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ceux qui me demandaient ce que je ferais si j'étais obligé de quitter Paris; et quant aux propos outrageants qu'on me prête envers les bourgeois de Paris, je n'ai jamais, moi, enfant de Paris, insulté par mes paroles une population à laquelle je dois 140,000 suffrages. Quant à mon absence tant reprochée du Palais-Bourbon, le général de Lamoricière était engagé et demandait des renforts : il se formait sur sa droite, dans le faubourg du Temple, de redoutables barricades je conduisis moi-même sept bataillons contre ces barricades, qui ne furent enlevées qu'après trois heures d'un combat opiniâtre, et c'est pour cela que je ne suis rentré au Palais-Bourbon que vers sept ou huit heures du soir. Si j'en suis sorti presque aussitôt, ç'a été pour me rendre au ministère de la guerre et y donner des ordres pour l'action du lendemain, en conséquence de ce que je venais de voir par moi-même; puis, je me suis rendu à l'Hôtel de Ville pour y voir le général Bedeau, qui était blessé, lui amener le général Duvivier, chargé de le remplacer, et m'assurer de l'état des choses sur ce point important; de là, je me suis rendu à la place de la Sorbonne, où était le quartier général Damesme. Le général était rue de la Harpe, j'y allai: je le trouvai assis sur une borne. Je n'ai donc pas été au ministère, comme on l'a dit, pour dormir; je suis rentré à la Présidence vers deux heures du matin : j'ai voulu, en effet, aller dans ce moment dormir au ministère; mais un membre de la commission s'y est opposé, et j'ai dormi sur un canapé à la Présidence. Voilà tout.

Le général de Lamoricière lui crie: Et l'artillerie de Vincennes? et alors il explique qu'il ne prévoyait pas, quand la lutte a commencé, qu'on y brûlerait 2,100,000 cartouches. Il y avait à l'École militaire 300,000 cartouches seulement, ce sont celles que les soldats avaient dans leurs gibernes. Or, cet approvisionnement a fondu comme la neige; il a donc fallu envoyer à Vincennes. Il explique les détours qu'il a fallu faire, les obstacles qu'il a fallu tourner ou surmonter pour faire arriver le convoi et il justifie ainsi le long retard que ce convoi avait dû subir (neuf heures trois quarts pour l'allée et le retour).

Ces détails, donnés avec une simplicité et une franchise toute militaire, étaient écoutés avec avidité par l'Assemblée, mais l'intérêt redoubla lorsque le général annonça qu'il abordait la partie de l'accusation qui incriminait son honneur:

J'ai plaidé jusqu'à présent sur des faits, dit-il, j'ai fait l'avocat; maintenant, il s'agit de mon honneur: je vais parler en soldat. Jusqu'au 22 juin, il n'a été fait aucune démarche auprès de moi qui eût un caractère officiel des communications officieuses m'avaient été faites; je ne les ai pas laissé ignorer à la commission, tout en l'engageant à rester à son poste. Le 22, à six heures, trois de mes collègues (j'ai oublié leurs noms, c'est une de mes infirmités que mon manque de mémoire) (c'étaient MM. Landrin, Ducoux et Latrade) vinrent me demander si j'étais disposé à accepter le pouvoir; je leur répondis que je n'entrerais dans aucune commission exécutive, que je devais même les avertir que je me croyais obligé d'informer la commission, dont ils étaient les amis, de leur démarche : vous voyez que je ne jouais pas cartes sous table. Lorsqu'il fut question de la démission de la commission exécutive, un de ses membres avait proposé de décider que tous, y compris les ministres, s'engageraient à ne pas rentrer au pouvoir; je me refusai formellement à prendre cet engagement et déclarai que j'entendais rester libre. Maintenant, suis-je à vos yeux un traître, un ambitieux, qui, pour arriver au pouvoir, a compromis le salut de la société ? Avez-vous de nouveaux faits? produisez-les : je les discuterai; vous le voyez, quoique peu fait à ce genre de combat, la force de la vérité m'est venue en aide. Je plaiderai encore ce soir, toute la nuit, s'il le faut (Vive approbation); mais il faudra bien en venir enfin à préciser l'accusation, et alors ce n'est plus l'avocat, comme je vous le disais, c'est le soldat qui vous répondra, et vous l'entendrez! (Longs applaudissements. Le général est félicité de toutes parts.)

La force et la noble simplicité de ce langage avaient produit une profonde sensation dans l'Assemblée et dérouté complétement les amis de l'ancienne commission exécutive.

M. Bixio lui-même, l'un de ceux qui avaient encouragé M. Barthélemy Saint-Hilaire dans son attaque, ne monta à la tribune que pour désavouer avec énergie toute accusation contre le général Cavaignac de s'être frayé un chemin sanglant vers le pouvoir et pour déclarer qu'il croyait avec la nation entière qu'il avait sauvé la République et la société; il ajouta toutefois qu'il avait pensé et qu'il persistait à penser encore qu'il eût mieux valu attaquer l'émeute 'tout de suite et de front avant de lui laisser le temps de s'étendre.

La séance, suspendue à six heures et demie, est reprise à huit heures.

M. Barthélemy Saint-Hilaire remonte à la tribune. pour rejeter surtout la pensée d'avoir voulu reprocher au général une trahison; seulement le général a commis, dit-il, des fautes dont la commission seule a supporté la responsabilité il y avait déjà dans ces paroles une sorte de rétractation que le général déclare ne pas admettre; il en attend, dit-il, une plus explicite.

