Slike stranica
PDF
ePub

d'une violente réaction d'opinion qui eût rendu un coup d'État non-seulement facile, mais nécessaire. Les républicains sincères et intelligents n'ont pas à se repentir de s'être enfin séparés de la Montagne dans cette circonstance : leur modération a été une bonne et saine politique, et si la République devait périr un jour, ce n'est pas du moins à une aveugle obstination. de leur part qu'on peut l'attribuer.

Quant à moi, je pouvais considérer ma mission comme terminée, car le but principal pour lequel j'avais consenti à prendre le pouvoir était atteint. Plût à Dieu qu'il m'eût été permis alors de rentrer dans la vie privée, j'y aurais emporté la conscience d'avoir rendu un grand service à mon pays, sans aucun amer souvenir.

ADMINISTRATION INTÉRIEURE. ORGANISATION JUDICIAIRE.

On a pu voir par ce récit que les débats de la tribune, les délibérations du conseil, les préoccupations de la rue, les mille incidents qui, chaque jour, exigeaient mon intervention, me laissaient bien peu de temps pour les affaires ordinaires de mon ministère, et cependant j'avais à réorganiser tout le personnel de la magistrature qui, aux termes de la Constitution, devait recevoir une nouvelle institution. J'avais surtout à m'occuper du ministère public, qui avait beaucoup plus encore que la magistrature assise subi le contrecoup de la révolution du 24 Février: les parquets du gouvernement précédent avaient, selon leur habitude, fait du zèle, ils s'étaient trouvés engagés dans une lutte ardente et passionnée contre la presse militante: les

passions contre lesquelles ils avaient sévi avaient triomphé à leur tour le 24 Février, et elles avaient pris naturellement leur revanche. Le ministère public avait été renouvelé à peu près en entier sous le gouvernement provisoire, et plus d'un orateur de club, plus d'un membre des sociétés secrètes était passé des bancs de l'accusé où il était la veille sur le siége du magistrat. Il était impossible de rétablir l'ordre avec de tels instruments mon premier soin fut d'avertir tous les procureurs généraux, par une circulaire, du changement qui venait de s'opérer dans la direction politique du gouvernement, et d'annoncer la résolution bien arrêtée de ne plus permettre aucune pactisation avec le désordre, de rétablir enfin l'autorité des lois envers et contre tous.

Quant à la réorganisation du personnel, elle offrait de grandes difficultés. J'étais d'avance résigné à m'attirer les clameurs et les haines de la Montagne, en destituant ceux de ses amis qui, en grand nombre, s'étaient glissés dans les parquets; mais, d'un autre côté, je ne pouvais ni ne voulais faire de la contre-révolution, et je ne pouvais remettre en place, indistinctement, tous les magistrats du ministère public que la révolution du 24 Février avait destitués. Je sortis de cet embarras en laissant à l'écart les plus compromis, soit dans un sens, soit dans un autre, et en changeant de siége ceux qui, au moyen d'un déplacement, pouvaient être enlevés à l'influence de leur passé et rendre encore d'utiles services. Mes choix furent généralement approuvés, et, je dois le reconnaître, je n'ai eu, de mon côté, qu'à me louer du loyal et courageux concours, que, sauf quelques rares exceptions, j'ai trouvé dans la magistrature pendant mon ministère.

Il est vrai que je m'attachais à montrer en toute circonstance que, si nous exigions beaucoup du dévouement de nos agents, nous savions les soutenir et

les protéger au besoin avec énergie contre d'injustes agressions. Le meurtre d'un procureur de la République dans une des villes du Midi m'offrit l'occasion d'honorer avec éclat en lui le martyr du devoir. Je présentai un projet de loi pour assurer, à titre de récompense nationale, une pension à la famille de ce magistrat tombé dans l'exercice de ses fonctions, et cel projet fut adopté sans discussion.

