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CHAPITRE VI.

PRÉLUDES RÉVOLUTIONNAIRES.

Agitation dans Paris, lutte entre l'Assemblée et le cabinet dans la Chambre, lutte entre la démagogie et le président dans les journaux et dans les clubs. -M. Proudhon et le journal Le Peuple. Insultes adressées au prési dent. La Solidarité républicainé. - Protestation contre l'arrêt de renvoi des accusés du 15 mai. — Réorganisation des sociétés secrètes, comités électoraux. — Fermeture de quelques clubs, mesures de prudence. — L'armée et les gardiens de Paris. — Projet interdisant les clubs, commission hostile au projet, rapport de M. Senard, rejet du projet, mise en accusation du ministère, M. Ledru-Rollin, protestation des journaux démagogiques. Agitation dans la rue. - - Recherche d'un prétexte à la sédition. - Décret sur la Garde mobile, tentative d'émeute au cours de M. Lerminier, M. Changarnier et la Garde mobile, défense de Paris, imminence d'un conflit.

Si, à l'intérieur de l'Assemblée, par un reste de respect pour les convenances parlementaires, la lutte semblait être entre le parti révolutionnaire et le Cabinet, au dehors, dans les journaux, dans les clubs, c'était surtout contre le président qu'on dirigeait les attaques. Un journal, rédigé par un de ces écrivains qu'on pourrait croire décidés à engager leur propre parti jusqu'à l'amener habilement à sa perte, le Peuple proclamait les intentions secrètes de l'extrême gauche. La majorité, disait-il, pouvait, en un tour de scrutin, faire de l'élu de 5 millions et demi de suffrages le bras et l'organe obéissant de l'Assemblée. Alors le président n'aurait plus qu'à résigner ses pouvoirs à la grande joie de la démocratie militante pour laquelle le président c'était la corruption, la monarchie. C'était ainsi que ce parti, qui en appelait sans cesse à la Constitution, respectait lui-même son œuvre. On lisait dans ce pamphlet quotidien ces phrases violentes :

« Incapacité de naissance, ambition de bas étage, personnification de toutes les idées réactionnaires... L. Bonaparte, élu sans titres à la présidence de la

République, conspire avec toutes les coteries monarchiques... Traître revêtu de Ja plus haute fonction de l'Etat... Il organise la banqueroute sociale et la misère du peuple par l'obstination calculée de son Gouvernement à résister à toute réforme financière et économique..... Il a osé défier l'Assemblée, en signifiant aux représentants l'ordre de se dissoudre. Eh bien! la Révolution a relevé le gant. Le cartel est accepté : à lundi le combat. Que l'Assemblée ose compter sur ellemême; qu'elle compte sur le peuple de Paris, et la victoire ne sera pas un instant douteuse. Louis Bonaparte a posé la question de la dissolution de l'Assemblée. A la bonne heure! lundi prochain l'Assemblée posera à son tour la question de la démission du président. »

Le Peuple, 26 janvier.

Trahison adroite ou imprudence grossière, on dévoilait ainsi la conspiration qui s'ourdissait secrètement contre la société.

Tandis que le rapport de M. Grévy proclamait l'Assemblée actuelle seule capable de veiller sur la République, les démagogues se donnaient à eux-mêmes la mission de veiller sur l'Assemblée. Une société secrète s'organisait sous le nom de Solidarité répu blicaine. Elle avait d'abord étendu ses rameaux dans la capitale, et de là elle se propageait dans les départements. On essayait de fonder un État dans l'État.

Ce n'était pas tout. D'autres démagogues protestaient contre un vote de l'Assemblée, et élevaient la prétention de déférer par voie d'appel la loi votée par la Chambre sur les accusés du 15 mai, à cette tourbe révolutionnaire décorée du nom de peuple de Paris. Ils signaient une protestation factieuse dont voici le texte :

PROTESTATION DU PEUPLE DE PARIS.

