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avec une nouvelle ardeur; M. Sarrans demandait une enquête sur la journée du 29 janvier, il reproduisait le fait de la lettre du général Changarnier au président, celui de l'arrestation des deux colonels de la garde nationale; il voyait dans ces faits le principe d'un parti pris d'outrager l'Assemblée, la pensée d'un coup d'État, une conspiration contre la République ; une enquête seule pouvait éclairer l'Assemblée, etc.

Le ministre de l'intérieur, quant à la lettre du général Changarnier, s'en référa à ce qu'en avait dit M. Marrast, et sur le fait de l'arrestation des colonels, il affirma que cette mesure avait été rendue nécessaire par les appels que les officiers faisaient ouvertement à la révolte. Il aurait pu s'en tenir à ces explications sommaires; mais il crut devoir rentrer dans son thème habituel d'attaques contre la Montagne; son ton, son geste, son assurance même, tout en lui était antipathique à une grande partie de l'Assemblée; et, sous sa parole, ce débat vidé la veille se ranima et amena des scènes violentes qui appelèrent l'intervention du président.

Heureusement, M. Marrast quitta son siége de président et vint à la tribune, lire d'abord la lettre du général Changarnier qui, bien qu'assez peu respectueuse, ne contenait cependant pas de refus formel, ni surtout aucun de ces défis que la Montagne s'attendait à y trouver; il lut ensuite la lettre que je lui avais adressée et dans laquelle je lui disais qu'après information, j'avais acquis la certitude que les colonels avaient été arrêtés non à raison de leurs offres de secours à l'Assemblée, mais par suite de provocations publiques et directes à l'insurrection adressées par eux à leurs soldats. Ces deux documents suffirent pour faire tomber cette supposition de M. Sarrans d'un parti pris d'outrager l'Assemblée, et c'était le point. important, car les susceptibilités de l'esprit de corps

étaient le seul terrain sur lequel la Montagne et les républicains modérés pussent se montrer et réunir leurs votes.

Nous devions nous regarder enfin comme sortis de cette crise orageuse; mais dans la séance du 31 janvier, le débat reprenait avec une nouvelle passion. M. Marrast, soit sciemment, soit par ignorance, avait pris sur lui de saisir les bureaux de la demande d'enquête formulée par M. Sarrans. Or, l'Assemblée n'avait pas préalablement ordonné ce renvoi, et le procédé du président était de tout point irrégulier. Aussi, la plus grande confusion avait-elle régné dans la discussion des bureaux; plusieurs s'étaient déclarés illégalement saisis et avaient refusé de mettre en discussion la proposition; d'autres n'avaient nommé de rapporteur que sur l'urgence; d'autres enfin avaient discuté le fond de la proposition. Ces irrégularités furent signalées dans la séance générale de l'Assemblée par M. Taschereau, et, après un long débat dans lequel les tacticiens du parti de l'opposition, MM. Stourm, Billault, insistèrent beaucoup pour faire maintenir le renvoi ordonné par le président, il fallut bien, en présence du texte formel du règlement, reconnaître qu'on avait fait fausse route.

Le vrai motif de cette grande insistance qu'on mettait à faire prévaloir le renvoi de l'enquête aux bureaux tenait uniquement à ce que les habiles du parti républicain modéré avaient reconnu que, par sa proposition de mise en accusation des ministres, la Montagne avait placé la lutte sur un mauvais terrain; cette accusation, en effet, n'était pas prise au sérieux par l'Assemblée; ils voulaient donc y substituer la proposition d'enquête, qui allait beaucoup mieux au tempérament de cette Assemblée; ils s'efforçaient de venir ainsi au secours de M. Ledru-Rollin et de couvrir la retraite de cet enfant terrible.

M. Vezin, député assez intelligent, mais souvent trop ardent, siégeant à droite, devina cette tactique et la retourna contre ses auteurs. Il demanda, en termes ironiques, ce qu'il était advenu de la proposition de mise en accusation annoncée naguère à l'Assemblée avec tant d'emphase? pourquoi lui préférer une demande d'enquête qui était postérieure en date? l'avait-on abandonnée ? alors il faudrait le dire!

