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que l'Assemblée poursuive ses travaux obéiraient aux conseils d'une saine politique en entrant dans cette voie au lieu de s'attacher à des principes vrais mais absolus.

La troisième opinion fut présentée par M. Combarel de Leyval. L'honorable représentant ne croyait pas aux coalitions qui préoccupaient les partisans du rejet absolu de toutes les propositions. Il ne niait pas le travail de décomposition et de recomposition qui s'opérait dans les anciens partis; il croyait l'infériorité de l'Assemblée vis-à-vis du pouvoir exécutif fatale pour le gouvernement représentatif. « L'Assemblée est faible, dit-il, et la prolongation de sa durée ne serait que le progrès dans la faiblesse. La nation a fait l'élection du pouvoir exécutif dans le but principal de mettre un terme aux souffrances matérielles. Plutôt que de croire qu'elle s'est trompée, elle rend l'Assemblée responsable du bien qui ne se fait pas, des vœux inaccomplis qu'elle a formés sans trop les définir. >>

M. Combarel de Leyval repoussa, comme sans application à l'époque actuelle, les analogies tirées des réclamations auxquelles avaient été en butte la Constituante et la Convention.

« Aujourd'hui, ajouta-t-il, tout est soumis à l'empire de l'opinion; le grand intérêt public, c'est la pratique régulière de la Constitution, c'est de donner au pays l'aspect d'une société tranquille. Il faut donc marquer avec dignité et sans faiblesse le terme des travaux de l'Assemblée. Leur limite naturelle est le vote des lois sur le conseil d'Etat, sur la responsabilité du président et de ses ministres, et sur les élections. La Constitution, munie de ce complément indispensable, devra être mise en pleine vigueur, et l'Assemblée législative devra être convoquée par un décret rendu après la confection de la première loi, celle sur le conseil d'État. »

M. Roux-Lavergne, qui se rapprochait le plus de l'opinion de M. Combarel de Leyval, pensait que l'établissement républicain ne peut être fondé solidement que sur le sentiment général d'ordre, de paix et de conservation qu'exploitaient aujourd'hui ses ennemis.

Par ce motif, il voulait que l'Assemblée reconnût sincèrement les convenances de la situation et y fit droit. « Au nombre et en

tête de ces convenances, je place, dit M. Roux-Lavergne, l'autorité et la dignité de l'Assemblée nationale. Je crois qu'on y ́satisfera dans une juste mesure en rejetant les propositions qui veulent en principe la fixation d'un délai plus ou moins prochain, et en adoptant celle qui demande la révision du décret du 15 décembre. J'ai voté toutes les lois organiques, j'ai pensé que nous avions le droit de les faire toutes; je n'ai pas changé d'avis. Mais ici la question de droit doit fléchir sous la question politique. Aussi je conclus pour que les lois organiques soient réduites au petit nombre de celles qui seront indispensables pour le fonctionnement et le maintien de la Constitution. Un délai serait fixé lorsqu'on serait assez avancé dans la rédaction de ces lois pour prévoir raisonnablement le terme de nos travaux. Je repousse donc les conclusions de M. Grévy. ».

La proposition la plus absolue présentée par M. Grévy, et demandant l'ordre du jour sur toutes les propositions, sauf à indiquer dans le rapport que si les circonstances le permettaient, l'Assemblée pourrait se retirer en mai ou en juin, fut adoptée par huit voix contre quatre; un membre s'étant abstenu, M. Grévy fut nommé rapporteur.

Lorsque la proposition de M. Rateau était venue soulever, pour la première fois, au sein de l'Assemblée constituante, la question de la dissolution, les partisans du mandat indéfini s'étaient fait un argument du petit nombre de pétitions déjà déposées. Le nombre des signatures n'atteignait pas huit mille; mais, à mesure que la proposition faisait son chemin dans les comités et dans les rapports de commission, le sentiment public se manifestait d'une manière plus énergique. Huit jours suffirent pour que les pétitions se comptassent par centaines et les signatures. par milliers. Le 24 janvier, le maréchal Bugeaud, M. Victor Grandin et quelques autres membres se succédèrent à la tribune pour déposer des pétitions réunissant ensemble plus de cinquante mille signatures. Alors, dans le parti de la prolongation, la raillerie fit place à la colère. On voulut couvrir la voix des représentants porteurs des pétitions; on voulut les contraindre à déposer ces pièces sans en indiquer l'objet. On put être surpris de voir le président de l'Assemblée s'associer à cette prétention. M. de

Mornay protesta chaleureusement contre cette interprétation du règlement contraire à la pratique de l'Assemblée actuelle et celle de toutes les Assemblées antérieures. Le règlement interdit, en en effet, de développer et d'appuyer les pétitions quand on les dépose et avant qu'elles aient subi l'examen d'une commission spéciale, mais il n'interdit pas d'en faire connaître l'objet. M. Clément Thomas se jeta malheureusement à la traverse de ce débat pour demander qu'on ne continuât pas cette guerre de pétitions, et pour annoncer que son parti était prêt à faire, lui aussi, le dénombrement de son armée. M. Bérard rappela à l'imprudent défenseur d'un parti qu'on ne saurait ainsi contester un droit aux citoyens parce qu'ils en font un usage plus ou moins désagréable à une fraction du pays. Quant au dénombrement annoncé, l'épreuve du 10 décembre et le nombre déjà formidable des signatures recueillies par le parti de la prorogation en faisaient une menace peu sérieuse.