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Attendu que le décret voté par l'Assemblée le 22 janvier, sur la proposition du président et du ministère, enlève les accusés de mai à leurs juges naturels; » Que la haute cour est un tribunal politique et exceptionnel, institué d'ailleurs six mois après les faits du 15 mai;

>> Attendu que ce décret porte atteinte « aux droits antérieurs et supérieurs à la loi positive, »> reconnus dans la Constitution elle-même (art. 3 du préambule),

» LE PEUPLE DE PARIS

>> Proteste contre le renvoi des accusés de mai devant le tribunal exceptionnel de Bourges.

>> Il engage les détenus de Vincennes à récuser cette juridiction politique et rétroactive et à s'abstenir de toute défense collective ou individuelle.

>> Il engage les accusés contumaces à ne point se livrer au jugement des ennemis de la République.

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Le parti vaincu dans le scrutin du 10 décembre ne laissait passer aucune occasion de faire sentir sa supériorité de nombre dans l'Assemblée. S'agissait-il de nommer les présidents et les secrétaires de bureau, les choix étaient pris exclusivement dans l'opinion ennemie. Il en était de même pour les commissions. On créait, par cette conduite, des embarras continuels au Pouvoir; on l'accablait sous des interpellations dont le but évident était d'arrêter la marche des affaires publiques. Pais, empruntant les traditions d'un autre régime, on cherchait à faire revivre des règles applicables à une situation différente, en faisant entendre au Cabinet qu'il ne se trouvait pas dans une situation parlementaire.

Cependant l'imminence d'un conflit redoublait l'agitation dans les bas-fonds de la démagogie. Les sociétés secrètes qui avaient survécu à la Révolution de Février s'étaient, depuis le décret du 28 juillet sur les clubs et les associations, recrutées et organisées tant à Paris que dans les départements, sous forme de comités électoraux. De graves conflits avaient éclaté entre quelques-unes de ces associations à l'occasion de l'élection du président; mais, vers la fin de l'année 1848, un rapprochement s'était opéré, et des associations d'abord hostiles, s'étaient réunies pour réchauffer, à l'aide de publications, de discours, d'adresses, de banquets, l'ardeur révolutionnaire. La fermeture récente de quelques clubs avait violemment surexcité l'impatience de quelques chefs, et leur intention était de profiter des conflits qui pourraient s'élever à l'occasion de l'ouverture, depuis quelque temps annoncée, d'un nouveau club, pour faire descendre dans la rue les corporations affiliées et un certain nombre d'anciens embrigadés des ateliers nationaux. Sans doute, le Gouvernement veillait. Les troupes, sous les ordres du général Changarnier, étaient animées du meilleur esprit, et prêtes à se porter sur tous les points au premier signal. L'autorité s'occupait de la réorganisation des gardiens de Paris. Un nouveau corps de police, recruté parmi ceux des anciens soldats ayant les meilleurs états de service, allait être prochainement constitué. Mais l'opinion publique n'en était pas moins vivement inquiétée le crédit en était affecté, et c'était là déjà une victoire. pour la démagogie.

En présence de ces menaces du parti révolutionnaire, le Gouvernement ne pouvait hésiter à organiser sa défense. Le 26 janvier, M. le ministre de l'Intérieur présenta à l'Assemblée un projet de loi qui interdisait formellement les clubs et toute réunion publique qui se tiendrait périodiquement ou à des intervalles réguliers pour la discussion de questions politiques. Le Gouvernement de la République avait enfin reconnu que ces sortes de réunions, dont la publicité est un mensonge, sont le fléau de la liberté et l'élément destructif de toute société. Les clubs donnent, en effet, un enseignement sans publicité, sans contradiction possible, sans contrôle, qui a la violence pour principal élément de succès, et le recrutement des sociétés secrètes pour seul objet et pour seul résultat pratique. Ils ne sont jamais isolés les uns des autres, et, le jour où ils correspondent entre eux, ils forment un Gouvernement en face du Gouvernement, un État dans l'État. L'existence des clubs est donc incompatible avec l'existence d'un Gouvernement régulier.

