Slike stranica
PDF
ePub

se ressentir d'une telle origine, et c'est avec une sorte de stupéfaction pour les uns, de secrète satisfaction pour les autres, que les commissaires de l'Assemblée virent parmi les personnes proposées pour des récompenses nationales des individus qui avaient été condamnés à des peines infamantes, pour des vols, des faux, et même des assassinats; le rédacteur de ces listes avait eu l'inconcevable naïveté de mettre à côté des noms de ces individus leurs qualifications et les causes mêmes de leurs condamnations. M. Dufaure était ministre de l'intérieur, lorsque la commission avait insisté pour avoir communication de ces listes, et c'était lui qui, après les avoir reçues de l'Hôtel de Ville, les avait envoyées, sans même en prendre connaissance, au bureau de l'Assemblée.

La Montagne, qui attachait une grande importance à ce que la loi sur les récompenses nationales vint à discussion et fùt votée, importance tout à la fois politique et pécuniaire, ne cessait d'interpeller le gouvernement et la commission pour faire mettre cette loi à l'ordre du jour.

Mais aussitôt que les listes furent dans les mains de la commission et que la rumeur de ce qu'elles contenaient se fut répandue, on vit accourir au bureau où siégeait cette commission une foule de députés empressés à prendre communication de ces listes. La presse s'en saisit immédiatement et le scandale éclata.

Ce fut alors le tour des centres de presser le débat. M. de La Rochejaquelein en prit l'initiative et dénonça le fait à la tribune: l'indignation de l'Assemblée se manifesta aussitôt avec une énergie telle, que M. Dufaure retira instantanément le projet de loi.

Mais la discussion fut reprise le lendemain par M. Sénard, qui ne voulait pas accepter la responsabilité des immoralités de ce projet. Il lui fut facile de s'en dégager complétement en prouvant que les listes ne

lui avaient pas été remises et qu'il ignorait absolument ce qu'elles renfermaient lorsqu'il avait présenté le projet de loi. M. Dufaure, à son tour, expliqua qu'il s'était borné, sur les instances de la commission parlementaire, à demander les listes restées entre les mains de la commission des récompenses et qu'aussitôt qu'il les avait reçues il s'était empressé de les transmettre à l'Assemblée sans même en prendre connaissance Le général Cavaignac repoussa également, aux applaudissements de toute l'Assemblée, une si ignoble solidarité.

Quant à la Montagne, elle éprouvait quelque confusion; toutefois, M. Guinard, le dernier président de la commission des récompenses, essaya de faire tête à l'orage. Il monta à la tribune, d'abord pour se plaindre amèrement de l'indiscrétion qui avait fait connaître ces listes à l'Assemblée et de l'indiscrétion non moins grande avec laquelle on les avait ensuite livrées à la publicité. C'était là, disait-il, une vraie trahison, une manœuvre du parti réactionnaire contre la République; ces listes, du reste, n'étaient, d'après lui, que des feuilles informes sur lesquelles on avait copié les écrous comprenant indistinctement les sentences pour délits communs et les condamnations politiques, et par cela même énonçant des faits autres que ceux qui avaient motivé les propositions de la commission. A quoi M. Baroche, en sa qualité de président de la commission parlementaire, répondait que les listes étaient contresignées par le secrétaire de la commission des récompenses, le sieur Rouen; qu'elles étaient donc régulières et authentiques; que c'était avec ce caractère qu'elles avaient été officiellement transmises à la commission de l'Assemblée; que si, conformément aux usages reçus, plusieurs représentants, dont quelquesuns appartenant à la presse périodique, avaient demandé communication de ce document et en avaient

pris des extraits qu'ils avaient livrés ensuite à la publicité des journaux, la commission n'avait eu ni le droit ni le pouvoir de les empêcher; qu'il n'était pas vrai que tout ce scandale vint de ce qu'on avait copié sur les listes des écrous indiquant conjointement les condamnations pour crimes communs et celles pour crimes politiques; que, par exemple, les héritiers de Fieschi, la sœur de Lecomte, figuraient sur ces listes, quoique leurs noms n'eussent été impliqués dans aucune poursuite pour crime commun; que c'était donc bien volontairement et avec discernement que ces personnes avaient été désignées pour participer à des récompenses nationales auxquelles elles n'avaient d'autres titres que ceux qu'elles tiraient d'assassinats, odieux dans tous les temps et pour tous les partis!

