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AMBUTLLO

peuple; comment, en plaçant en face du président une Assemblée unique, on avait organisé un duel dont l'issue ne pouvait être que la mort de l'un des deux combattants et il était facile de prévoir lequel des deux devait succomber. Nous avons aussi fait ressortir comment cette faute s'était aggravée de toutes les tentatives d'ostracisme dirigées contre le candidat redouté, tentatives faites sans ensemble, sans intelligence, sans résolution, et qui ne pouvaient que grandir et fortifier celui contre lequel elles étaient dirigées; nous avons vu, enfin, avec quel étrange aveuglement, Gouvernement et Assemblée, par leur empressement à voter la Constitution et à avancer le jour de l'élection présidentielle, se précipitaient à l'envi au-devant du coup qui devait les frapper: comme s'ils eussent été, eux aussi, impatients d'en finir.

La suite de ce récit n'est que la continuation et l'aggravation de ces fautes. Il semble même que l'aveuglement redouble à mesure que la crise suprême approche, et c'est bien aux hommes d'État de la République qu'on peut appliquer ce vers si souvent cité : « Quos vult perdere Jupiter dementat. »

On ne peut cependant pas dire que le général Cavaignac ait succombé sans lutter; il ne négligea aucun des avantages qu'il pouvait tirer de la possession du pouvoir et de l'action dévouée du monde officiel. Il aurait pu, peut-être, s'en servir avec plus d'habileté ; mais on ne peut pas lui reprocher de n'en avoir pas usé.

Ainsi, M. Dufaure, dans une circulaire adressée à tous les préfets, tout en leur recommandant de respecter et de faire respecter la liberté du suffrage, posait ainsi la candidature du général Cavaignac. <«< La nation, disait-il, devait, dans son choix, se confier à un passé sans reproche, à un patriotisme incontesté, à une ré

solution mâle, énergique, déjà éprouvée au service de la République, plutôt qu'à de vaines et trompeuses promesses, etc. »

De plus, répondant à une lettre du président du tribunal de commerce de Paris, le même ministre énumérait tous les droits que le général Cavaignac avait, selon lui, d'être préféré à son concurrent. La demande et la réponse avaient été insérées dans le Moniteur et publiées dans toute la France.

C'était là assurément une intervention bien modérée et très-légitime du Gouvernement, dans une élection qui importait tant au salut de la République. Hé bien, elle ne trouva grâce, ni auprès des démagogues qui s'étaient montrés, on le sait, si scrupuleux dans leurs circulaires et dans leurs fameux bulletins de la République, ni auprès des bonapartistes, qui devaient bientôt faire de l'intervention du Gouvernement en matière d'élection tout un système politique.

M. Joly, au nom des premiers, M. Jules Favre, comme organe des derniers, portèrent successivement leurs interpellations à la tribune.

L'agitation était grande dans cette société dont les destinées allaient se décider par un seul scrutin. Les clubs étaient en permanence, les discours les plus violents s'y tenaient. M. Ledru-Rollin ne craignait pas d'y faire appel aux armes. Un officier de l'étatmajor de l'armée ayant assisté à un de ces clubs, le ministre de la guerre, le général Lamoricière, l'avait envoyé à titre de punition dans un bataillon de dépôt. Ce fut là l'occasion des interpellations de M. Joly; il se plaignit des rigueurs du pouvoir contre les démocrates et de l'indulgence qu'on accordait aux agitations bonapartistes. Il dénonçait des rassemblements qui avaient lieu tous les jours à la place Vendôme devant le logement de LouisNapoléon, rassemblements d'où s'échappaient les

cris de Vive Napoléon, à bas Cavaignac! Il s'étonnait qu'on ne les eut pas encore réprimés. Le général de Lamoricière répondit que, « tant qu'il aurait le commandement de l'armée, il ne permettrait pas aux officiers de fréquenter des clubs. » M. Dufaure ajouta que, si les rassemblements de la place Vendôme prenaient un caractère séditieux, qu'ils n'avaient pas encore, il saurait appliquer les lois existantes, et que si ces lois ne suffisaient pas, il en demanderait de nouvelles. Quant aux clubs, il déplora leur violence et se plaignit particulièrement d'un discours qui provoquait ouvertement à la guerre civile; M. Ledru-Rollin, auteur de ce discours, prétendit que l'appel aux armes qu'on lui reprochait n'était que conditionnel, et pour le cas seulement où l'Autriche rétablirait le pape à Rome; cette première escarmouche, soutenue seulement par l'extrême gauche, ne pouvait avoir une grande portée.