Déjà, lors de la discussion de la loi du 28 juillet, beaucoup avaient pensé que cette loi ne donnait à la société que des garanties insuffisantes, et l'Assemblée, qui se montrait toute disposée à augmenter ces garanties, ne s'était arrêtée que devant les déclarations du ministère d'alors, qui préférait tenter l'épreuve d'une liberté limitée succédant à la licence absolue. Mais à peine la loi avait-elle été mise en vigueur que son impuissance avait apparu au grand jour. On se rappelle que, dans les derniers jours qui précédèrent sa retraite, M. Dufaure, parlant au nom du Cabinet dirigé par le général Cavaignac, avait prévu la nécessité que M. Léon Faucher venait courageusement proclamer aujourd'hui.

La discussion d'urgence que le ministre réclama sur son projet n'était que trop justifiée par l'agitation croissante et par les projets menaçants des clubs. Un rapport sur l'urgence fut donc décidé par la Chambre à une forte majorité, sans autre incident qu'une violente sortie de M. Gent, l'un des membres les plus exaltés de la Montagne.

La commission, immédiatement nommée dans les bureaux, fut, en grande majorité, défavorable au projet du ministère, et par conséquent à l'urgence. Constituée sous la présidence de

M. Liechtenberger, la commission, par l'organe de M. Senard, déposa son rapport le 27 janvier. Ce fut un singulier spectacle que celui du président de la Chambre pendant les journées de juin, du ministre de l'Intérieur pendant l'état de siége et sous le régime de la suppression facultative des journaux, de M. Senard, se prononçant pour la liberté des clubs. M. Odilon Barrot se contenta de faire appel à la conscience de l'Assemblée. Les conclusions du rapport contre l'urgence furent soutenues par M. LedruRollin. Sur la demande de quarante membres, la Chambre procéda au scrutin secret au milieu d'une agitation extrême. L'urgence fut rejetée à la majorité de 418 voix contre 342.

Aussitôt après le vote, une demande de mise en accusation contre le ministère fut déposée par M. Ledru-Rollin : c'était le commentaire naturel du vote de la Chambre. Puisqu'il n'y avait pas d'urgence à relever les affaires et le crédit, à rassurer la société, le ministère était en effet coupable aux yeux de l'Assemblée.

Voici le texte de la proposition déposée par M. Ledru-Rollin sur le bureau de l'Assemblée :

« Attendu que la politique anti-républicaine du ministère vient de se manifester par un fait attentatoire aux droits des citoyens et au principe fondamental de la souveraineté du peuple;

» Attendu que le droit de réunion est un droit naturel et un droit politique écrit et consacré dans la Constitution de la République française ;

» Attendu que, par le projet de loi présenté, hier 26 janvier, sur la suppression des clubs, le ministère s'est rendu coupable d'un acte qui est la violation flagrante des articles 8 et 51 de la Constitution;

» Attendu que le ministère est responsable de ses actes, suivant l'art. 68 de la Constitution, les représentants du peuple soussignés demandent la mise en accusation immédiate des ministres et leur renvoi devant la haute cour nationale, pour y être jugés conformément à l'art. 91 de la Constitution.

Paris, le 27 janvier 1849.

» Ont signé : MM. Pierre Leroux, Astaix, Martin-Bernard, Démosthènes Ollivier, Alphonse Gent, Félix Pyat, Clément, Brives, Mathieu (de la Drôme), Benoist, Greppo, Ledru-Rollin, Doutre, Gambon, Proudhon, Pégot-Ogier, Malé ainé, Joigneaux, Joly fils, Joly père, Cholat, Bertholon, Fargin-Fayolle, Terrier, Lefranc, Buvignier, Deville, Amédée Bruys, Ménand, Félix Mathé, Baune, Signard, Robert (de l'Yonne), Charles Dain, James Demontry, Pelletier, V. Schoelcher, Detours, Th. Bac, Toussaint-Bravård, Eugène Raspail, Viguerte, Germain Sarrut, Lamennais, Dubarry, Méchain, Perdiguier, Madet. »

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