Slike stranica
PDF
ePub

leur faiblesse, ils se trouvèrent de beaucoup inférieurs, sous tous les rapports politiques et sociaux, aux gouvernements laïques. Les conséquences de ce fait ne pouvaient manquer de se produire; les gouvernements cléricaux disparurent successivement, les uns par les vicissitudes de la guerre et par les traités qui se concluent ordinairement aux dépens du plus faible, les autres par des révolutions intérieures. Un seul restait debout au commencement de ce siècle, celui du Pape. C'est qu'aussi cetté institution de la papauté, comme puissance temporelle, avait sa raison d'exister et de durer dans une cause bien autrement générale et permanente que dans le besoin des peuples d'être protégés contre des jours passagers d'ignorance et de barbarie; sans remonter à la fameuse donation de Charlemagne, ni discuter les libéralités de la princesse Mathilde ou la légitimité des conquêtes des Borgia, la domination temporelle des papes sur les États romains dans nos temps modernes puisait sa force et son droit dans cette conviction universelle, qui ne rencontrait guère alors de contradiction en Europe, que l'unité du catholicisme est invinciblement liée à l'indépendance du chef de l'Église romaine comme souverain temporel. Les gouvernements voyaient, en outre, dans l'indépendance des papes une garantie de l'équilibre qu'ils étaient intéressés à maintenir entre eux, équilibre qui eût été rompu le jour où le pape eût été le subordonné de l'un d'eux. En outre, les clergés de chaque grand État catholique de l'Europe trouvaient au besoin dans la papauté un point d'appui contre les entreprises de leurs gouvernements respectifs; les peuples eux-mêmes avaient un grand intérêt à cette indépendance de la papauté, car elle leur assurait chez eux la séparation des deux pouvoirs spirituel et temporel, ce grand bienfait du christianisme, ce gage précieux de progrès et de liberté.

C'est ce qui explique comment ce pouvoir temporel et souverain des papes s'est maintenu intact au milieu de ses luttes contre l'Empire, de ses guerres contre les différents États de l'Italie, de ses scandales et de ses schismes, tantôt foulé aux pieds, tantôt se redressant et dominant ses ennemis, et a pu arriver ainsi jusqu'à nous, modifié, affaibli, sans doute, mais encore assez puissant pour que nul n'ose y toucher sans craindre d'ébranler le monde. Toutefois, ce gouvernement papal qui, naguère, pouvait se dire la plus vieille et la plus solide monarchie de la terre a subi, à son tour, la loi du temps; déjà amoindri, mutilé, par sa grande lutte contre la réforme, nos révolutions de France ont achevé de le miner.

La première de ces révolutions, celle de 1789, après avoir chassé le pape de Rome, finit par en faire le prisonnier du premier Napoléon; la seconde révolution, celle de 1830, après avoir provoqué le soulèvement des Romagnes, enfonça les portes d'Ancône, prit possession de cette ville, et fit de la réforme du gouvernement temporel du pape une question européenne.

La dernière, celle de 1848, s'annonçait d'abord sous des auspices plus favorables à la papauté; Pie IX, qui occupait alors le trône pontifical, soit qu'il fût entraîné par ce courant général des idées qui, à ce moment, portaient les gouvernements comme les peuples vers des institutions libres, soit qu'il sentit que, pour ne pas être emporté par le mouvement, il fallait en prendre la direction, entra résolument et avec éclat dans la voie des réformes; il se prononça même contre la domination autrichienne et l'on vit, comme au temps des Guelfes et des Gibelins, les troupes du Saint-Père combattre les barbares étrangers aux cris de: « Vive l'indépendance de l'Italie ! » Aussi, jamais popularité ne fut-elle plus grande à ce moment que celle de Pie IX, non-seulement en Italie, mais dans le

monde entier; popularité, hélas! bien éphémère. Les événements devaient reprendre bientôt leur cours naturel et forcé.

On sait comment le roi de Piémont Charles-Albert, après avoir chassé les Autrichiens de la Lombardie jusques et par de là les rives du Mincio, avait été repoussé à son tour, et s'était vu obligé de rentrer dans les anciennes limites de son royaume, sous la protection d'un armistice et de la médiation anglo-française; le Pape, effrayé des excès du parti révolutionnaire en Italie, des menaces d'un schisme en Autriche, et peutêtre aussi mécontent des procédés et des vues ambitieuses du Piémont, n'avait pas attendu cette défaite de l'armée piémontaise pour se rétracter, et dans sa fameuse Encyclique du 29 avril 1848 il avait déclaré que, comme père commun des fidèles, ministre de paix et de conciliation, il ne pouvait ni ne devait prendre aucune part dans la guerre engagée entre le Piémont et l'Autriche. Ce revirement politique, suivi bientôt du rappel par le roi de Naples de ses troupes et de la retraite du grand-duc de Toscane en Autriche, laissèrent les passions révolutionnaires sans guide et sans frein dans toute l'Italie. Ces passions s'exaspérèrent par l'humiliation de la défaite et par le désespoir d'une nationalité entrevue et perdue; elles firent explosion à Rome par des insurrections et des violences qui forcèrent le Pape à fuir et à chercher un asile dans les États du roi de Naples.