M. Ledru - Rollin, qui aurait préféré sans doute laisser sa mise en accusation suspendue sur la tête du ministère, sans avoir à la prouver, fut bien forcé de s'expliquer. Il déclara qu'il persistait plus que jamais dans ses accusations qui, selon lui, venaient de recevoir une nouvelle force des faits qui s'étaient passés dans ces derniers jours. Alors le président dut mettre aux voix le renvoi de la proposition de mise en accusation aux bureaux. Ce renvoi fut refusé par 458 voix contre 250; encore de ces 250 membres formant la minorité, il faudrait retrancher un assez grand nombre de représentants qui, le lendemain du vote, expliquèrent dans le Moniteur qu'ils n'avaient entendu voter qu'un simple examen et qu'ils eussent voté autrement s'il se fùt agi de préjuger le fond. Toutefois, on ne peut que regretter et même s'étonner de rencontrer parmi les noms de cette minorité celui du président Marrast, dont la conduite, dans toute cette affaire, avait été marquée d'une certaine modération.

Enfin, les interpellations de M. Martin Bernard, membre exalté de la Montagne, à propos de la fermeture du local de la Société de la solidarité républicaine et de l'arrestation de plusieurs de ses membres, vint clore cette série de combats acharnés qui avaient rempli presque toute une semaine.

Nous avons déjà fait connaître cette Société et la mesure de suppression dont elle a été l'objet; avant

M. Léon Faucher, M. Dufaure avait fait une descente dans le local de cette Société; mais il s'était trouvé que, ce jour-là, une réunion électorale avait choisi ce même local pour y tenir séance, et ce sont ses procès-verbaux et non ceux de la Société de la solidarité républicaine qui avaient été saisis; méprise qui avait amené la rétractation de la saisie. L'auteur des interpellations ne manqua pas de se prévaloir de cet incident pour en conclure que la Société, interdite par le ministre nouveau, avait reçu la sanction de l'autorité précédente; mais la plus simple explication suffit pour faire tomber cet argument, et comme M. LedruRollin, dans un long et véhément discours, s'efforçait d'établir par une discussion de droit que la Société qu'il présidait était légalement autorisée, je me bornai à lui répondre de ma place : « Que, s'il faisait un plaidoyer, ce n'était pas le lieu et qu'il devait le réserver pour les juges saisis; que, si c'était un nouvel acte d'accusation, il devait le formuler et le soumettre aux formes du règlement. » Ces observations coupèrent court à la discussion et l'ordre du jour fut voté.

C'est ainsi que se termina enfin ce combat acharné qui avait rempli huit mortelles séances; si les périls avaient été grands, les résultats obtenus n'étaient pas sans importance. Nous avions frappé l'anarchie au cœur, en proposant la suppression des clubs et en lui montrant que nous ne la redoutions pas. Nous avions vis-à-vis de l'Assemblée résolûment établi notre indépendance comme pouvoir exécutif; nous avions fait disparaitre toute incertitude sur le terme de l'existence de cette Assemblée; nous avions déjoué complétement, et de manière à ce qu'il n'y eût plus moyen de la reprendre, cette tactique qui consistait à diviser le président de son ministère; et en faisant éclater le parfait accord d'intention et de volonté qui

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régnait entre les principaux dépositaires du pouvoir, nous avions ajouté encore à sa force. Certes, le ciel n'était pas sans nuage; nous, n'avions pas résolu les difficultés qu'offraient les vices de la Constitution, nous n'avions pas trouvé le secret de concilier cette double responsabilité du président et du cabinet sur laquelle reposait cependant tout le mécanisme du nouveau gouvernement; nous avions encore à redouter les accès de défiance et de ressentiment d'une Assemblée qui devait inévitablement devenir d'autant plus difficile à manier que sa fin approchait davantage. De plus, les derniers événements nous avaient révélé, chez le président, une persistance dans ses rêves de restauration impériale et une impatience de les réaliser qui appelaient toute notre surveillance 1.

C'était là, malheureusement, un danger inhérent à la situation; il avait bien fallu prendre la force que le nom de Napoléon et les cinq millions de suffrages accordés à ce nom nous apportaient, avec les conditions qui en étaient inséparables; la seule chose que nous avions à faire, c'était, ainsi que nous en avions pris l'engagement dans notre programme ministériel, d'empêcher que cette force ne s'égarát, et nous y avons réussi, Dieu merci, tant que le pouvoir est resté dans nos mains.

1. Toutes les fois qu'il paraissait au conseil avec ses pantalons à bandes rouges, nous échangions, mes collègues et moi, un sourire d'intelligence, et nous nous attendions à quelques-unes de ces propositions qui sentaient l'Empire et dont nous faisions justice à l'instant même.

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