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accueillerait ceux qui seraient disposés à mourir avec lui pour la République.

Je n'avais rien à répondre à une telle provocation; aussi, après avoir échangé des regards étonnés avec mes voisins, je restai silencieux sur mon banc. Ainsi avorta cette scène parlementaire, préparée avec tant de soin par les amis du général et dont ils attendaient. un heureux effet sur l'opinion.

Le général de Lamoricière, qui avait été le principal agent de ce rapprochement dont il avait calculé l'effet probable sur l'élection prochaine du président, nous disait tristement en passant devant notre bane: «< Cavaignac n'a pas dit ce qu'il voulait dire, la langue lui a fourché. » N'y avait-il pas plutôt dans l'esprit du général un reste d'hésitation qui, au moment de franchir ce grand pas et de rompre tout à fait avec ses anciens amis, troubla sa pensée et altéra, comme malgré lui, son langage?

Pendant que les républicains se divisaient et se subdivisaient ainsi en une foule de fractions hostiles, républicains de la veille et du lendemain, républicains politiques et socialistes, jacobins et modérés, etc., etc., donnant au public le triste et scandaleux spectacle de leurs luttes acharnées d'amour-propre ou d'ambition; pendant que, d'un autre côté, les tentatives de former au sein de l'Assemblée un grand parti compacte des opinions libérales, parti dont le général Cavaignae aurait été le chef et la personnification hautement avouée, avortaient si malheureusement, le parti bonapartiste tenait une conduite toute contraire : il adoptait un candidat unique, sur lequel il concentrait toutes. ses influences. Le dernier frère de Napoléon, l'ancien roi de Westphalie, vivait toujours; lui et son fils se trouvaient même à Paris lors de la révolution du 24 février; ils y étaient venus avec l'autorisation de Louis-Philippe, sous le prétexte de quelques affaires

d'intérêt qui les y appelaient, et leur séjour s'y était prolongé par suite d'une tolérance tacite; ils avaient donc sur leur cousin Louis-Napoléon une sorte de droit de priorité et de prépossession. Ils s'effacèrent cependant l'un et l'autre devant lui: soit que le vieux roi se fit un scrupule, après avoir porté une couronne, de devenir président d'une république, c'est là du moins le motif qu'il me donna de son abstention; soit, ce qui doit être plus vrai, que le sénatus-consulte de l'an X qui appelait à succéder à la couronne impériale dans la ligne collatérale Louis-Napoléon, par droit de représentation de son père, l'ancien roi de Hollande, fùt considéré comme faisant loi pour la famille; ce qui est certain, c'est que toute compétition bonapartiste s'évanouit devant l'espèce de légitimité impériale de Louis-Napoléon et qu'il fut proclamé candidat à la présidence de la République par tout le parti, au même titre et du même droit qu'il aurait été appelé à succéder à l'Empire: circonstance, il faut l'avouer, fort peu rassurante pour la République !

Ceux des républicains qui, en admettant Louis-Napoléon comme représentant, avaient espéré qu'une fois assis sur le banc de l'Assemblée, ils auraient tous les jours l'occasion de l'interpeller, de l'attaquer et de l'amoindrir, furent déjoués dans leur calcul. LouisNapoléon n'assistait, en effet, que bien rarement aux séances et lorsque, par accident, il s'y élevait quelque débat à son sujet, ses cousins se chargeaient de parler pour lui. Il savait bien que ce n'était pas là qu'était sa force; ses chances étaient ailleurs, et il n'en négligea

aucune.

En effet, de nombreux agents parcouraient pour lui les villes et les campagnes, répandant partout les promesses les plus extravagantes; quatre ou cinq journaux créés tout à coup, et sous des titres qui rappelaient l'ancien Empire, se mirent à entonner des

hymnes à la gloire de Napoléon; des almanachs napoléoniens furent répandus à profusion parmi les populations; ces menées trouvaient en tous lieux quelques vieux militaires du premier Empire pour les appuyer et quelques commis-voyageurs du commerce pour les propager. Elles étaient, d'ailleurs, singulièrement favorisées par la disposition générale des esprits. La cause bonapartiste, ainsi que nous l'avons déjà dit, avait pour auxiliaires ardents tous ceux qui repoussaient la République, soit par haine de l'anarchie, soit par attachement à leurs intérêts si gravement compromis depuis le 24 février, soit par répulsion contre les hommes que la Révolution avait fait surgir. Elle trouvait aussi un puissant appui dans les ressentiments ou les rivalités qui divisaient les républicains euxmêmes; elle était forte, en outre, des souvenirs du premier Empire, souvenirs qui, grâce au crible du temps, avaient perdu tout l'odieux dont un despotisme militaire violent et les humiliations douloureuses d'une double invasion les avaient autrefois mélangés pour ne garder que des impressions de grandeur et de gloire, qui, passées à l'état de légende chez le peuple, étaient devenues pour lui une sorte de culte traditionnel.

