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s'était opéré dans cette partie si importante de l'Assemblée. M. Sénard se gardait bien, comme les Montagnards, comme M. Ledru-Rollin, de crier à la violation de la Constitution; il avait trop d'esprit pour confondre avec le droit de réunion accidentel le club permanent, et il était trop habile tacticien pour ne pas savoir que, dans l'Assemblée 'constituante telle qu'elle était composée et où les partis extrêmes ne devenaient majorité que par l'appoint d'une certaine quantité d'hommes timides et flottants, ce n'était pas en brutalisant leurs sentiments qu'on les gagnait, mais au contraire en masquant et en tournant les questions. Aussi motivait-il le rejet de l'urgence sur ce que la mesure était trop grave pour ne pas être examinée à loisir; il fallait se donner le temps de vérifier les faits avancés par le ministère; déjà les clubs avaient été réduits de trente-sept à onze, ce qui prouvait l'efficacité de la loi existante, etc. Vainement je fis remarquer que la question de la suppression des clubs était une de celles qui, une fois posées, devaient être résolues immédiatement dans l'intérêt de la paix publique; que quant aux reproches de violation de la Constitution, ce devait être une raison de plus pour décréter l'urgence, car il n'y avait rien de plus urgent dans le monde politique que de réparer une brèche faite à la Constitution.

Vous dites que vous n'êtes pas suffisamment instruits, m'écriai-je; mais l'histoire ne vous répond-elle pas que jamais un gouvernement régulier, républicain ou monarchique, n'importe la forme, n'a pu exister avec les clubs? ou ces réunions sont devenues elles-mêmes fatalement le gouvernement, ou elles ont été dissoutes. Ne les voyez-vous pas en lutte permanente avec l'autorité et la justice? Votre loi de réglementation n'a fait qu'aggraver le danger par le scandale d'une résistance ouverte, Ne savez-vous pas aussi que si le nombre des clubs a diminué à Paris, c'est pour concentrer leurs forces, et que leur organisation et leur in

fluence s'étendent de plus en plus dans toutes les parties de la France?

Le rapporteur, en me répliquant, se gardait bien de nier les inconvénients et les dangers des clubs, mais il maintenait qu'avant d'arriver à ce remède héroïque de leur suppression, il fallait voir et étudier avec soin s'il n'y avait pas d'autres moyens préventifs à employer efficacement. Le système d'ajournement du rapporteur l'emporta et 418 votants contre 342 rejetèrent l'urgence. Le ministère était ainsi constitué en minorité.

Abandonnés par la majorité sur une question de cette importance, nous dûmes en référer au Président de la République. Un conseil fut immédiatement assemblé et on y examina s'il convenait de changer et le ministère et la politique suivie jusqu'alors, c'est-àdire de revenir sur les deux grandes mesures engagées, la suppression des clubs et la proposition Rateau. Le Président n'hésita pas sur le parti à prendre; il déclara que sur ces deux questions l'opinion publique, bien loin d'être en désaccord avec son gouvernement, allait bien au delà; que sous la monarchie constitutionnelle nous eussions pu en toute sécurité en appeler de l'Assemblée au pays au moyen d'une dissolution, mais que ce remède légal nous étant interdit par la Constitution, nous devions tenir plutôt pour le pays que pour une majorité qu'influençait évidemment le sentiment de sa fin prochaine!...

Cet avis fut aussi le nôtre, et il fut décidé que le ministère resterait.

Le lendemain, dans le Moniteur du 29 janvier, paraissait l'article officiel et communiqué qui suit :

Le conseil des ministres s'est réuni aujourd'hui à l'Élysée; sur le compte que les ministres lui ont rendu des incidents de la séance d'hier, M. le président de la République a dé

claré qu'il n'y voyait aucun motif pour modifier sa politique et que le cabinet pouvait compter sur son appui ferme et persévérant.

Ainsi, le défi jeté par la majorité au pouvoir exécutif était accepté, et, dans ce conflit, l'Assemblée n'avait plus qu'un moyen d'avoir le dernier mot, c'était de recourir à une mise en accusation : elle ne l'osa pas, et céda. Ceux qui, devenus républicains par amour de la liberté, étaient attentifs au fonctionnement de la nouvelle Constitution purent dès lors reconnaitre la vérité de ce que je leur avais annoncé dès les premiers jours de la République, à savoir que l'influence parlementaire était et devait être moins prépondérante sous un chef élu et responsable qu'elle ne l'était sous un chef héréditaire et irresponsable. Cette leçon ne devait malheureusement pas être la seule.