La discussion s'envenimait de plus en plus; l'extrême gauche récriminait avec fureur, affectant de prendre le change sur le véritable caractère des reproches adressés à ses amis; elle évoquait le souvenir du milliard des émigrés. Il échappa même à M. Guinard de rappeler qu'il avait été prisonnier de M. Thiers. Vous vous trompez, lui répondit celui-ci de son banc, aux applaudissements de toute l'Assemblée, vous n'avez jamais été mon prisonnier, mais celui de la loi. Un énergumène de la Montagne demanda une enquête déclarant, de sa propre autorité, infâme celui qui avait livré la liste aux journalistes; enfin, l'ordre du jour pur et simple fut voté.

Le seul reproche qu'on pouvait, en toute justice, adresser au gouvernement du général Cavaignac à propos de cet incident, était un peu de négligence; mais la haine et l'esprit de parti ne se satisfont pas de si peu le lendemain paraissait dans le journal la Presse une liste des voleurs ou assassins proposés pour des récompenses nationales, avec cet intitulé imprimé en lettres majuscules: Pensionnaires du Général Cavaignac.

C'est ainsi que M. E. de Girardin payait à ce général sa dette de haine et de vengeance pour la suspension et l'emprisonnement, d'ailleurs assez peu motivés, dont il avait été frappé au lendemain des journées de Juin.

M. Dufaure comprit tout le parti que les concurrents du général Cavaignac ne manqueraient pas, à la veille de l'élection, de tirer de ce fàcheux incident, et il sentit la nécessité de déjouer cette tactique. La séance ne s'était terminée qu'à six heures et demie; c'est à cette heure que l'ordre du jour donnant au gouvernement au moins une demi-satisfaction avait été voté. Comment faire arriver ce vote en même temps que les mille et mille récits passionnés, plus ou moins véridiques, que la correspondance privée allait porter dans les départements? Pour se tirer de cet embarras, le ministre donna l'ordre de retarder le départ du courrier afin que la malle pùt emporter tout à la fois et le débat et le vote qui l'avait terminé.

Les bonapartistes, et à leur tête MM. Larabit, Boulay (de la Meurthe), ne manquèrent pas le lendemain de grossir cette affaire outre toute mesure et de la présenter comme un attentat à la liberté des élections. Le retard du courrier avait, disaient-ils, répandu l'alarme dans toutes les populations. En vain, le directeur général des postes rassura l'Assemblée sur ces alarmes prétendues, en affirmant que la plus parfaite tranquillité n'avait cessé de régner partout, et que les retards du courrier par suite d'accidents de route tout à fait étrangers à la politique étaient assez fréquents pour que le fait dont on se plaignait n'eût amené aucune sérieuse perturbation.

Les passions soulevées trouvaient là un aliment auquel elles ne voulaient pas renoncer si facilement: des interpellations violentes s'échangèrent entre les bancs opposés de la Chambre, et le président eut de la peine

à rétablir assez de calme pour faire voter la reprise de l'ordre du jour.

Il n'y avait cependant de condamnable dans tout cela que, d'une part, le fanatisme stupide de ces démagogues qui n'avaient pas songé qu'ils déshonoraient leur cause en proposant des récompenses pour des voleurs et des assassins; et, d'autre part, la mauvaise foi des partis qui se faisaient une arme contre le général Cavaignac d'un fait auquel ils savaient bien qu'il était étranger; mais les masses une fois excitées portent-elles dans leur jugement tant de calme et d'impartialité! Une voix s'écria au milieu du tumulte que chaque nom de voleur ou d'assassin porté sur les listes enlevait 20,000 suffrages au général Cavaignac; sans admettre cette exagération, et sans accorder que cet incident ait eu une influence marquée sur le résultat de l'élection qui était alors assuré, on ne peut cependant que le regretter.

Nous disons que le résultat de l'élection était certain, et, en effet, de jour en jour il devenait plus manifeste que le nom de Louis-Napoléon obtiendrait une éclatante majorité. Le courant, formé des opinions les plus contraires, était devenu irrésistible, aucune influence politique n'aurait pu ni le contenir, ni le détourner. Qu'on ne dise pas que tel ou tel personnage qui a appuyé cette élection en est politiquement responsable. Le résultat était hors de la portée de toute influence privée. MM. Molé et Thiers, par exemple, qui crurent devoir patronner hautement la candidature de LouisNapoléon par leurs journaux, par leur correspondance et par leurs amis, n'ont mérité pour cela ni reproche ni remerciement; car s'ils se fussent abstenus comme je l'ai fait moi-même, le dénouement eût été absolument le même.

Je ne sais sur quel renseignement le journal la Patrie avait annoncé que j'étais chargé par le chef du pouvoir

« PrethodnaNastavi »