'un programme récent: Ni réaction, ni utopie. Il conclut en recommandant à tous le respect de la Constitution qui avait été l'œuvre principale de cette Assemblée, de la Constitution qui devait tout à la fois servir de règle et de bouclier; puis il termina en poussant le cri de Vive la République! qui fut répété par des voix nombreuses.

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Ainsi finit l'Assemblée constituanté. Pendant vingt-quatre heures encore, le bureau et un certain nombre de membres sans mission spéciale se constituèrent en permanence, les uns pour n'interrompre en rien l'action du pouvoir parlementaire, les autres pour manifester une fois de plus d'injurieuses défiances ou d'inutiles regrets. Parmi ces derniers, comme parmi les promoteurs des dernières agitations parlementaires, on remarqua en grande majorité les représentants non réélus. Enfin, le 28 mai, les membres du bureau de l'Assemblée constituante recurent le bureau provisoire de l'Assemblée nouvelle, « pour constater, dit M. Marrast (voyez les Documents historiques), que, sous l'empire de notre Constitution républicaine, il ne saurait y avoir d'intermittence dans le pouvoir législatif. »

RÉSUMÉ GÉNÉRAL.

LA CONSTITUANTE DEVANT L'HISTOIRE.

On l'a vu, les derniers moments de l'Assemblée constituante avaient paru manquer de cette dignité calme que la France exige de qui a l'honneur de la représenter. Après avoir, par un vote digne d'éloges, fixé un terme à ses travaux, elle n'avait peut-être pas su mourir. Dans les convulsions de son agonie, elle avait suscité, sans le vouloir sans doute, plus d'un embarras sérieux au Gouvernement. Fallait-il l'en accuser, ou n'était-ce pas plutôt là la faute de cette coexistence.fatale de deux pouvoirs indépendants, et par cela même rivaux, que la Constitution avait imposés à la France. Si l'Assemblée ne s'était pas associée aux injures prodiguées au président de la République, elle avait ouvertement patroné de fâcheuses défiances, de regrettables coups d'autorité. Il s'était trouvé 361 voix pour refuser au lieutenant général Changarnier une indemnité qu'autrefois on décernait d'enthousiasme à MM. de Courtais ou Clément Thomas. « Ce qui se passe ici, avait pu dire M. Léon Faucher, pourrait s'appeler la guerre au pouvoir exécutif. » Et cette guerre, elle était devenue chaque jour plus agressive, à mesure qu'approchait l'heure de la retraite. Ce n'est pas ainsi qu'avait fini le pouvoir temporaire du général Cavaignac. Il avait su descendre, et la dignité calme de sa retraite n'avait légué au pouvoir du 10 décembre aucun héritage difficile autre que la situation elle-même.

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