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exécutif, c'est-à-dire par le général Cavaignac, de composer un nouveau cabinet. Ce renseignement était complétement inexact. Il est bien vrai que le général m'avait demandé, une vingtaine de jours avant l'élection, une entrevue qui avait eu lieu dans un des bureaux de l'Assemblée; mais ayant reconnu dès les premiers mots que nous ne nous entendions pas sur les conditions fondamentales du pouvoir, la conversation n'avait pas été jusqu'à des ouvertures positives et encore moins jusqu'à des engagements réciproques. Aussi, le Moniteur du 18 novembre, rectifiant cette annonce de la Patrie, déclarait-il que le ministère existant était résolu à rester au pouvoir jusqu'à la proclamation du président, et à veiller jusque-là sur la sûreté publique.

Des efforts en sens contraire furent faits par quelques-uns de mes amis pour me faire prononcer en faveur de l'un des deux candidats. Je m'y refusai obstinément; je dus même faire insérer des rectifications et des démentis dans les journaux qui s'étaient avancés jusqu'à faire pressentir mon vote. La vérité est que j'éprouvais la même perplexité que tous les amis sérieux de la liberté éprouvaient alors. Nous flottions incertains entre le sentiment des impossibilités qui se rencontraient dans le gouvernement du général Cavaignac et les inquiétudes sérieuses que nous inspirait pour la liberté l'avénement d'un second Napoléon au pouvoir. Dans cette situation d'esprit, notre abstention était d'autant plus facile que nous sentions bien que la solution de ce redoutable problème était tout à fait en dehors de notre influence.

Du reste, le suffrage universel mis une seconde fois en pratique, et cette fois pour une élection unique, s'exerçait avec calme dans toute la France. On ne cite guère d'actes de violence ou même d'essais d'intimi

dation qui aient eu lieu à l'occasion de cette élection : le public parisien conçut seulement quelques inquiétudes pour le jour de la réception du nouveau Président. Des bruits alarmants circulaient à ce sujet : on disait que le parti vaincu en appellerait à la force brutale du jugement sorti du serutin. Dans la séance du 18 décembre, M. Marrast fut interpellé; on lui demanda s'il avait pris les précautions nécessaires pour assurer la libre et pacifique transmission du pouvoir, et le président répondit qu'il s'en fiait entièrement à la loyauté et à la fermeté du pouvoir exécutif existant; que, d'ailleurs, on n'attendait que l'arrivée des procès-verbaux de quelques départements éloignés, les Hautes et Basses-Alpes, l'Aveyron, le Lot, le HautRhin et la Corse, pour faire le rapport de l'élection.

En effet, le 21 décembre, M. Waldek-Rousseau, au nom de la commission chargée de dépouiller les procès-verbaux de tous les départements de la France, annonca que sur 7,317,344 suffrages exprimés, LouisNapoléon en avait obtenu 5,434,226, le général Cavaignac 1,448,107, et M. Ledru-Rollin 370,000. Le restant des suffrages se distribuait entre MM. Raspail qui en avait 36,000, Lamartine 17,000, et autres. En conséquence, Louis-Napoléon, ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés, et au delà de deux millions de suffrages, fut, aux termes de la Constitution, proclamé Président de la République. Il prêta le serment prescrit par la Constitution et prononça un discours dans lequel il déclarait : « Qu'il verrait des ennemis de la patrie dans tous ceux qui tenteraient de changer, par des voies illégales, ce que la France entière avait établi il annonçait qu'animé d'un esprit de conciliation, il avait appelé auprès de lui des hommes honnètes, capables et dévoués au pays, assuré que, malgré les diversités dans leur origine politique, ils étaient d'accord pour concourir avec l'Assemblée au

perfectionnement des lois et à la gloire de la République. » Il remerciait l'administration qui l'avait précédé des efforts qu'elle avait faits pour transmettre à ses successeurs le pouvoir intact. « La conduite du général Cavaignac, dit-il en terminant, a été digne de la loyauté de son caractère. » (Assentiment.) Après ces paroles, le nouveau Président descend de la tribune, et, en passant devant le général Cavaignac pour regagner son banc, il lui tend la main, que celui-ci refuse en affectant de se détourner d'un autre côté : procédé que la prescience de l'avenir pourrait seule. justifier.