M. Garnier-Pagès, à son tour, monte à la tribune et, comme il y est accueilli par des murmures, il s'en plaint amèrement : « C'est comme dans l'ancienne Chambre de M. Guizot, dit-il, et cependant si quelqu'un mérite d'être écouté avec calme, ce sont ceux qu'on a forcés de parler malgré eux. » (Parler, cela se peut, mais qui les forçait d'écrire ?) Puis l'orateur résume et concentre tous ses griefs contre le général en un ridicule reproche d'ingratitude. « Vous que nous avions fait gouverneur de l'Algérie, ministre de la guerre, vous ne défendez pas la commission quand elle est attaquée, vous acceptez sa dépouille au premier mot! »

Ainsi, le véritable crime du général c'était d'avoir consenti à succéder à la commission, et dans quelles

circonstances! Le débat se trouvait, par là, réduit à de bien misérables proportions.

Le général Cavaignac se contente d'opposer à cet étrange reproche d'ingratitude ces paroles dédaigneuses: « Je laisse au pays à apprécier ce que j'ai pu devoir à M. Garnier-Pagès!» Paroles suivies de l'approbation à peu près générale de l'Assemblée : Un grand et légitime orgueil venait d'écraser une sotte et puérile vanité1!

M. Dupont (de l'Eure) proposa l'ordre du jour sui

vant:

« L'Assemblée, persistant dans le décret du 28 juin 1848 ainsi conçu: Le général Cavaignac a bien mérité de la patrie, passe à l'ordre du jour, » et cette proposition est accueillie par l'énorme majorité de 504 voix contre 34.

Le triomphe du général était complet et éclatant. Il avait, sans doute, ressenti cette noble ambition des grandes âmes pour lesquelles le pouvoir reçoit du

1. M. Landrin vient confirmer que, lorsqu'il est allé trouver le général pour savoir s'il accepterait le pouvoir, celui-ci avait fait la condition que la commission serait prévenue de cette démarche, et qu'elle l'avait été en effet; qu'il n'y avait là de complot d'aucun côté, que la commission au bout de deux mois était usée, qu'elle avait perdu la confiance du pays, que ses amis et lui, bien qu'ils eussent contribué à la former, durent reconnaitre qu'un pouvoir aussi peu homogène ne pouvait subsister plus longtemps; qu'ils durent agir en conséquence de cette conviction.

M. Ledru-Rollin eut le triste courage de prolonger ce débat: Où étaient, dit-il, ces 20,000 hommes que le général Cavaignac avait concentrés sous sa main? on ne les a vus nulle part le 22 juin.

Le général Bedeau lui répond que, lorsqu'en exécution du plan d'avance concerté entre les généraux Cavaignac, Lamoricière et lui, il se rendit à l'Hôtel de Ville, il y trouva neuf bataillons, le 10e bataillon ayant été intercepté par les barricades du pont d d'Austerlitz: qu'il eut immédiatement ces forces à sa disposition, que le but principal c'était de couvrir l'Assemblée, la tête et le cœur de la République (que n'avait-il eu la même pensée au 24 février). Le général Cavaignac ajoute que concentration ne signifie pas réunion matérielle dans

danger même un nouvel attrait, mais il n'y avait rien dans ce sentiment qui pût ternir son honneur.

Ces attaques, venant toutes du même côté, devaient naturellement porter le général à se rapprocher de plus en plus du parti conservateur, et déjà, par l'intermédiaire du général de Lamoricière, quelques démarches avaient été faites pour donner à ce rapprochement une sorte de consécration parlementaire; il avait été convenu que le général, à un jour donné, monterait à la tribune et y ferait un appel solennel au concours des opinions libérales et modérées de l'Assemblée. Je devais répondre à cet appel et promettre le concours demandé. Les rôles étaient ainsi d'avance bien tracés.

Au jour convenu, le général monte, en effet, à la tribune, l'attention et la curiosité générales étaient excitées au plus haut degré ; j'étais prêt à remplir loyalement l'engagement que j'avais pris, lorsqu'à notre grande surprise, le général, au lieu de cet appel net et catégorique qu'il devait nous adresser, s'embarrasse dans une déclamation passionnée, disant qu'il

un même lieu, mais troupes tenues disponibles dans des lieux divers et obéissant à un même ordre que c'est ce qui avait eu lieu les 22 ou 23 juin où les troupes étaient massées à la porte Saint-Denis, à l'Hôtel de Ville, au faubourg Saint-Jacques prêtes à agir. A ce moment, le général est interrompu par la Montagne, qui lui lance le reproche aussi injuste que brutal d'avoir tout sacrifié à sa candidature. Il se retourne vers les bancs de la gauche, d'où partent ces reproches, et, animé d'une vive indignation, il leur jette cette sanglante apostrophe: « Adressez-moi des injures; et croyez-moi, si je cherchais à me faire des titres comme candidat, je préférerais vos injures à vos éloges ! Vous croyez servir la République, je crois la servir aussi qui de nous l'aura le mieux servie, le pays en jugera; et vous, monsieur Ledru-Rollin, vous dites que vous vous êtes retiré de moi, assurément cette séparation existe, et je ne prévois guère qu'elle puisse jamais cesser. » Toute la partie modérée de l'Assemblée, qui voyait avec bonheur se consommer sous ses yeux et d'une manière irréparable cette séparation qu'elle avait si ardemment désirée, accueillait ces paroles avec des applaudissements frénétiques.

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