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L'Assemblée s'était souvent laissé prendre aux séductions de l'économie. Elle avait cherché à restreindre les travaux publics, tout en modifiant radicalement le budget des recettes par une diminution énorme des impôts. Était-ce bien le moment lorsque le pays se ressentait encore de la brusque disparition du travail, et lorsque le déficit toujours croissant des finances réclamait l'emploi de toutes les ressources ordinaires?

Fallait-il pourtant méconnaître les services que la Constituante avait rendus au pays? Elle avait intronisé le droit à la place du fait, elle avait substitué une délégation régulière de la volonté nationale à une violence de mauvais exemple. Elle avait tiré le pays, sinon de la révolution, au moins de l'état révolutionnaire : enfin, elle avait été longtemps le seul point de ralliement de toutes les forces vives de la France. Avec elle, le pays avait pu combattre l'anarchie.

Qu'a-t-elle fait, disaient ses adversaires? Elle a effleuré bien des projets, abordé bien des questions: elle n'en a résolu sérieusement aucune. On oubliait, sans doute, au milieu de quelles agilations s'était passée l'existence de cette Assemblée. Si on considérait le nombre de ses membres, l'inexpérience politique, administrative et financière de beaucoup d'entre eux, on pouvait s'étonner encore de ce qu'elle avait fait. Il est juste d'avouer qu'un grand nombre de représentants, nouvellement arrivés à la vie politique, avaient cherché à suppléer par un travail assidu à tout ce qui leur manquait de science et d'habitude parlementaire. Si ce travail s'était le plus souvent résolu en initiatives stériles, en propositions impossibles, fallait-il en accuser autre chose que ce sentiment erroné partagé par une partie de la nation ellemême, que la société était tout entière à refaire. Beaucoup d'illusions enracinées dans l'opinion publique avaient contribué à gaspiller les forces et le temps de la Chambre. Pour n'en citer qu'une, le droit de pétition, cette arche sainte de la liberté pour l'ancien libéralisme, était devenu un embarras quelquefois dangereux, plus souvent ridicule. A la date du 17 janvier, l'Assemblée n'avait pas reçu moins de huit mille pétitions. Le texte même de ces requêtes, fruit des plus étranges initiatives, montrait mieux que toute discussion ce que peut produire d'utile ce droit de pétition

autrefois considéré comme la base des libertés publiques. L'une d'elles demandait qu'on érigeât l'athéisme en science et qu'on l'enseignât dans les colléges.

Si quelque chose pouvait diminuer la sévérité de la France pour l'Assemblée expiranté, c'était le jugement insultant porté sur elle par la Montagne. Dans une déclaration adressée, le 3 avril, aux électeurs, les représentants de l'opposition radicale condamnaient ainsi la Constituante :

« Son œuvre, la Constitution, est entachée d'inconséquences... elle admet la peine de mort et repousse le droit au travail. Le meilleur de ses articles est celui qui en permet la révision... Sa politique a été illogique comme son œuvre, violente à l'intérieur, faible à l'extérieur et rétrograde partout. »

Ce qui avait mérité à l'Assemblée ces accusations ultra-radicales, c'était ce bon sens profond dont elle avait souvent fait preuve en condamnant de dangereuses utopies, cet esprit de réparation qui l'avait animée à plusieurs moments de sa difficile carrière.

S'il était vrai de dire que le niveau du talent s'était abaissé depuis la révolution de Février dans la représentation nationale, il n'était pas moins évident que les habitudes de haute convenance, qui jusqu'alors avaient distingué la France parlementaire, n'étaient plus qu'une tradition. Le langage violent d'une fraction nombreuse de l'Assemblée, avait donné souvent lieu à des incidents pénibles pour la dignité de la France. Quelquefois même la violence était descendue des paroles aux actes. Ainsi, un des membres de la Montagne, M. Eugène Raspail, s'oublia jusqu'à frapper, dans l'enceinte même de la Chambre, un de ses collè gues, M. Point. Ce dernier, qui ne connaissait pas même M. Raspail, était accusé par l'auteur de l'insulte de l'avoir lorgné! Un autre membre de la Montagne, M. Flocon, voulut, on ne le croira pas, s'opposer à ce que des poursuites fussent autorisées contre le coupable. Il invoquait, pour le renvoi dans les bureaux, ce qu'il appelait des précédents! « Je proteste, s'écria le général Lebreton, je proteste contre cette expression. Pour l'honneur des Assemblées françaises, il n'y a jamais eu dans leur sein de pareils

précédents. » L'honorable général oubliait une autre Montagne et le boucher Legendre.

Bientôt, il est vrai, ce déplorable scandale devait devenir un précédent et trouver des imitateurs.