Si nous avions à exciter et à soutenir le dévouement des uns, nous avions aussi à contenir le zèle exagéré et souvent très-mal inspiré des autres; et cela, dans toutes les branches du gouvernement: depuis le plus simple commissaire de police jusqu'aux généraux qui commandaient nos armées. Ceux-ci faisaient des ordres du jour dans lesquels ils se permettaient des excursions dans la politique. Un avertissement sévère du ministre de la guerre leur rappela que ces excursions étaient contraires à leurs devoirs militaires. Le maréchal Bugeaud se faisait surtout remarquer par son intempérance de langage: un ordre du jour adressé par lui à l'armée des Alpes annonçait aux soldats qu'ils eussent à se tenir prêts à marcher contre Paris si des troubles s'y manifestaient, et que, pour être plus à portée, il avait établi son quartier général à Bourges. Dans une réunion officielle, cédant à cette habitude d'excentricité qui le caractérisait et dont sa correspondance avec moi était remplie, il avait été jusqu'à diriger une attaque contre la législation pénale qui admet les circonstances atténuantes et contre les jurés, qui, selon lui, avaient recours trop souvent à ce mode d'atténuation. Ces paroles, publiées dans les journaux, avaient donné lieu à des interpellations de la Montagne, qui m'appelèrent à la tribune. Je n'hésitai pas, bien entendu, à couvrir le maréchal et à le justifier; mais je l'avertis par lettres de ne plus nous créer de tels embarras.

En outre, quelques officiers durent être punis pour s'être permis d'assister à des banquets ou à des clubs, et des régiments que le socialisme avait travaillés par ses influences furent éloignés de Paris: par ces moyens nous parvinmes à rétablir la discipline dans l'armée.

De grands désordres existaient également dans l'administration, et nous dûmes y pourvoir; quelques exemples éclatants avertirent les fonctionnaires de l'ordre administratif que nous entendions que leurs devoirs fussent par eux pris au sérieux et remplis strictement. La destitution d'un ou deux préfets qui s'étaient permis de se rendre à Paris sans congé fut insérée au Moniteur et fut un utile avertissement pour tous les autres agents.

Les pouvoirs municipaux, dont le Gouvernement. provisoire avait fait des instruments révolutionnaires, avaient surtout besoin d'être rappelés à l'esprit de leur institution.

Plusieurs conseils municipaux, les gardes nationales de quelques villes furent frappés de dissolution pour n'avoir pas fait leur devoir dans des émeutes.

La presse, qui était en état de provocation incessante à la révolte, appelait aussi des exemples d'une sévérité devenue trop nécessaire: une demande en autorisation de poursuite fut présentée contre le fameux Proudhon, qui, sous prétexte que la majorité de l'Assemblée s'était prononcée dans quelques circonstances contre les actes du gouvernement, s'était permis d'écrire dans un journal que le peuple était délié de tout devoir d'obéissance envers le chef de l'État.

Dans l'ordre matériel, nous reprenions l'achèvement du Louvre, de la rue de Rivoli; nous pressions vivement les travaux des chemins de fer et nous nous préparions à améliorer le sort des compagnies pour relever leur crédit si intimement lié au crédit de l'État.

Le résultat de cet ensemble de mesures fut un re

tour, sinon complet au moins très-marqué, vers la sécurité et la prospérité : l'industrie et le commerce reprenaient leur activité. Les ateliers se rouvraient à mesure que les clubs se fermaient; la circulation des capitaux se rétablissait, les impôts se percevaient avec plus de facilité, les étrangers reprenaient le chemin de Paris, et la rente, ce signe de la confiance publique, se relevait progressivement.

Mais ce n'était pas assez de rétablir l'ordre matériel dans la société ; je tenais à marquer mon passage au pouvoir par quelques réformes utiles dans notre législation; j'instituai à la chancellerie des commissions dans lesquelles j'appelai les hommes les plus éminents et les plus éclairés, pris indistinctement dans tous les partis, et les chargeai d'étudier plusieurs projets dont quelques-uns sont devenus des lois : telles, par exemple, la loi sur l'assistance judiciaire des pauvres et celle sur les modifications du régime hypothécaire.

Une bonne loi sur l'organisation de la justice en France, laquelle rentrait plus spécialement dans mes fonctions, eût suffi à elle seule pour absorber toutes mes pensées et occuper tout mon temps: elle avait été l'objet des méditations de toute ma vie. Appelé pendant ma longue et laborieuse carrière d'avocat à la Cour de cassation à observer de haut et dans leur ensemble tous les rouages de cette vaste machine, mes idées étaient bien arrêtées sur les vices qu'elle présente et sur les profondes modifications qu'il faudrait lui faire subir. J'avais, dans la commission parlementaire chargée d'examiner le projet de réorganisation présenté par mon prédécesseur et dans la commission de constitution, exposé et même fait adopter en partie mes idées sur cette réorganisation: j'ai dit les motifs qui avaient empêché que ces idées ne fussent réalisées. Devenu ministre, j'aurais pu retirer le projet de loi de M. Crémieux, et lui substituer un nouveau projet dans

« PrethodnaNastavi »