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avant tout besoin d'être pleinement rassuré sur les choses d'argent. Cette sécurité, M. Passy me la donnait complète. Je n'ai jamais pensé à tout ce qu'il a fallu en lui de vrai patriotisme et d'abnégation pour se charger d'un tel fardeau, dans un tel temps, et pour accepter, lui deux fois ministre sous Louis-Philippe, les dangers, les solidarités d'un ministère qu'un autre présidait, sans concevoir pour lui la plus haute estime et sans ressentir une vive reconnaissance.

A l'Intérieur, M. de Maleville, qui avait été secrétaire général de ce département sous la monarchie constitutionnelle, nous offrait des garanties d'expérience administrative. De plus, orateur spirituel, d'une parole facile et souvent mordante, il devait nous être d'un grand secours à la tribune : il était d'ailleurs accrédité d'avance auprès de l'Assemblée dont il était un des vice-présidents.

Aux Affaires étrangères, M. Drouyn de Lhuys nous offrait également les mérites réunis d'un orateur plein de finesse et de ressources et d'un homme déjà éprouvé dans les affaires. Il avait été ambassadeur en Espagne, directeur des affaires étrangères sous l'ancien gouvernement, et sa disgrâce sous M. Guizot l'avait en quelque sorte consacré aux yeux du parti libéral. Il présidait dans l'Assemblée le comité des affaires diplomatiques.

Les travaux publics furent confiés à M. Léon Faucher, esprit ardent, absolu, très-honnête et très-courageux, mais cassant et plein d'une confiance en luimême qui faisait tout à la fois sa force et son danger : ses études économiques et sa haute probité lerendaient propre à ce département.

Restaient les portefeuilles de la Guerre et de la Marine, qui furent confiés l'un au général Rulhières, bon et loyal militaire, incapable de se prêter à rien de ce qui pourrait le moins du monde blesser l'honneur et

le devoir.; l'autre à M. de Tracy, un de ces caractères élevés et sans reproche qui donnent un cachet d'honnêteté et de droiture à toute combinaison politique dans laquelle ils entrent; ancien colonel d'artillerie, il n'était pas recommandé par ses antécédents pour ce département, mais indépendamment de ce que l'expérience a appris que les meilleurs ministres de la marine sont ceux qui n'appartiennent pas à cette arme, M. de Tracy, par ses connaissances variées, son amour du travail et son sentiment profond du devoir, promettait un bon ministre de la marine, et cette promesse il l'a tenue.

Je me réservai le ministère de la Justice qui, bien que chargé de tous les détails de la réorganisation judiciaire, devait me laisser assez de loisirs pour les luttes de la tribune et pour surveiller la marche générale des affaires,

Le ministère se complétait par le choix des fonctionnaires qui se rattachaient le plus directement à l'action du gouvernement; nous ne voulùmes pas prendre notre préfet de police de Paris dans le monde politique ces fonctions tout à la fois si importantes et si délicates furent confiées à un homme spécial, au général Rebillot, inspecteur de la gendarmerie, déjà initié par cet emploi dans la police de Paris, et de qui nous n'avions à craindre ni les prétentions personnelles en politique, ni par conséquent des excès de zèle, ou des intrigues. Ce choix s'est trouvé pleinement justifié M.Rebillot a fait son devoir, tout son devoir, mais rien que son devoir. C'est ce que nous attendions de lui.

La préfecture de la Seine ou mairie centrale de Paris fut confiée, après des débats assez vifs, à M. Berger, ami particulier de M. Thiers et sur les très-vives sollicitations de ce dernier. Il est vrai que les candidats vers lesquels aurait incliné le Président de la République

n'avaient d'autres titres que leur dévouement personnel à la famille Bonaparte, et après tout M. Berger, dont l'élection, en 1847, à la mairie du 2o arrondissement de Paris, avait mis en émoi toute la bourgeoisie, représentait assez bien cet élément municipal qu'il était dans mes intentions d'élever et de fortifier. Le caractère de cet homme a été bien loin de répondre à notre attente: il s'est éteint assez misérablement dans les honneurs du sénat impérial, dont il était le premier à se moquer avec un grossier cynisme.