Telle avait été cette Assemblée à qui, malgré des erreurs et des fautes, l'histoire rendra sans doute une honorable justice. Héritière de ses travaux comme de ses dangers, l'Assemblée législative aurait à remplir une mission aussi grande, aussi laborieuse que celle de l'Assemblée constituante. Elle aurait à réconcilier les mœurs avec les lois, et à faire supporter au pays les vices mêmes des institutions.

CHAPITRE XVI.

LES PREMIERS JOURS DE LA LÉGISLATIVE.

Ouverture de l'Assemblée législative, rassemblements, la République sociale, les agitateurs refoulés; discours de M. de Kératry, président d'âge; nomination des présidents de bureau, rassemblements nouveaux. - Seconde séance; M. Koenig et la Constitution; M. Landolphe demande une nouvelle proclamation de la République, silence de la majorité, explications de M. Ségur d'Aguesseau, les deux Républiques, la Montagne socialiste, rappel à l'ordre. -Interpellations, déjà des défiances, le général Forey et le commandement de l'Assemblée; M. Ledru-Rollin et M. de Kératry, tumulte, retraite des secrétaires, explications de M. de Kératry, le maréchal Bugeaud, paroles de conciliation. - Vérification des pouvoirs, la dépêche Faucher, M. Rattier parle au nom de l'armée. · M. Dupin est élu président, force respective des partis. – Remaniement du ministère, message du président de la République. Questions extérieures, rappel de M. de Lesseps, attaque de Rome, interpellations de M. Ledru-Rollin, la Constitution violée, demande de mise en accusation, la déchéance sans phrases, manifeste démocratique; explications ministérielles; M. Ledru-Rollin, appel aux armes; protestations de MM. Ségur d'Aguesseau et Bedeau; M. Thiers déclare la délibération impossible; vote de l'ordre du jour pur et simple. — Écho insurrectionnel; manifestes de la Montagne, de la presse démocratique et du comité démocra tique-socialiste; proclamation des écoles. Séance du 12 juin : interpellations de M. Grandin, M. Pierre Leroux, doctrines pacifiques, déclaration de M. Dufaure; rapport sur la mise en accusation, discussion sur le fond, demande de production de pièces, M. Thiers et M. Ledru-Rollin, cosaques et insurgés, M. F. Pyat, serment tragique, la mise en accusation repoussée. Calme de Paris, le choléra, mort du maréchal Bugeaud, complications extérieures, insurrection badoise, ses rapports avec la démocratie parisienne, marche des Prussiens, insurrection hongroise, les Russes en Autriche, désordre et répression. Tribuns et soldats, chefs véritables de la démagogie, histoire secrète du parti militant, la Solidarité républicaine, direction cachée, comité démocratique-socialiste, commission des vingt-cinq, comité de la presse socialiste, propagande Macé, organisation redoutable. — Choix du prétexte, la question romaine, révélations imprudentes, le socialisme à

Rome et à Paris. La société des Droits de l'Homme en permanence, réunion dans les bureaux de la Démocratie pacifique, proclamations, commission de délégués de la garde nationale, annonce d'une manifestation, appel à la garde nationale, éléments nouveaux de trouble, les clubistes de province, les graciés, préludes d'une journée.

Le 28 mai, à midi, eut lieu l'ouverture de l'Assemblée législative. Dès le matin, un millier environ d'hommes, la plupart en blouse, stationnaient aux abords du palais législatif. Des groupes compactes s'échelonnaient au commencement de la rue de Bourgogne et sur le quai qui fait face au péristyle. Quelques cris de vive la République démocratique et sociale partaient de temps en temps de ces groupes. Lorsque les représentants commencèrent à arriver, cette foule grossit et se rapprocha du palais, de façon qu'on put craindre un instant que la cour de l'Assemblée ne fût envahie. Le général Changarnier dut s'entendre avec le président d'âge, M. de Kératry, et des détachements d'infanterie et de cavalerie furent postés au dehors, de manière à garder les approches et à faire circuler la foule au moyen de promenades inoffensives. L'intérieur du palais était confié à la garde du général Forey. La foule n'opposa à ces mesures pacifiques aucune résistance. Seulement, chaque représentant était accueilli, à son arrivée, selon ses opinions connues, par des cris portant le caractère ou de la provocation ou de la menace. Quelques meneurs espéraient une répétition de la scène populaire du 4 mai 1848 et déjà quelques représentants se montraient aux fenêtres de l'Assemblée pour répondre aux cris des agitateurs, lorsqu'avec une précision merveilleuse accompagnée d'une modération visible, la foule fut repoussée et les abords du palais dégagés. Les sommations légales avaient été faites.

A l'intérieur, M. de Kératry, dans un discours simple et modeste, invoquait le concours et la bienveillance de ses collègues pour l'aider dans les opérations préliminaires nécessaires à la constitution définitive de l'Assemblée. M. Odilon Barrot vint ensuite annoncer que le Gouvernement se mettrait en mesure de présenter le compte-rendu de la situation politique aussitôt que la Chambre serait constituée.

« PrethodnaNastavi »