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partout des fecours inutiles; un chirurgien arrive, il examine le corps de la mère, nul fecours à lui donner. Il faigne le jeune homme qui revient enfin à lui. Les voifins accourent chacun s'empreffe à le confoler. Tout fe paffe felon l'ufage; le cadavre eft enfeveli dans une biére au tems prefcrit; on commence un inventaire; tout eft en règle & en paix.

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Quelques femmes du peuple dans l'oifiveté de leurs conversations raifonnent au hazard fur cette mort. Elles fe reffouviennent qu'il y eut un peu de méfintelligence entre les enfans & la mère quelque tems auparavant. Une de ces femmes remarque qu'on a vu quelques gouttes de fang fur un des bas de Monbailli. C'était un peu de fang qui avait jailli lorfqu'on le faignait. La légéreté maligné d'une de ces femmes la porte à foupçonner que c'est le fang de la mère. Bientôt une autre conjecture que Monbailli & fa femme l'ont affaffinée pour hériter d'elle. D'autres qui favent que la défunte n'a point laiffé de bien, difent que fes enfans l'ont tuée par vengeance. Enfin ils l'ont tuée. Ce crime dès le lendemain paffe pour certain parmi la populace, à laquelle il faut toûjours des événemens extraordinaires & atroces pour occuper des ames défœuvrées.

Le bruit devient fi fort, que les juges de St. Omer font obligés de mettre en prifon Monbailli & fa femme. Ils font interrogés féparément; nulle apparence de preuve ne s'élève contr'eux, nul indice. D'ailleurs les juges étaient fuffifamment informés de la conduite régulière & innocente des deux époux; on ne leur avait jamais reproché la moindre faute : le tribunal ne put les condamner. Mais par condefcendance pour la rumeur publique qui ne méritait aucune condefcendance, il ordonna un plus amplement informé d'un an, pendant lequel les accufés devaient demeurer en prifon. Il y avait de la faibleffe à ces juges de retenir dans les fers deux perfonnes qu'ils croyaient innocentes. Il y eut

bien de la dureté dans celui qui faifait les fonctions de procureur du roi d'en appeller à minima au confeil d'Artois, tribunal fouverain de la province.

Appeller à minima, c'est demander que celui qui a été condamné à une peine en fubiffe une plus terrible. C'eft préfenter requête contre la plus belle des vertus, la clémence. Cette jurisprudence d'antropophages était inconnue aux Romains. Il était permis d'appeller à Céfar pour mitiger une peine, mais non pas pour l'agraver. Une telle horreur ne fut inventée que dans nos tems de barbarie. Les procureurs de cent petits fouverains, pauvres & avides, imaginèrent d'abord de faire prononcer en dernière inftance des amandes plus fortes que dans les premières; & bientôt après ils requirent que les fupplices fuffent plus cruels pour avoir un prétexte d'exiger des amendes plus fortes.

Le confeil fouverain d'Artois qui fiégeait alors, & qui fut caffé l'année fuivante, fe fit un mérite d'être plus févère que le tribunal de St. Omer. Les lecteurs qui pourront jetter les yeux fur ce mémoire, & qui n'auront pas lu ce que nous écrivimes dans fon tems fur cette horrible affaire, ne pourront démêler comment les juges d'Arras, fans interroger les témoins néceffaires, fans confronter les accufés avec les autres témoins entendus, ofèrent condamner Monbailli à être rompu vif & à expirer dans les flammes, & fa femme à être brûlée.

Il faut donc qu'il y ait des hommes que leur profeffion rende cruels, & qui goûtent une affreufe fatisfaction à faire périr leurs femblables dans les tourmens! mais que ces êtres infernaux fe trouvent fi fouvent dans une nation qui paffe depuis environ cent ans pour la plus fociable & la plus polie, c'eft ce qu'on peut à peine concevoir. On avait, il eft vrai, les exemples abfurdes & effroyables des Calas, des Sirven, des chevaliers de Labarre, & c'est précisément ce qui devait faire trembler les juges d'Arras;

ils n'écoutèrent que leur illufion barbare.

