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cains avaient laissé son œuvre bien incomplète. Dans la diplomatie, dans l'armée, dans la magistrature comme dans l'administration, le Gouvernement n'était pas toujours sûr d'être obéi, même par ses agents les plus directs. Nombre de préfets, d'agents du parquet, de diplomates, de généraux même, avaient conservé leurs affinités avec le parti révolutionnaire qui les avait nommés, et dont ils attendaient beaucoup au jour de son triomphe, qu'ils regardaient comme inévitable et prochain. Les ordres de l'autorité étaient partout discutés et fort mal exécutés lorsqu'ils n'étaient pas ouvertement désobéis; faire cesser un tel désordre n'était ni la moins délicate, ni la moins dif ficile partie de notre tâche. Dans les réformes qui touchent aux personnes, on est toujours exposé au reproche de dureté : tel agent qui, la veille, est dénoncé par la clameur publique comme dangereux ou incapable, le lendemain de sa destitution devient l'objet d'un intérêt général; le public ne voit plus en lui que le malheureux privé de son gagne-pain cœur humain est ainsi fait. Nous courions aussi le risque, en frappant trop à gauche, de trop verser vers la droite; tout nous faisait un devoir de garder beaucoup de modération dans ces réformes et de ne pas dépasser la limite de la plus stricte nécessité. Mais les partis ont-ils jamais compris la modération? Tandis que les vaincus crient à la persécution pour la destitution même la plus justifiée, les vainqueurs crient à la faiblesse et même à la complicité pour les ménagements les plus politiques et les plus nécessaires. On verra plus tard que nous n'avons pas échappé à cette double injustice.

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L'Assemblée était la plus grosse et la plus immédiate de nos difficultés; elle avait été patiente et tolérante sous la commission exécutive; il n'avait pas fallu moins que les horribles journées de Juin pour

qu'elle lui retirât le pouvoir. L'attentat du 15 mai luimême n'y avait pas suffi. Elle s'était montrée ensuite douce et facile sous la main du général Cavaignac, elle ne l'avait contrarié en rien dans ses mesures de répression même les plus exorbitantes, et l'avait suivi sans aucune hésitation dans sa politique toute pacifique. Lorsque le pape avait été menacé dans sa sécurité, non-seulement elle avait protesté tout d'une voix de ses sympathies respectueuses pour le SaintPère, mais elle avait voté à la presque unanimité le secours armé que le général destinait à la sûreté de sa personne. Nous ne pouvions pas attendre les mêmes dispositions de sa part, et cela pour deux raisons.

DOUBLE COMMANDEMENT DU GÉNÉRAL CHANGARNIER

La première, c'est que le pouvoir ayant changé de mains, le parti républicain, même dans ses nuances les plus modérées, commençait à craindre sérieusement pour l'existence de la République. La seconde raison, c'est qu'en politique on n'aime pas ses héritiers l'Assemblée avait eu jusqu'alors pour dépositaires du pouvoir exécutif des clients dont elle disposait; elle avait désormais en face d'elle un pouvoir qui avait sa force en dehors d'elle et qui était destiné à lui succéder. Par ces diverses raisons, nous ne pouvions guère compter sur ses bonnes dispositions à notre égard. Ajoutez à cela les provocations, les défis incessants du président, et on se rendra compte des dangers de notre situation à l'intérieur.

J'avais alors pleine conscience de ces dangers : aussi, répondant à mes confrères qui venaient me fé

liciter de mon avénement au pouvoir et me faisaient l'honneur de me rappeler que j'avais été toute ma vie l'homme du droit; après leur avoir dit que j'avais besoin d'être aidé par tous les bons citoyens, que la nation française avait trop pris l'habitude de se reposer de toute chose sur son gouvernement, et qu'il était temps enfin qu'elle entrât largement et sérieusement dans la gestion de ses affaires, j'ajoutais avec tristesse: «Me voici, à l'âge du repos, jeté en pleine tempête politique.» Cela était plus vrai encore que je ne le croyais alors.

