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Le conseil d'État, tel qu'il existait encore, réunissait des attri butions très-complexes. Cependant on pouvait le considérer comme un corps essentiellement administratif. La Constitution avait voulu changer ce caractère, en donnant au conseil d'État une part essentielle dans le pouvoir législatif, en l'érigeant, autant qu'il avait dépendu d'elle, au rang de seconde Chambre législative. A ce titre, le conseil d'État serait nécessairement consulté sur les projets de loi du Gouvernement et sur les projets d'initiative parlementaire qui lui seraient renvoyés par l'Assemblée. De plus, il était chargé de préparer les règlements d'administration públique, espèce de lois secondaires, disait le rapport, qui ont pour but d'assurer l'exécution des lois générales. Il n'y avait là rien de nouveau; sous la monarchie, le conseil d'État jouissait déjà de ces attributions. Peut-être n'étaient-elles qu'une sinécure. Mais en serait-il autrement sous la République? Pensait-on que le conseil d'Etat interviendrait plus sérieusement et plus activement dans l'étude et la préparation des lois? On pouvait craindre, au contraire, que le caractère législatif du conseil d'État fût moins sérieux et moins respecté sous le Gouvernement républicain que sous le Gouvernement monarchique. Sans doute il pourrait arriver jusqu'à lui quelques rares projets de loi adressés par le Pouvoir exécutif; mais espérait-on que l'Assemblée nationale serait souvent disposée à lui renvoyer les projets émanés de l'initiative parlementaire? L'Assemblée n'avait-elle donc pas ses bureaux, ses comités, ses commissions? C'est là que seraient naturellement préparés, élaborés tous les projets de loi. L'accroissement d'attributions sur lequel on se fondait pour augmenter le personnel du conseil d'État n'était donc pas sérieux, et l'augmentation du personnel n'était pas justifiée.

La plus importante de toutes les questions que la Constitution avait laissées indécises était celle qui concernait la juridiction administrative du conseil d'État, le jugement des affaires et des contestations connues sous le nom de contentieux administratif. Aujourd'hui c'était le conseil d'État qui connaissait de ces sortes d'affaires, après toutefois que ses décisions avaient été préparées par un comité constitué dans son sein, sous le nom de comité du contentieux. Mais le conseil d'État n'ayant pas de juridiction

propre, indépendante, et ne donnant que des avis, il y avait longtemps que ce régime était critiqué comme ne donnant pas aux justiciables toutes les garanties d'un véritable tribunal et d'une justice régulière. C'est pour cela que le projet de Constitution avait enlevé la juridiction du contentieux au conseil d'État et proposé d'établir un tribunal administratif supérieur entièrement distinct et indépendant du conseil d'État. Ce projet avait l'inconvénient de dépouiller le conseil d'État de l'une de ses attributions essentielles, et il n'avait pu soutenir l'épreuve de la discussion. Cette grave question avait donc été renvoyée à la décision de la loi organique. La commission chargée de préparer le projet de loi l'avait résolue d'une manière satisfaisante. Elle attribuait le jugement du contentieux administratif à une juridiction spéciale qui serait créée au sein du conseil d'État. En même temps elle proposait deux innovations importantes au régime actuel. D'abord, elle donnait au conseil d'État une juridiction propre, indépendante, c'est-à-dire le caractère d'un véritable tribunal; ensuite elle confiait à une section distincte, et non à l'assemblée générale du conseil d'État, la décision des affaires.

Les autres dispositions du projet de loi n'avaient guère qu'un intérêt réglementaire.

Ce projet vint à l'ordre du jour du 15 janvier. C'était la première fois que la Chambre appliquait la disposition du règlement concernant les projets de loi et les propositions. Ancun orateur ne demanda la parole. M. Crémieux et M. Vivien, rapporteur, firent observer que l'Assemblée, en nommant une commission pour préparer un projet de loi sur cette matière, avait implicitement décidé la question de principe, la seule qui dût être l'objet de la première délibération prescrite par le règlement. Une seconde délibération fut donc purement et simplement indiquée ét la discussion renvoyée à cinq jours, selon les termes du règlement.

La commission de Constitution, on se le rappelle, s'était fortement prononcée en faveur d'une Assemblée unique puis, effrayée elle-même des inconvénients d'une trop grande précipitation dans les décisions, elle avait présenté le conseil d'État

comme devant être le rouage modérateur de la machine législative et gouvernementale.

« A côté de l'Assemblée unique (disait le rapporteur de la Constitution) la Constitution place un conseil d'État choisi par elle, émanation de sa volonté, délibérant à part, en dehors des mouvements qui peuvent agiter les grandes réunions. C'est là que la loi se prépare, c'est là qu'on renvoie pour la mûrir toute proposition d'initiative parlementaire qui paraît trop hâtive au Pouvoir législatif. Ce corps, composé d'hommes éminents, et placé entre l'Assemblée qui fait la loi et le Pouvoir qui l'exécute, tenant au premier par sa racine, au second par son contrôle sur l'administration, aura naturellement une autorité qui tempérera ce que l'Assemblée unique pourrait avoir de trop hardi, ce que le Gouvernement pourrait avoir d'arbitraire.

L'Assemblée, on le sait, au moment de la crise ministérielle qui amena M. Dufaure au pouvoir, avait voté, malgré de sages observations présentées par quelques membres, les articles 71 et suivants de la Constitution qui consacraient le projet de la commission (1).

