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girait, nous ne pouvons le dissimuler, de surmonter avant tout l'attachement aux vieux usages, non moins opiniâtre dans nos écoles que dans les cantons les plus reculés de la Grande-Bretagne. Quelque parti que l'on prenne, on n'aura point fait assez, si nos cours publics ne mettent point les élèves au niveau des connaissances nécessaires pour lire avec fruit les meilleurs ouvrages sur les sciences ou les arts auxquels ils voudront se consacrer. Puisque leur instruction spéciale ne commence qu'à leur sortie de nos écoles, qu'ils soient au moins conduits par leurs livres et leurs professeurs jusqu'à l'entrée de leur carrière, et munis de tout ce qu'il faut pour la parcourir avec succès. Si l'on s'obstine à suivre l'ancienne méthode, parce qu'elle est ancienne, les jeunes gens studieux seront dispensés de toute reconnaissance envers leurs instituteurs; s'ils ouvrent un ouvrage étranger, pour y chercher une instruction que les savans anglais n'ont pas mis à leur portée, ils éprouvent un fâcheux désappointement, et s'arrêtent souvent à la première page, faute de savoir assez d'algèbre; ils s'aperçoivent, mais bien tard, qu'il faut recommencer leur instruction. Cette mésaventure n'arrive que trop souvent à ceux de nos jeunes gens les plus dignes d'être encouragés; les élémens d'Euclide qu'on leur a mis entre les mains, et le Traité des Sections coniques, tel qu'il est dans nos écoles, ne les ont point mis en état de lire une seule page de Poisson, de Fourier, de Dupin, etc., pas plus que nos méthodes de calcul n'ont pu les exercer à faire usage des quipos péruviens, ou du swan-pan des Chinois. On ne doit point être surpris que nos écoles publiques produisent si peu d'hommes remarquables dans les sciences mathématiques, puisque les élémens qu'on y enseigne sont aussi prodigieusement en arrière de l'état actuel de la science.

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SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

DE L'ENTENdement et dE LA RAISON. - INTRODUCTIONn a l'étude DE LA PHILOSOPHIE; par J.-F. THUROT, professeur au Collége royal de France. Avec cette épigraphe: Dicam enim nec mea, nec ea in quibus, si vera non fuerint, non vinci me malim, quam vincere. Cicer., Academ., lib. 11, cap. 4 (1).

L'observation exacte des phénomènes de la nature a fait fatre de si grands progrès à toutes les sciences qu'on s'accorde maintenant à la considérer comme le seul moyen d'acquérir de véritables connaissances. Les hommes qui se livrent à l'étude de la philosophie, et qui sont le plus divisés dans leurs opinions, conviennent, comme les autres, que, pour connaître un objet quelconque, il n'y a pas d'autre moyen que de l'observer avec soin. Tous assurent que, dans leurs recherches, ils suivent la même méthode, et qu'ils ne donnent pour certain que ce qu'ils ont découvert, après avoir long-tems observé.

Cependant, aussitôt que les philosophes arrivent à l'exposition de leurs idées, ils cessent d'être d'accord. Non- seulement ils ne conviennent plus des mêmes faits, mais ils ne s'accordent pas même sur le langage. Les théories ou les systèmes qu'ils forment de part et d'autre different tellement par le fond des idées et par les expressions que ce qui pour les uns est évident doit nécessairement être inintelligible ou

(1) Paris, 1830; Aimé André, quai Malaquais, no 13. 2 vol. in-8°; prix, 14 fr.

faux pour les autres. Nous ne concevons point, par exemple, qu'un homme habitué aux écrits de Locke, de Condillac, de Tracy, de la Romiguière, puisse rien comprendre aux écrits de l'école philosophique dont M. Cousin est le fondateur. Mais, d'un autre côté, nous ne concevons pas mieux qu'un homme qui comprend ou croit comprendre les écrivains de cette école trouve intelligibles les ouvrages des premiers. De part et d'autre cependant on prétend étudier les mêmes objets, et faire usage de la même méthode.

Nous n'avons pas besoin de prouver que les écrivains qui ont marché sur les traces de Bacon et de Locke ont admis l'observation des faits comme seul moyen d'acquérir des connaissances réelles : c'est une vérité que personne n'a contestée. Leurs adversaires pourraient leur reprocher, tout au plus, d'avoir mal observé, ou d'avoir négligé l'observation de certains phénomènes. Ils ne sauraient leur reprocher, avec quelque apparence de raison, d'avoir voulu s'instruire autrement qu'en soumettant les faits à un examen scrupuleux.

