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surtout de la part d'un de ses ministres, une contradiction quelconque.

Ayant fait demander au ministre de l'intérieur d'avoir à lui adresser les cartons dans lesquels se trouvaient les dossiers de l'affaire de Strasbourg et de Boulogne, il essuya un refus motivé, sur ce que ces cartons ne pouvaient être déplacés des archives du ministère, où ils se trouvaient en dépôt. Il s'oublia jusqu'à écrire à ce ministre une lettre plus que hautaine (V. les Pièces justificatives): il s'étonnait, dans cette lettre, que son agent se permit de désobéir à un ordre qu'il lui donnait, et s'exhalait en reproches très-durs contre une telle désobéissance. M. de Maleville, tout ému, m'envoya cette lettre avec sa démission. La nuit était déjà avancée; je réunis immédiatement mes collègues à la Chancellerie, et, sur la simple lecture de la lettre du Président, nous fùmes tous d'avis que ce n'était pas seulement au ministre de l'intérieur que le Président avait manqué, mais que c'était au cabinet tout entier; que nous devions nous reconnaitre solidaires avec M. de Maleville, et, séance tenante, notre démission collective et motivée fut signée. Je la portai dès le lendemain matin à l'Élysée. Le Président vit tout de suite, à l'air avec lequel je l'abordai, que j'avais quelque communication importante à lui faire, et me demanda le sujet de ma visite si matinale? Pour toute réponse, je lui remis notre démission collective: après l'avoir lue avec un trouble qui se manifesta sur son visage ordinairement si impassible, il m'exprima sa surprise et sa douleur. « Vous ne devez pas être étonné de la détermination prise par vos ministres, lui répondis-je, si vous voulez bien relire la lettre que vous avez adressée à M. de Maleville; comment avezvous pu penser un seul instant que des hommes d'honneur qui ont bien voulu, par dévouement pour leur

pays, partager avec vous le fardeau et la responsabilité du gouvernement, consentiraient à être traités par vous avec aussi peu d'égards? Si vous l'aviez pensé, vous auriez commis une étrange méprise, que notre démission fera cesser. » Ma parole et mon attitude étaient sévères, et le Président vit tout de suite la portée de son acte. « Je vous assure, monsieur Barrot, que je n'ai pas eu l'intention de blesser M. de Maleville; j'aurai, dans un premier mouvement, laissé échapper des expressions peu réfléchies que faut-il done. faire? Je n'ai pas de conseil à vous donner. Vous savez tout aussi bien que moi quel est le devoir que l'honneur prescrit à celui qui a eu le malheur d'offenser un galant homme. » Le Président écrivit immédiatement une lettre d'excuse et de réparation aussi complétement satisfaisante que l'homme le plus susceptible eût pu la désirer, et me la remit. Mes collègues et M. de Maleville m'attendaient à la Chancellerie; la lettre du Président parut à tous une réparation suffisante. M. de Maleville en convenait lui-même, mais il déclara qu'il lui serait impossible de servir comme ministre sous un homme qui l'avait méconnu à ce point. Toutes nos instances furent vaines pour le faire revenir sur cette résolution. Nous avions partagé sa susceptibilité dans ce qu'elle avait de légitime, mais nous ne pouvions approuver sa persistance après la réparation donnée. Nous décidâmes donc, en conseil, de retirer notre démission collective. M. de Maleville persista dans la sienne et fut suivi de M. Bixio, qui prétendit ne pouvoir se séparer de son ami. Je reportai au Président le résultat de cette conférence. « Mais que veut donc M. de Maleville, me dit-il, exige-t-il que j'aille lui porter mes excuses en personne ? Je suis prêt à le faire. » C'était porter bien loin le repentir, qui cependant ne put encore désarmer M. de Maleville. « J'aimerais mieux

me brûler la cervelle, s'écriait ce dernier, lorsque nous le pressions de se rendre, que de revenir sur ma démission.» Et, le soir même, il quitta Paris pour se dérober à de nouvelles instances.

Ces particularités n'ont aujourd'hui d'autre intérêt que celui de faire ressortir davantage, dans l'homme qui devait un jour avoir entre ses mains les destinées de la France, ce contraste entre la témérité du premier élan de la volonté, et la facilité de la retraite, entre l'excès de l'orgueil et l'absence complète de toute susceptibilité personnelle, contraste qui forme le trait le plus saillant et le plus original du caractère de Louis-Napoléon.

Cet incident eut une influence fâcheuse sur nos affaires.

Son premier effet, et ce ne fut pas le moins regrettable, fut de causer la perte de l'impôt du sel.