Mais M. Jules Favre, appuyé par tout le parti bonapartiste, reprend le combat avec cet acharnement qui lui est propre. Il porte à la tribune une foule de petits faits assez insignifiants. C'est un préfet qui, s'adressant aux maires de son département convoqués devant lui, leur rappelle l'importance de l'élection du président et les avertit que le peuple des campagnes a besoin d'être éclairé sur la portée de son vote. C'est un membre du conseil général du Pas-de-Calais qui dit aux maires de son canton : « Prenez garde, Paris renferme 300,000 républicains qui ne souffriront pas que le pouvoir échappe de leurs mains. » C'est un sous-préfet qui dit à ses maires qu'il faut empêcher, à tout prix, l'élection de Louis-Napoléon. C'est enfin la lettre de M. Dufaure au président du tribunal de commerce sur l'élection présidentielle, lettre dénoncée par M. Jules Favre, l'auteur des fameuses circulaires, comme un attentat à la liberté des élections. Chacune

de ces dénonciations est accueillie par des cris ironiques des centres : C'est bien! c'est très-bien ! Il n'y a pas autre chose à faire, etc., ET VOS CIRCULAIRES?... Ces circulaires, s'écrie l'auteur, elles ont été faites pour le triomphe de la République! on aurait pu lui répliquer : Est-ce la République que vous voulez faire triompher dans ce moment, alors que vous servez la candidature du futur empereur? Après que le tumulte est apaisé, M. Jules Favre reprend la série de ces dénonciations; il parle d'une biographie du général Cavaignac envoyée gratuitement par la poste, à tous les maires, distribuée dans les casernes et dans laquelle était posée cette question : « Quel homme oserait se porter le rival de Cavaignac? qui apporterait dans la balance les mêmes titres que lui? et l'Assemblée tout entière de crier C'est juste! Il parle aussi d'une brochure intitulée les Prétendants, d'une autre brochure ayant pour titre : Documents de l'histoire contemporaine et des Guêpes d'Alphonse Karr, écrits dans lesquels l'un des candidats est, bien entendu, fort exalté, aux dépens de son concurrent; ces citations font peu de sensation; de tous les côtés, on crie à l'orateur : « Mais les choses ne peuvent pas se passer autrement. » M. Jules Favre n'est pas plus heureux lorsqu'il déploie sur la tribune une grande affiche dans laquelle le général Cavaignac était représenté à cheval, avec cette inscription: Sauveur de la République; des voix nombreuses lui crient: Cela n'est que vrai! l'effet de l'attaque était complétement manqué.

Il ne fut pas difficile à M. Dufaure de faire tomber tout cet échaufadage d'incriminations. Il commença par déclarer qu'il n'avait pas à s'occuper de ce qu'avaient fait ou dit des maires, des membres de conseils généraux ou des représentants; qu'ils étaient parfaitement libres de leurs votes, comme de leurs opinions et de leurs influences; que, quant aux écrits dénoncés,

l'un avait été saisi et l'auteur d'un autre destitué; et que bonne justice serait faite de tout ce qui n'était pas l'exercice légitime du droit de discuter et d'apprécier les candidats. Puis, prenant à son tour le rôle d'accusateur, il dénonce les manœuvres du parti bonapartiste dans toute la France. « Qui ignore, dit-il, que partout, dans les campagnes, il y a des agents disant au nom d'un candidat que, si ce candidat est nommé président, non-seulement on n'aura plus à payer les 45 centimes, mais ceux qui les ont payés seront remboursés, que la dette nationale disparaîtra, que pendant trois ou quatre ans on n'aura pas d'impôts à payer, et autres absurdités pareilles! Le Gouvernement, placé entre des partisans dont les uns appellent un bouleversement social et les autres l'Empire, ne pouvait rester muet; il a fait entendre sa parole avec fermeté, mais avec modération et décence. » Puis, arrivant à sa lettre au président du tribunal de commerce: « Quoi! s'écrie-t-il, on me demanderait mon opinion sur l'acte qui importe le plus à mon pays, sur un caractère que je connais et que j'honore et qui est calomnié, et je garderais lâchement le silence! Non... si l'Assemblée voulait m'imposer une telle låcheté, qu'elle me retire un pouvoir que je ne saurais garder à ce prix ! »

Ces paroles sont suivies d'applaudissements et de bravos prolongés.

Cependant M. Jules Favre, qui ne lâche pas prise facilement, insiste : « Nous ne sommes, dit-il, ici, ni les uns ni les autres, les hommes de telle ou telle candidature. Parlez plus franchement, lui répond M. Dufaure de sa place. Nous sommes au contraire, les uns et les autres, les hommes de telle ou telle candidature. » Le général Lamoricière clôt le débat par quelques paroles fermes et rassurantes sur les craintes qui s'étaient manifestées dans le public d'une

« PrethodnaNastavi »