Telle est la série d'événements qui nous plaçaient, à notre tour, en face du grand et redoutable problème de la conciliation à trouver entre le pouvoir temporel des papes et les besoins de la civilisation moderne. Prendrions-nous parti pour la révolution contre ce pouvoir ou pour ce pouvoir contre la révolution? l'une et l'autre solutions étaient pleines de dangers.

Il faut le dire, les dispositions de l'opinion publique

en France étaient alors toutes favorables au maintien du gouvernement de Pie IX; aussi, lorsque le général Cavaignac, aux premiers bruits des dangers que courait ce pontife à Rome, avait proposé d'envoyer une brigade à Civita-Vecchia pour le protéger, cette proposition, sauf quelques observations critiques de M. Ledru-Rollin, n'avait rencontré aucune opposition sérieuse, et plus tard c'est avec l'assentiment unanime de l'Assemblée que M. Marrast, son président, avait exprimé les sentiments de respect et de sympathie de la République française pour le Saint-Père; notre politique était donc d'avance engagée sur cette pente; mais ce qui nous interdisait absolument de reconnaitre la nouvelle République romaine, c'était, d'une part, les antécédents odieux dont elle était sortie, et, d'autre part, les liens de complicité et de solidarité qui s'étaient aussitôt formés entre elle et nos jacobins de France; raisons parfaitement indépendantes de la question du pouvoir temporel des papes. Au moment donc où M. Ledru-Rollin nous interpellait, il n'y avait encore de résolu dans le conseil qu'une seule chose c'est que le gouvernement français, à l'exemple du gouvernement piémontais et de tous les autres gouvernements réguliers de l'Europe, se refuserait péremptoirement à reconnaître la République romaine.

M. Drouyn de Lhuys, dans un discours très-explicite sur ce qui avait été résolu par le cabinet et prudemment réservé sur ce qui était encore en question, déclara « que le gouvernement français n'entendait admettre aucune solidarité entre la République française et toutes les insurrections qui éclateraient en Europe; qu'avant de crier Vive la république! il demanderait laquelle ? Que la France ne mettrait pas sa fortune à la suite de la Constituante italienne... » Ces déclarations étaient accueillies par les applaudissements de la droite et par les murmures de la gau

che. Le ministre ajoutait, sur les conséquences religieuses et politiques de la révolution romaine, qu'il considérait comme un grand mal le trouble qu'elle avait jeté dans toute la catholicité; que l'Europe s'en était émue et que la France n'y pouvait rester indifférente; qu'il surgissait de cet événement une question fort délicate, la nécessité de concilier le pouvoir temporel du Pape avec son pouvoir spirituel; problème difficile et dont on chercherait la solution tant qu'il y aurait dans le monde des âmes et des corps; que le gouvernement accueillerait avec sympathie tous les plans qui pourraient conduire au rétablissement de la paix et de l'ordre au sein de la catholicité, que la France choisirait son jour et son heure pour agir, et que, lorsque le gouvernement aurait adopté une solution qui exigerait le concours de l'Assemblée, des propositions lui seraient soumises par le ministère; mais que, jusque-là, il demandait la permission de se refuser à toutes explications prématurées. >>

Le débat qui s'ouvrit après ce discours, si différent par sa sage réserve de ceux qui, sous le gouvernement précédent, traitaient les questions diplomatiques, offrit cette particularité que le gouvernement du Pape trouva des auxiliaires du côté où il devait le moins en attendre. M. Coquerel, ministre protestant de Paris, après avoir fait l'éloge de Pie IX, déclara «< qu'au point de vue de la morale, comme à celui de la politique, si la République française rétablissait le Pape, elle ferait bien. Que, comme protestant, il désirait sans doute la fin de la papauté, mais par le choix libre des convictions et non par des révolutions violentes; qu'il ne croyait pas qu'un peuple fût capable d'être républicain, quand il inaugurait sa république par un assassinat impuni. » Ces paroles si élevées, si impartiales étaient couvertes par les applaudissements d'une grande partie de l'Assemblée.

« PrethodnaNastavi »