L'Assemblée restait froide pendant toute cette scène, elle avait pris une part trop vive à la lutte pour ne pas se sentir humiliée et affaiblie par le triomphe de celui qu'elle avait ardemment combattu: LouisNapoléon n'attendit pas la fin de la séance pour aller prendre possession de l'Élysée-Bourbon. De sages dispositions avaient été prises par le ministre de la guerre pour prévenir toute tentative de violence, et ce grand changement, qui devait avoir une si décisive influence sur les futures destinées de la France, s'accomplit au milieu d'un calme qui ressemblait presque à de l'indifférence.

Le Moniteur du lendemain annonçait la formation. d'un nouveau ministère. C'étaient M. Odilon Barrot, ministre de la justice, chargé de présider le Conseil en l'absence du Président de la République ; M. Drouyn de Lhuys, au ministère des affaires étrangères; M. de Falloux, à l'instruction publique et aux cultes; M. de Maleville, à l'intérieur; M. Bixio, à l'agriculture et au commerce; M. Léon Faucher, aux travaux publics; le général Rulhière, à la guerre; M. de Tracy, à la marine; et enfin M. Hippolyte Passy, aux finances. Une nouvelle ère commençait : était-ce le Consulat d'un second Empire?

FORMATION DU MINISTÈRE DU 20 DÉCEMBRE 1848

Je reprends mon travail, interrompu par la mort de celle qui, associée depuis plus de trente ans à ma vie, m'avait aidé, par son courage, son dévouement à toute épreuve et sa nature si franche et si droite, à en supporter les agitations et les vicissitudes. Me restera-t-il assez de force et de temps pour mener à fin la tâche que je me suis imposée ? J'en doute, et cependant je vais essayer.

Je suis arrivé à cette époque de notre histoire contemporaine où ma personnalité a été le plus directement engagée. Je serai donc obligé de parler beaucoup de moi, ce qui est toujours assez difficile, lorsqu'on veut éviter le double écueil de l'infatuation ou de la fausse modestie; je tâcherai toutefois d'en parler comme d'un étranger. Il arrive à tout le monde dans la vie d'avoir de ces instants d'impartialité où on se sépare, pour ainsi dire, de soi-même pour se regarder et se juger; je tâcherai de faire durer cette disposition d'esprit autant que mon récit.

Les hommes politiques sont rarement maîtres de leur destinée, moins encore dans notre pays que dans aucun autre. Au milieu de notre société telle que l'ont faite les efforts de la monarchie absolue couronnés par ceux bien autrement puissants de notre révolution, l'individu toujours placé sans appui, sans cohésion, entre les masses et l'État, est alternativement écrasé par l'une ou l'autre de ces forces irrésistibles; il peut s'agiter, mais en vain, le courant des événements l'entraine.

Toutes mes convictions morales et politiques, j'ajouterai même toutes mes affections me portaient à

servir la monarchie constitutionnelle; j'étais, pour ainsi dire, né avec elle, elle avait eu mes premières et constantes prédilections: non-seulement j'avais foi en elle, mais ma raison se refusait à rien voir de digne, de possible même pour mon pays en dehors d'elle. Je n'avais pas été étranger au choix de la nouvelle dynastie, en 1830; j'avais même pu lui donner quelques témoignages irrécusables de mon dévouement, et cependant j'en avais été repoussé comme un ennemi dangereux. Jusque sur la terre d'exil, Louis-Philippe protestait qu'il avait dû abdiquer et qu'il serait encore prêt à recommencer plutôt que de voir le pouvoir tomber dans mes mains; et voilà que, par la plus étrange fatalité, ce pouvoir m'est en quelque sorte imposé pour une République à laquelle je ne pouvais croire, et sous un Président à qui je ne pouvais me fier.

Voici comment le fait est arrivé et les seuls liens qui me rattachaient aux Bonapartes.

La catastrophe de 1814 m'avait trouvé tout disposé à accepter le bienfait de la liberté. J'ai dit ailleurs quelle fut ma conduite avant et après le 20 mars; elle était loin de me classer dans le parti bonapartiste. Mais, après la seconde restauration de 1815, la situation était changée : les partisans de Bonaparte étaient alors proscrits; les cours prévôtales décimaient ceux de ces malheureux qu'avait épargnés le champ de bataille. Je les défendis, je fus assez heureux pour en sauver quelques-uns. De plus, plusieurs membres exilés de la famille Bonaparte invoquèrent mon ministère, les uns pour défendre leurs personnes, les autres pour recouvrer quelques-unes des valeurs sur lesquelles la Restauration avait fait main basse. Je m'y employai avec plus de zèle que d'efficacité. Enfin, après 1830, les bonapartistes, qui trouvent que les institutions libres et le retentissement de la tribune

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