La place de procureur général fut confiée à un avocat du barreau de Paris, M. Baroche, qui avait déjà pris une place distinguée parmi les orateurs de l'Assemblée constituante; ardent et toujours prêt à la lutte, il nous parut propre à remplir cette magistrature essentiellement militante, surtout dans les temps de trouble et d'agitation: malheureusement cette ardeur n'était pas réglée par des principes arrêtés et n'était inspirée que par une impatiente ambition. Républicain très-prononcé lorsque la république seule pouvait lui ouvrir la carrière : constitutionnel, libéral, avec nous, il devait devenir l'agent principal et le plus efficace du despotisme impérial, en qualité de président du Conseil d'État.

Un poste beaucoup plus important était à pourvoir: c'était celui du commandement de l'armée qui était réunie à Paris et dont une partie bivouaquait encore sur l'esplanade des Invalides, aux portes mêmes de l'Assemblée; il n'y eut aucune hésitation entre nous sur ces deux points que l'armée serait conservée dans sa force et son unité, et que le commandement en serait confié au général Changarnier: nous savions la décision de ce caractère. En même temps nous conférions au maréchal Bugeaud le commandement en chef de l'armée des Alpes, avec permission d'établir son quartier général à Bourges. Nous sentions que le

premier besoin de la société était d'être rassurée et que notre premier devoir était de satisfaire pleinement à ce besoin.

COUP D'OEIL SUR LA SITUATION

Telle était la composition de ce ministère qui allait aborder de si grandes difficultés; difficultés venant de tous les points de l'horizon, de l'extérieur comme de l'intérieur, de l'Assemblée et de ses partis comme du Président lui-même. Jetons un coup d'œil rapide sur cette situation.

A l'extérieur, le monde ébranlé par la révolution du 24 Février commençait à se rasseoir : l'Allemagne renonçait à son rêve de l'unité germanique; le gouvernement prussien, après avoir triomphé dans les rues de Berlin de l'élément révolutionnaire, avait, par son intervention armée, délivré les petits États qui l'environnaient de leurs gouvernements révolutionnaires. L'Autriche, menacée un instant d'une dissolution générale, s'était raffermie grâce à l'énergie de son armée, et surtout de son vieux général Radetski; elle avait recouvré ses possessions d'Italie, mais elle luttait encore à grand'peine contre les Hongrois insurgés; ceux-ci, enivrés de leurs succès, avaient fait la faute de proclamer leur séparation définitive et absolue de l'empire autrichien. La Russie armée et attentive surveillait ce mouvement et était prête à y mettre la main : dans cette transition d'une crise effroyable au rétablissement de l'ancien ordre européen, tout nous obligeait à veiller, rien ne nous forçait à une action immédiate alors même que les souverains réussiraient à sortir de leurs embarras intérieurs, nous pou-.

vions être assurés qu'il leur en resterait assez pour n'avoir à craindre de longtemps encore aucune agression sérieuse de leur part. Le seul danger immédiat de guerre était en Italie où notre politique était directement engagée non-seulement par nos intérêts d'influence et de sécurité, mais par la médiation que le général Cavaignac avait consenti à exercer, en commun avec l'Angleterre, dans les affaires de l'Autriche et du Piémont.

Charles-Albert était impatient d'une revanche, et tout faisait prévoir que, soit par désespoir, soit par calcul et dans l'espérance de nous entraîner, il ne tarderait pas à tenter de nouveau la chance des armes.

Vainement, le gouvernement français lui conseillait la prudence et le menaçait même de l'abandonner s'il prenait l'initiative de l'attaque; ces avis, ces menaces même étaient méprisés. D'un instant à l'autre, nous nous attendions à voir le roi de Piémont dénoncer l'armistice, et, selon toutes les probabilités, l'Italie allait encore se trouver une fois le théâtre où la république aurait à faire l'épreuve de ses forces.

A l'intérieur, la terrible leçon de Juin avait profité, mais les haines étaient loin d'être éteintes. Elles fermentaient au contraire avec plus d'énergie que jamais au sein des populations ouvrières, dont une presse désordonnée et les déclamations violentes des clubs entretenaient et exaltaient les ressentiments. Aussi le monde des affaires ne reprenait-il pas confiance les entreprises industrielles, malgré les besoins de la consommation, restaient languissantes; le crédit public ne renaissait pas. La rente était déprimée; en outre, de grands désordres s'étaient introduits dans l'administration du pays; le gouvernement du général Cavaignac avait commencé l'épuration des administrations départementales, mais les ménagements qu'il croyait devoir garder envers les républi

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