D'un autre côté, si l'on reprochait à ceux-ci d'avoir voulu s'instruire autrement que par l'observation des faits et par des inductions tirées des faits observés, il leur serait facile de trouver dans leurs écrits la preuve qu'ils ont recommandé la méthode d'observation comme la seule propre à conduire à la découverte de la vérité. M. COUSIN, par exemple, nous apprend, dans la préface qui précède ses Fragmens philosophiques, publiés en 1826, que c'est avec son secours qu'il a fait ses plus grandes découvertes. « La méthode d'observation, dit-il, est bonne en elle-même. Elle nous est donnée par l'esprit du tems, qui lui-même est l'œuvre de l'esprit général du monde. Nous n'avons foi qu'à elle, nous ne pouvons rien que par elle, et pourtant en Angleterre et en France, elle n'a pu jusqu'ici que détruire ou ne rien fonder. Parmi nous, son seul ouvrage en philosophie est le système de la sensation transformée. A qui le tort? Aux hommes, non à la méthode. La méthode est irréprochable: elle suffit toujours; mais

il faut l'appliquer selon son esprit. Il ne faut qu'observer; mais il faut observer tout (1).

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En recommandant la méthode d'observation, M. Cousin n'a pas entendu donner un stérile précepte; il a tenté d'en faire l'application, du moins il nous l'assure. « Plus que jamais fidèle à la méthode psychologique, dit-il, au lieu de sortir de l'observation, je m'y enfonçai davantage, et c'est par l'observation que, dans l'intimité de la conscience et à un degré où Kant n'avait pas pénétré, sous la relativité et la subjectivité apparente des principes nécessaires, j'atteignis et démêlai le fait instantané, mais réel, de l'aperception spontanée de la vérité, aperception qui, ne se réfléchissant point elle-même, passe inaperçue dans les profondeurs de la conscience, mais y est la base véritable de ce qui, plus tard, sous une forme logique et entre les mains de la réflexion, devient une conception nécessaire. Toute subjectivité, avec toute réflectivité, expire dans la spontanéité de la réflexion. »

Un autre écrivain de la même école, M. Th. JoUFfroy, reconnaît que les immenses progrès des sciences naturelles ne peuvent être attribués qu'à un heureux emploi de la méthode d'observation. Il admet que cette méthode est la seule à l'aide de laquelle on puisse former les sciences philosophiques; seulement, il pense qu'il est des faits qui sortent de l'ordre des faits sensibles, et qu'il faut observer autrement que les faits des sciences naturelles. « Nous admettons pleinement avec Bacon, dit-il, que tout ce que nous pouvons connaître de la réalité se réduit à des faits que nous observons et à des inductions tirées de ces faits sur la partie de la réalité qui échappe à notre observation. Nous ajouterons même, pour être plus complets, que nous tirons ces inductions au moyen d'un certain nombre de vérités ou axiomes primitifs qui nous révèlent ce que nous ne voyons pas dans ce que nous voyons, et sans lesquels nous n'irions jamais au delà des faits observés. Nous sommes si convaincus de la vérité de cette doctrine que nous

(1) Fragmens philosoph., pag. vILI.

ne l'admettons pas parce qu'elle est de Bacon, mais uniquement parce qu'elle représente elle-même un fait incontestable de l'intelligence humaine (1).

Enfin, M. DAMIRON, que M. Cousin considère comme un des plus distingués de ses disciples, nous apprend que son maitre a adopté la méthode suivie par tous les hommes véritablement instruits. Suivant lui, l'opinion de M. Cousin sur la méthode n'a rien de particulier : c'est celle du monde savant, à quelques exceptions près; et le disciple est d'accord sur ce point avec le maître. Il déclare positivement que la seule manière de faire de la philosophie est la méthode d'observation. C'est aujourd'hui, ajoute-t-il, l'opinion la plus générale dans le monde savant. Il conçoit cependant une méthode différente, mais il ne la conçoit que chez les hommes qui parlent au nom de la révélation, c'est-à-dire chez les théologiens (2).

Ainsi, voilà deux classes d'écrivains, ou, si l'on veut, de philosophes, qui adoptent la même méthode, qui l'appliquent à l'étude des mêmes objets, et qui arrivent à des résultats entièrement opposés.

Les écrivains de la nouvelle école, que nous pouvons considérer comme les romantiques de la philosophie, traitent les philosophes des deux derniers siècles à peu près comme les romantiques littéraires traitent nos poètes et particulièrement nos écrivains dramatiques. Ils assurent que, depuis Locke jusqu'à M. de Tracy inclusivement, les philosophes, et particulièrement ceux que la France a produits dans le cours du XVIII siècle, n'ont débité que des erreurs. Suivant eux, leurs ouvrages ont eu et peuvent avoir encore les conséquences les plus funestes pour le genre humain. Leurs opinions, au contraire, si nous nous en rapportons à eux, ne tendent qu'au

(1) Voyez la préface de la traduction des Esquisses de Philosophie morale de Dugald STEWART, par M. Th. JOUFFROY.

(2) Essai sur l'Histoire de la Philosophic en France, AU XIX® SIÈCLE. T. 11, P. 240.

T. XLVI. JUIN 1850.

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