La cause bonapartiste était aussi grandement favorisée par les démagogues, qui voyaient dans l'avènement d'un Bonaparte le triomphe de l'égalité révolutionnaire. Je me rappelle que, lors d'un voyage que je dus faire dans le département de l'Aisne, comme président du conseil général de ce département, au moment de la plus grande chaleur de la lutte électorale, des groupes d'enfants et d'hommes du peuple entourèrent ma voiture en criant, comme s'ils eussent voulu m'adresser une menace ou un défi : Vive Napoléon! C'est que, pour eux, le gouvernement d'un Bonaparte, c'était le gouvernement des hommes du peuple; tan

dis que toutes les autres dynasties représentaient à leurs yeux le gouvernement des bourgeois et des riches.

Ainsi, les sentiments les plus contraires se réunissaient en faveur de la candidature de Louis-Napoléon; pour les uns, son nom signifiait ordre, sécurité et même monarchie; pour les autres, ce même nom signifiait. triomphe du peuple sur les riches, égalité absolue, révolu-' tion. Avec le concours de telles forces, cette candidature ne pouvait qu'obtenir une écrasante majorité.

Le général Cavaignac et ses ministres pouvaient seuls se faire illusion à cet égard : ils comptaient sur le souvenir des services éclatants que le général venait de rendre au pays, mais les peuples oublient vite. Quant à cet instrument de la centralisation administrative sur lequel ils fondaient aussi leurs espérances, ils auraient dù savoir que si la centralisation profite aux gouvernements qui ont de l'avenir, elle ne profite guère à ceux qui ne sont pas sùrs de leur lendemain.

Enfin, la protection accordée avec éclat par le général au Saint-Père, l'hospitalité qu'on lui offrait, l'influence que sa présence exercerait, en France, sur le clergé et sur le monde catholique, étaient pour beaucoup aussi dans les espérances qu'entretenaient encore le général et ses amis. Mais le Pape, au dernier moment, trompa cet espoir; au lieu de venir chercher un refuge en France, il préféra aller demander un asile au roi de Naples, et le ministre de l'instruction publique, que le général Cavaignac avait envoyé d'avance à Marseille pour y recevoir le Saint-Père avec grand appareil, s'en revint à Paris seul et un peu décontenancé.

Un fàcheux incident vint aggraver encore ce désappointement et cela fort inopportunément, car on était

à la veille de l'élection et tous les coups portaient. Voici les particularités de cet incident.

Chaque révolution, en France, a ses martyrs à glorifier, ses blessés à relever et à indemniser. La légitimité, en 1814, avait eu ses émigrés à dédommager; la révolution de 1830, ses combattants de Juillet à récompenser; il était done inévitable que la révolution du 24 Février eût aussi à honorer et rémunérer ceux qui avaient combattu ou souffert pour la république. Cela paraissait si naturel que l'opinion générale avait, à cet égard, devancé le pouvoir législatif: une souscription ouverte par de riches banquiers dès les premiers jours de la révolution au profit des blessés des journées de Février avait produit une somme assez importante (près de 2,000,000 de fr.). Lors donc que M. Sénard, alors ministre de l'intérieur, présenta un projet de loi pour régulariser l'emploi de cette souscription et y ajouter, au nom de l'État, une somme de 600,000 francs en rentes viagères, plus un million en capital, le tout à distribuer, à titre de récompense nationale, parmi ceux qui avaient souffert pour la cause de la République ; le principe de ce projet de loi ne fut contesté par personne.

Toutefois, la commission chargée de l'examen de ce projet voulut, avant de faire son rapport, connaître les noms et la position de chacun des prenant part à ces récompenses dites nationales, et, en conséquence, elle demanda communication des listes. Or, ces listes avaient été dressées par une commission que le gouvernement provisoire avait désignée quelques jours après la révolution du 24 Février, c'est-à-dire en pleine effervescence révolutionnaire et démagogique. On se fera une juste idée de la composition et de l'esprit de cette commission lorsqu'on saura le nom de son président : c'était le fameux Albert. Le travail de distribution et les propositions qu'elle fit ne pouvaient que

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