Le 25 janvier, l'Assemblée entendit le rapport de M. Grévy. L'absolutisme des conclusions était relevé encore par le ton tranchant de ce document. Le rapport rejetait non-seulement la proposition de M. Rateau, mais encore toutes les propositions du même genre. La commission se refusait également soit à fixer un terme quelconque, prochain ou éloigné, à l'existence de la Chambre actuelle, soit même à apporter la moindre modification au décret qui avait déterminé le nombre des lois organiques. M. Grévy s'élevait surtout contre la violence morale que l'on prétendait faire à la Chambre à l'aide de ces pétitions, qui ne portaient encore que 173,000 signatures. On oubliait que l'agitation, bien. autrement restreinte des pétitions et des banquets, avait renversé une monarchie, et on s'indignait aujourd'hui d'une manifestation à coup sûr plus imposante de l'opinion publique.

Quelles considérations avaient pu déterminer la commission à conseiller la fabrication de toutes les lois organiques mentionnées dans le décret, quand on avait reconnu, et cela dans presque toutes les parties de la chambre, qu'il était convenable de réduire le nombre de ces lois, et quand on avait démontré l'impossibilité de les faire toutes, à moins que la Chambre n'en voulût compromettre la rédaction par une hâte

fâcheuse, ou qu'elle prolongeât son existence de plusieurs années? M. Grévy s'appuyait sur l'état avancé des travaux préparatoires. Peut-être se faisait-il quelque illusion à cet égard. Et d'ailleurs, des travaux préparatoires ne sont pas une loi votée après les longues discussions et les trois lectures. Où était d'ailleurs ce Code militaire? Où était encore ce Code maritime, dont la loi organique sur les armées de terre et de mer réclamerait l'exécution? Le rapport prétendait que la Constitution imposait à l'Assemblée le devoir de faire les lois organiques. C'était là une pétition de principe, car c'était la question elle-même. Et d'ailleurs, le rapport ne tardait pas à revenir sur cette affirmation sans preuves, puisque, de son aveu, l'Assemblée avait le droit de réviser le décret qui énumérait ces lois.

Une véritable raison politique était pourtant donnée par M. Grévy. Celle-là pouvait à elle seule faire juger le parti qui la donnait. L'Assemblée, disait le rapport, doit persister dans son décret, parce que l'Assemblée qui a fait la République peut seule la défendre. S'il en était ainsi, répondaient les adversaires de la prolongation, pourquoi la Constituante ne déclarait-elle pas sa perpétuité, et quand consentirait-on à livrer la République à elle-même, c'est-à-dire à la nation? On reconnaissait là le système d'isolement et de défiance des républicains de la veille. A l'Assemblée, disait-on encore, il appartenait de veiller sur les premiers pas de l'élu du peuple. Défiance injurieuse et pour l'élu et pour la nation elle-même.

A ces arguments le rapport ajoutait des considérations dont il était difficile d'accepter la gravité. Pouvait-on croire, en effet, que ce fût sérieusement que le rapport parlât du concours des républicains de la veille refusé par le ministère et de l'ardeur avec laquelle la Chambre aspirait à le dissoudre?

Le rapport de M. Grévy avait nettement formulé le débat. La question était une question de vie et de mort entre le Gouvernement et l'Assemblée. La Montagne s'empara habilement de la situation et sut compromettre l'opposition tout entière. La mise en accusation des factieux du 15 mai fut l'occasion de ce rapprochement inattendu.

La Chambre des mises en accusation et la Chambre des appels

de police correctionnelle, réunies sous la présidence de M. le premier président, rendirent, le 16 janvier, leur arrêt dans l'affaire de l'attentat du 15 mai. Tous les prévenus qui étaient compris dans l'ordonnance de prise de corps avaient été mis en accusation. Les sieurs Blanqui, Flotte, Martin dit Albert, Barbès, Sobrier, Raspail, Quentin, Degrez, Larger, Borme, Thomas, Louis Blanc, Seigneuret, Houneau, Huber, Laviron et Napoléon Chancel étaient accusés d'avoir, en mai 1848, commis un attentat ayant pour but de détruire ou de changer le Gouvernement, et d'avoir, à la même époque, commis un attentat ayant pour but d'exciter la guerre civile en portant les citoyens à s'armer les uns contre les autres.

Les sieurs Courtais, Caussidière et Villain étaient accusés de s'être rendus complices desdits attentats, en aidant et assistant avec connaissance les auteurs dans les faits qui les avaient préparés ou facilités, et dans ceux qui les avaient consommés.

Huit de ces accusés étaient contumaces; c'étaient les sieurs Louis Blanc, Seigneuret, Houneau, Huber, Caussidière, Laviron, Chancel et Villain.

Le 17 janvier, le Cabinet saisit l'Assemblée d'un projet de déeret pour que l'affaire fùt jugée sans délai par la haute-cour_nationale, qui se réunirait à Bourges. Le décret avait pour but de convoquer la grande Cour de justice, instituée par la Constitution. La cour de cassation avait déjà désigné les cinq membres qui devaient en faire partie. Le Pouvoir veillerait à la mise à exécution des autres dispositions, et notamment à la constitution du jury.

La proposition du Gouvernement établissait-elle la rétroactivité proscrite par la Constitution? Quelques représentants le pensaient. Deux autorités irrécusables justifièrent le renvoi devant la haute cour de justice. M. Baroche démontra que la rétroactivité a été toujours et nécessairement admise par les diverses législations, sous le rapport criminel et de competence. M. Dupin aîné traita à fond les principales questions de jurisprudence qui se rattachaient à la proposition. La haute cour, dit M. Dupin, est compétente, quoique le fait ait été commis avant la rédaction de la Constitution. Un amendement proposé sur l'art. 111, en vue précisément d'exclure la compétence de la haute cour, a été rejeté

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