Aux termes de ces articles, les membres du conseil d'État sont nommés pour six ans par l'Assemblée nationale. Ils sont renouvelés par moitié dans les deux premiers mois de chaque législature, au scrutin secret et à la majorité absolue; ils sont indéfiniment rééligibles. Les membres du conseil d'État ne peuvent étre révoqués que par l'Assemblée et sur la proposition du président de la République;

Le conseil d'État est consulté sur les projets de loi du Gouvernement, qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen préalable, et sur les projets d'initiative parlementaire que l'Assemblée lui aura renvoyés.

Telles sont les dispositions générales de la Constitution, dont la loi sur l'organisation du conseil d'État avait à faire l'application.

Sans comparer la situation nouvelle faite au conseil d'État avec ces temps glorieux où il résumait réellement tous les pouvoirs, au moins fallait-il reconnaître que, depuis l'établissement même du régime constitutionnel en France, il avait eu encore un grand rôle dans les affaires administratives du pays. Sous la Restaura

(1) Voyez l'Annuaire précédent, p. 322.

tion et sous la monarchie de Juillet, il était l'expression la plus élevée de l'administration. Il était tout à la fois la tradition intelligente, la pratique éclairée et la théorie prévoyante qui se tenait toujours au niveau de la science, quelquefois même la devançait. Voilà ce que, par une habile combinaison du service extraordinaire (composé des chefs de l'administration active) et du service ordinaire (où se trouvaient nécessairement d'anciens administrateurs, des jurisconsultes consommés), voilà ce que la loi de 1845, en sanctionnant uniquement les dispositions les plus sages des décrets, des ordonnances rendus depuis cinquante ans, avait fait du conseil d'État.

Pour appeler cette institution à rendre de plus importants services, il suffisait peut-être de quelques règlements, de quelques lois qui imposassent aux ministres (car toujours les bureaux ont été hostiles à ce contrôle) l'obligation de soumettre certaines affaires, aux délibérations des comités; enfin, il fallait lui faire une part plus grande dans l'administration proprement dite. Peutêtre, après la révolution qui faisait de la France une république, et qui doit fatalement avoir pour conséquence de relâcher le lien de la centralisation administrative, de grandir les institutions départementales, dans un moment où il serait si nécessaire de poser et de maintenir d'une main habile et ferme la limite entre l'autorité centrale et l'autorité locale, de faire à chacune sa grande et légitime part, c'était plus que jamais le cas de conserver dans son organisation, et comme auxiliaire du Gouvernement, un corps assez haut placé pour embrasser et mesurer les intérêts nouveaux de la société qu'on voulait fonder, assez instruit pour y apporter l'expérience qui seule prévient de dangereuses innovations, enfin, assez permanent pour y conserver la tradition sans laquelle il ne peut y avoir de fixité. La Constitution en avait décidé autrement; et elle avait peut-être, sans le vouloir, dépouillé cette grande institution de ses attributions les plus importantes. Corps indépendant, par son origine, du Pouvoir exécutif, ce Pouvoir serait obligé de le consulter pour ses actes les plus graves. Produit électoral pour moitié d'une Assemblée qui bientôt aurait disparu, il conserverait peut-être en face d'une Assemblée nouvelle et du Gouvernement lui-même les vues hostiles d'un par

lement remplacé. Cet antagonisme était non-seulement possible, mais probable, puisqu'il est dans le jeu ordinaire de nos institutions que les renouvellements des Assemblées produisent des majorités nouvelles. Quelle serait donc la position des ministres venant discuter leurs projets de loi devant un conseil d'État ainsi organisé? Ces projets, devraient-ils les porter à l'Assemblée tels qu'ils seraient sortis du conseil, ou bien pourraient-ils les modifier? La loi se taisait à ce sujet. Mais n'était-il pas évident que le conseil d'État ne serait que consulté ? Les ministres seraient done toujours maîtres d'adopter ou de repousser l'avis qui leur serait donné; autrement, ils ne pourraient être responsables.

La loi organique pouvait, peut-être, tout en respectant le principe posé par la Constitution, en amoindrir les dangers. C'est ce que n'avait pas fait le travail de la commission, qui n'avait pas paru apercevoir les inconvénients de l'organisation nouvelle, qui les avait peut-être même aggravés. Ainsi, pour la nomination des conseillers d'État, l'art. 72 de la Constitution se bornait à dire que les membres du conseil seraient nommés par l'Assemblée; évidemment la loi organique pouvait, par un mode de présentation, donner au Pouvoir exécutif une part légitime dans les choix des hommes qui doivent, en définitive, composer son conseil; loin de là, le projet voulait que ce fût une commission de trente membres, choisis par les bureaux de l'Assemblée, qui fit une liste de présentation, liste en dehors de laquelle, il est vrai, l'Assemblée pourrait choisir, mais que cette commission aurait bien quelque peine à former d'une manière convenable en présence des ambitions et des combinaisons de partis de toutes sortes. Ainsi, pour les présidents de sections, dont les choix sont si importants, la Constitution avait gardé le silence; le projet voulait qu'ils fussent élus par chaque section. N'était-ce pas enlever encore au Pouvoir exécutif une part légitime d'influence dans la direction des travaux du conseil d'État? .

Autre exemple. L'article 75 de la Constitution avait dit « Le conseil d'État est consulté sur les projets de loi du Gouvernement, qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen.»> Happartenait donc à la loi organique de déterminer la nature

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