L'autre mesure également irritante que nous avions à poursuivre, c'était la dissolution de la garde mobile. On se rappelle que cette institution était sortie toute armée des entrailles de la Révolution; employer à la défense de l'ordre les agents les plus jeunes, les plus pauvres et par conséquent les plus ardents de la lutte révolutionnaire avait été une conception hardie mais dangereuse, quoique les résultats en eussent été, er définitive, utiles à la société. Mais lorsqu'on réfléchissait à combien peu il avait tenu en Mai et en Juir. que les soldats de l'ordre ne devinssent ceux de l'insurrection, on était amené à désirer que le salut de la société ne fût plus livré à de tels hasards. D'ailleurs l'existence de cette garde, qui n'était ni la garde nationale, ni l'armée, qui recevait une paie beaucoup plus élevée que celle de nos soldats et qui cependant ne pouvait être employée qu'à l'intérieur, dont les officiers portaient les titres et les insignes de grades qu'ils n'avaient que provisoirement et étaient exposés,

après avoir commandé un bataillon de mobiles, à passer caporaux ou sergents dans la ligne, un tel système formait une anomalie dans notre organisation militaire1.

Il importait de saisir l'occasion qu'offrait l'avènement d'un gouvernement fort et indépendant pour faire disparaître cette anomalie et replacer toute la force armée sous l'empire de règles communes. Néanmoins, comme ces jeunes gens avaient rendu des services signalés à la société, nous dûmes apporter dans leur licenciement tous les ménagements auxquels ils avaient droit Ainsi nous commençâmes par réduire les bataillons de vingt-cinq à douze, assurant une prime assez forte à ceux des gardes qui ne seraient pas conservés; nous éloignâmes de Paris les bataillons conservés afin de les enlever aux influences des clubs et des sociétés secrètes.

Ces conditions de licenciement eussent été probablement acceptées par les soldats, mais les officiers avaient d'autres prétentions; ils s'étaient habitués à l'idée de conserver les grades qu'ils avaient obtenus par l'élection, prétentions qui, si elles eussent été reconnues, eussent jeté le mécontentement et la perturbation dans tous les cadres réguliers de notre armée. Ces officiers agitèrent les bataillons qu'ils commandaient : une députation d'entre eux vint même à l'Élysée porter des paroles insolentes et menaçantes. Le général Changarnier les fit arrêter sur place; on vint au même instant nous annoncer que deux bataillons de la garde mobile casernés dans les forts de Saint-Denis s'étaient ouvertement révoltés, qu'ils avaient fermé les portes du fort, se gardaient militairement et se refusaient à

1. Le Piémont vient de présenter une situation semblable, lorsqu'il a eu à se prononcer sur les volontaires de Garibaldi. Il a tourné la difficulté en incorporant dans l'armée ces volontaires qui avaient fait deux ou trois campagnes réglées. Ce qui n'était pas le cas pour nos mobiles.

toute communication avec le ministère de la guerre. De leur côté, les clubs et les sociétés secrètes s'empressaient de saisir l'occasion qui leur était offerte; des adresses incendiaires circulaient dans les faubourgs et les casernes.

Voilà, y disait-on à la garde mobile, la récompense du sang que vous avez versé pour cette société ingrate. On n'a plus besoin de vous, on vous renvoie honteusement; la hideuse misère et le mépris: tel est le prix accordé à votre dévouement. Si la réaction vous désarme, c'est pour avoir meilleur compte de la République. Gardez vos armes et pour défendre la République et pour venger votre honneur, et apprendre à ces ingrats qu'ils n'ont pas impunément abusé de vous.

D'autres circonstances vinrent encore aggraver les dangers de cette crise: le ministre de l'intérieur avait fait fermer d'autorité le local où se réunissait une société dite de la solidarité républicaine, vaste association qui, sous prétexte de défendre la République menacée, devait embrasser toute la France; elle avait déjà organisé ses succursales et ses correspondances dans plusieurs départements; représentée à Paris par un comité directeur où figuraient un grand nombre de députés de la Montagne et à leur tête M. Ledru-Rollin, elle croyait s'être mise en règle par cela seul que son existence était connue de l'autorité. Une circulaire de M. Léon Faucher n'en prescrivit pas moins aux préfets d'interdire et de poursuivre cette société partout où elle avait des ramifications. M. Ledru-Rollin et ses collègues de la Montagne firent insérer dans les journaux une protestation violente dans laquelle ils déclaraient qu'ils désobéiraient ouvertement aux ordres de l'autorité. Ainsi, la dissolution de la garde nationale mobile se rencontrait avec cette insurrection ouverte des sociétés secrètes et des clubs.

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