En effet, à peine avions-nous pris possession de nos ministères et pourvu aux nominations les plus urgentes, je descendais de la tribune où je venais d'exposer notre programme politique, lorsque M. LedruRollin commença cette série d'interpellations qui devait remplir et harceler toute notre existence ministérielle. Il avait choisi pour sa première attaque un excellent terrain d'opposition; il dénonçait à l'Assemblée la mesure par laquelle le commandement des troupes de la première division militaire et celui de la garde nationale de Paris avaient été réunis dans les mains du général Changarnier; il y voyait tout à la fois une violation de la Constitution et une menace pour la liberté; il se prévalait contre nous surtout du texte formel de la loi de 1831, laquelle défendait en effet de confier à un officier en activité de service le commandement de la garde nationale, et cela afin de conserver à cette institution son caractère purement civil. Il s'adressait à deux sentiments toujours trèsvifs dans une assemblée, le respect de la légalité et la défiance. La situation est périlleuse, s'écria-t-il en terminant son véhément discours : « La liberté et la République sont sous la pression de deux forêts de baïonnettes! >>

Je me gardai bien de nier la violation de la loi de

1831: elle était flagrante, mais je m'armai des nécessités de l'ordre public:

Oubliez-vous que l'armée a sauvé Paris, qu'elle est toujours réunie; qu'il n'y a pas d'armée sans unité de commandement; qu'attendre, pour pourvoir à cette nécessité, qu'on sonne le tocsin de l'insurrection, ce serait s'exposer, comme la commission exécutive, à être surpris? Nous ne voulons pas tomber, comme elle, au milieu d'une émeute ni prévue ni réprimée; nous aimons mieux, en quelque sorte, surfaire l'ordre public que lui laisser courir un seul risque : nous avons devant nous une société anxieuse et profondément troublée, il lui faut une sécurité complète pour qu'elle reprenne à la confiance et à la vie. J'appelle de tous mes vœux le jour où cette concentration de forces ne sera plus nécessaire; tous nos efforts tendront à le hàter : il est plus rapproché qu'on ne le pense.

Ce discours, commencé au milieu des interruptions violentes de la Montagne, se terminait au bruit des applaudissements de la grande majorité de l'Assemblée. Un ordre du jour motivé sur ce que le ministre reconnaissait à la mesure un simple caractère circonstanciel ne fut pas même admis. L'ordre du jour pur et simple fut voté sans division.

A ces premières interpellations en succédèrent d'autres de M. Bac, sur de prétendues promesses d'amnistie qui auraient été faites, non par le Président de la République, mais en son nom et par ses partisans, pour favoriser son élection. Nous n'étions nullement tenus d'acquitter de pareilles promesses le langage des partis était encore trop violent pour que le moment de l'indulgence et de la générosité fùt venu, et comme la Montagne se récriait et protestait qu'il ne s'agissait pas d'indulgence mais de justice, contestant ainsi à l'Assemblée elle-même l'usage qu'elle avait fait de ses pouvoirs, je laissai au président de cette Assemblée le soin de rappeler que la

transportation avait été ordonnée par un décret législatif, et je demandai ensuite si c'était bien le moment, lorsqu'une faction contestait à l'Assemblée ses pouvoirs et lui adressait de telles menaces, de répondre à ces violences par une amnistie qui ne serait prise que pour une concession de la faiblesse et de la peur. Ce langage fut compris et applaudi sur presque tous les bancs de la Chambre. L'ordre du jour pur et simple fut voté à une immense majorité.

Nous étions sortis assez heureusement de ces deux premières épreuves: le grand mot sur la nécessité de la retraite de l'Assemblée n'avait pas encore été prononcé! Mais pendant que ces choses se passaient dans l'Assemblée, de graves complications survenaient dans nos rapports ministériels avec le Président et menaçaient de dissolution ce cabinet à peine formé.

Louis-Napoléon avait pris possession du pouvoir avec éclat. Il avait passé la revue de l'armée de Paris, revêtu de l'uniforme de général et du grand-cordon de la Légion d'honneur, qu'il avait reçu dans son berceau comme prince impérial. Le spectacle était nouveau et des acclamations enthousiastes de Vive Napoléon! faiblement mêlés des cris de: Vive la Républi que! l'avaient accueilli partout sur son passage. Il avait reçu, avec un appareil monarchique, tout le monde officiel à l'Élysée: il n'y manquait que les discours que Louis-Philippe aimait à faire dans cette circonstance, et qui avaient fait place à un silence peut-être plus digne, et surtout moins compromettant. J'avais fait avec le Président de la République une visite dans les ateliers du faubourg Saint-Antoine, et la population ouvrière de ce vaste faubourg s'était pressée autour de lui, avide de contempler le successeur de Napoléon : toutes ces démonstrations populaires l'avaient enivré et le disposaient mal à subir,

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