En effet, tandis que nous étions exclusivement préoccupés à réparer la brèche qu'avait faite, dans notre cabinet, la retraite de MM. de Maleville et Bixio, la proposition de l'abolition de l'impôt du sel, que cinquante membres appartenant à divers côtés de l'Assemblée avaient signée, venait à l'ordre du jour et se discutait devant le banc des ministres à peu près vide. La commission concluait à la réduction à 10 centimes de l'impôt qui était de 30 centimes. Déjà la taxe des lettres avait été considérablement réduite, et l'impôt du sel, qui avait été d'abord aboli par le gouvernement provisoire, puis rétabli sagement par M. Goudchaux, rentrait dans cet ensemble d'engagements inconsidérés que les partis contractent d'autant plus aisément qu'ils ne répondent pas des conséquences et qu'ils y gagnent de la popularité sans courir aucun risque. Il faut que l'habitude de voir l'intérêt de tous et de chacun dans l'intérêt de l'État soit entrée bien profondément dans les mœurs d'un

pays pour qu'on y fasse résolument la part des nécessités financières, et qu'on ne se montre pas disposé à les sacrifier au désir de capter la faveur du peuple. Cette identification n'est pas encore assez complète chez nous pour que les discussions de budget, même sous l'ancienne monarchie, ne fussent pas toujours très-longues et très-orageuses; la lutte entre le désir de la popularité et les nécessités gouvernementales s'y reproduisait toujours avec une grande vivacité. L'Assemblée constituante obéissait, en outre, à une influence qui commençait à s'y faire sentir; elle ne pouvait se dissimuler que sa fin approchait; l'élection du 10 décembre avait déjà fait sortir de ses mains et de sa dépendance le pouvoir exécutif, et le moment approchait où elle allait être forcée de remettre à d'autres le pouvoir législatif lui-même. Elle cédait donc tout naturellement au désir de se recommander ainsi par ces dégrèvements à la mémoire du peuple.

Cependant tout porte à croire que l'impôt eût été sauvé, si le ministère n'avait pas été empêché de se mêler à la discussion par ce mémorable incident des dossiers et par la crise ministérielle qui en avait été la suite.

M. Passy lutta avec talent et persévérance, mais il était seul; et il était dans la nature de son esprit, essentiellement éclectique, d'admettre trop facilement la force des raisons de ses adversaires. Cela peut être de très-bon goût en conversation, cela est presque dangereux en politique; ainsi ce n'était pas un trop bon moyen de sauver l'impôt du sel que de commencer par accorder, comme le faisait M. Passy, que cet impôt renfermait un vice radical et était frappé d'iniquité dans sa base. C'était faire une concession d'autant plus dangereuse qu'à bien y regarder tous les impôts de consommation offrent à peu près le même vice, celui de grever principalement les masses; ce en quoi

précisément ils sont, il faut bien le reconnaître, productifs et partant nécessaires. Cette concession imprudente n'empêchait pas le ministre de donner de très-bonnes raisons pour le maintien de l'impôt au moins jusqu'au prochain budget. Il remettait sous les yeux de l'Assemblée le bilan de la République depuis la Révolution, et il prouvait que le découvert à la fin de 1849 serait de 569 millions, indépendamment des déficits qui se produiraient dans les recettes et dans les aggravations de dépenses que l'Assemblée se montrait toujours si facile à voter.

Et c'est en présence d'un pareil découvert, s'écriait-il, c'est dans un des moments les plus embarrassés pour les finances du pays, qu'on veut priver le Trésor d'une recette de plus de vingt millions; vous dites qu'on trouvera d'autres ressources: croyez-vous donc qu'il soit si facile de créer des impôts nouveaux? Citoyens, j'ai pris le fardeau lourd et pénible qui pèse sur moi; j'ai su ce que je faisais; je n'ai pas ignoré dans quels embarras je pouvais me trouver; mais j'ai espéré, j'espère encore pouvoir mener à bien cette œuvre si difficile de la restauration de nos finances. C'est à vous de m'aider: j'ai besoin de votre assistance; je résiste et résisterai à toute diminution de ressources. Si vous me retranchez vingt millions de mes ressources déjà réduites à la plus extrême limite, vous nous jetez sur le terrain des aventures.

M. Goudchaux lui-même, j'aime à lui rendre cette justice, vint très-noblement en aide à son successeur.

Le crédit de la République commence à se fonder (la rente s'était élevée, depuis le 15 décembre, de 74 fr. à 78 fr.), disait-il, aidez-le; ce que vous pouvez faire de mieux pour cela, c'est de remettre à 1850 le dégrèvement du sel.

La réduction de la taxe du sel de 30 à 10 centimes proposée par la Commission n'en fut pas moins votée par 403 voix contre 360. Mais quand on considère le

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