L'époufe de Monbailli, âgée de vingt-quatre ans, était groffe, comme on l'a déja dit. On attendit fes couches pour exécuter fon arrêt, & elle refta chargée de fers dans un cachot d'Arras. Son mari fut reconduit à St. Omer pour y fubir fon fupplice.

Ce n'est que chez nos anciens martyrs qu'on retrouve des exemples de la patience, de la douceur, de la réfignation de cet infortuné Monbailli; proteftant toûjours de fon innocence, mais ne s'emportant point contre fes juges, ne s'en plaignant point, levant les yeux au ciel, & ne lui demandant point vengeance.

Le bourreau lui coupa d'abord la main droite. On ferait bien de la couper, dit-il, fi elle avait commis un parricide. Il accepta la mort comme une expiation de fes fautes, en attestant DIEU qu'il était incapable du crime dont on l'accufait. Deux moines qui l'exhortaient & qui femblaient plutôt des fergens que des confolateurs, le preffaient dans les intervalles des coups de barre d'avouer fon crime. Il leur dit, pourquoi vous obftinez-vous à me preffer de mentir? Prenez-vous devant DIEU ce crime fur vous? Laiffez-moi mourir innocent.

Tous les affiftans fondaient en larmes & écla taient en fanglots. Ce même peuple qui avait poursuivi fa mort l'appellait le faint, le martyr; plufieurs recueillirent fes cendres.

Cependant le bucher dans lequel cette vertueufe victime expira, devait bientôt fe rallumer pour fa femme. Elle avançait dans fa groffeffe, & les cris de la ville de St. Omer ne l'auraient pas fauvée. Informés de cette catastrophe, nous prîmes la liberté d'envoyer un mémoire au chef fuprême de toute la magiftrature de France. Ses lumières & fon équité avaient déja prévenu notre requête. Il remit la revifion du procès entre les mains d'un nouveau confeil établi dans Arras.

Ce tribunal déclara Monbailli & fa femme

innocens. L'avocat qui avait pris leur défense, ramena en triomphe la veuve dans fa patrie; mais le mari était mort par le plus horrible fupplice, & fon fang crie encore vengeance. Ces exemples ont été fi fréquens, qu'il n'a pas paru plus néceffaire de mettre un frein aux crimes qu'à la cruauté arbitraire des juges.

On s'eft flatté qu'enfin le grand projet de Louis XIV de réformer la jurifprudence pourrait être exécuté, que les lumiéres naiffantes de ce fiécle mémorable augmentées par celles du nôtre, répandraient un jour plus favorable fur l'humanité. On a dit, nous verrons le tems où les loix feront plus claires & plus uniformes, où les juges motiveront leurs arrêts; où un seul homme n'interrogera plus fecrettement un autre homme, & ne fe rendra plus le feul maître de fes paroles, de fes penfées, de fa vie & de fa mort; où les peines feront proportionnées aux délits; où les tortures, inventées autrefois par des voleurs, ne feront plus mifes en ufage au nom des princes. On forme encor ces vœux. Celui qui les remplira fera béni du fiécle préfent & de la postérité.

Fin du tome troifiéme

TABLE

des piéces contenues dans ce volume.

Epitre à l'Impératrice de Ruffie.

au Roi de Danemarck, fur la liberté de la
preffe accordée dans tous fes états.

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Lettre de Mr. de Voltaire à Mr. Pigal.

du même au Roi de Prufe.

Les Deux Siécles.

Le Père Nicodème & Jeannot.

Ode à la Vérité.

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Ode pindarique à propos de la guerre préfente en

Grèce.

64

La Bégueule, conte moral.

Les Systêmes.

Notes par Mr. de Morza.

Les Cabales.

Notes du même.

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Jean qui pleure & qui rit.

Réponse à l'auteur par Mr. l'abbé de Voif

* *

66

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