Slike stranica
PDF
ePub
[graphic][subsumed][merged small][merged small]

Dans la dernière séance du Congrès de Christiania, j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention des Orientalistes sur la topographie indienne de la montagne du Purgatoire dans la divina Commedia.

Avant le Dante, l'art chrétien ne connaissait aucune représentation du Purgatoire, en forme de montagne, terminée par le Paradis terrestre. Cette représentation a été possible seulement parce que les Mahométans avaient placé le Paradis terrestre au sommet du Pic d'Adam dans l'île de Ceylan, l'ancienne Taprobane (Tamraparnî des Grecs, l'île de Lañkâ du Râmâyana, le Sinhaladvîpa, Sielendiva, Serendippo, sur laquelle le Moyen âge avait rapporté, en Europe, par les Arabes, un si grand nombre de contes merveilleux). C'est encore dans l'île de Ceylan, que le voyageur portugais Barbosa a trouvé la tradition, selon laquelle, pour monter au ciel, non pas seulement il faut entreprendre un pèlerinage à l'île sacrée, mais gravir le Pic d'Adam et traverser le Paradis terrestre, comme un voie d'expiation, comme une échelle vers le paradis.

On sait que la montagne du Purgatoire, chez le Dante, se termine par le Paradis terrestre, où le poète se purifie, avant de monter au Ciel.

Certes, le Dante avait pris connaissance de ce que les Musulmans racontaient sur le Paradis terrestre; il savait tout ce que l'on croyait savoir au Moyen âge.

Giornale dantesco, Vol. III.

4

Mais sur l'île de Ceylan, sur la Taprobane, on avait des connaissances assez vagues. Certaines cartes indiquaient déjà l'île merveilleuse à sa place; d'autres, à la place de Java; autres encore, où se trouve le Japon, comme les pays des Antipodes, comme le finis terrae; ce qui explique l'erreur sublime de Christophe Colomb, qui croyait, en tournant la terre, mettre le pied sur une île indienne, lorsqu'il débarqua à l'île du Sauveur.

Pour son voyage à travers l'enfer, le Dante était parti de Jérusalem, considérée comme le centre de la terre, et puisqu'à la sortie de l'Enfer, en marchant toujours dans une direction opposée, il devait, d'après les notions géographiques du Moyen âge, trouver la terre des Antipodes, c'est à la Taprobane qu'il devait fixer sa montagne d'expiation, son Purgatoire, son Paradis terrestre, par la première raison toute simple qu'il n'aurait pu la placer ailleurs. Mais j'ai indiqué quelques autres raisons particulières et, si je ne me trompe pas, assez probantes pour démontrer que l'île sacrée et mystérieuse de Ceylan avec son Pic d'Adam surmonté par le Paradis terrestre et la montagne du Purgatoire, chez le Dante, qui se termine aussi par le Paradis terrestre, sont la même chose, entr'autres cette fameuse ambassade de Singhalais envoyée à Rome par le roi de la Taprobane, sous l'empereur Claude, et mentionnée par Pline, et, d'après lui, par Solinus, que le Dante et tous les savants du Moyen âge lisaient beaucoup, où l'on nous apprend que ces Singhalais à Rome s'étonnaient surtout de voir que l'ombre de leurs corps se projetait d'un côté différent à celui qu'ils avaient observé dans leur île. Le Dante, à son tour, en grimpant sur la montagne de son Purgatoire, avec Virgile, est frappé du même étonnement; il est surpris, en effet, de voir son ombre se projeter dans une autre direction qu'en Italie, ce qui donne lieu au paresseux Belacqua, un bel esprit florentin, qui s'ennuie au Purgatoire, de le plaisanter sur son ignorance ou sur sa distraction, puisqu'il semble oublier qu'il se trouve dans la région des Antipodes.

J'avais d'abord été assez frappé par le fait que dans le Purgatoire l'Inde se trouve si souvent mentionnée; le Gange y est nommé, ainsi que le saphir oriental, la ficus religiosa, c'est-à-dire l'arbre indien par excellence, arbre merveilleux aux mille racines, qui se propagent, comme les bras des Dieux, à l'infini.

Après avoir fixé le Purgatoire et le Paradis terrestre du Dante au Pic d'Adam, il m'a été facile de découvrir quelques autres analogies

assez frappantes. Une telle, par exemple, m'a été indiquée par le voyage d'Ulysse, qui a peut-être donné à Vasco de Gama l'idée de faire le tour de l'Afrique pour retrouver l'Inde, en naviguant de quatre à cinq mois vers l'Orient. Que fait, en effet, Ulysse dans la divina Comedia? Après avoir passé les Colonnes d' Hercule, il voyage, pendant cinq mois, vers l'Orient, et va faire naufrage auprès de la montagna bruna, la montagne que l'on découvre et distingue en remontant du Cap, la Mer des Indes, pendant un long temps. Mais, dans la saison des Moussons, la navigation de cette mer est si difficile, que les anciens navigateurs renonçaient à l'idée d'aborder la Taprobane, pendant cette saison; ce qui a suffi pour répandre la fable que l'île était déserte. Ulysse allait probablement, comme l'Alexandre de la légende de l'Iskander Nameh, et de mille autres sources persanes et chrétiennes légéndaires du Moyen âge, vers l'Orient, à la recherche du Pays des Bienheureux; il vient mourir aux pieds de la montagna bruna, de la montagne d'expiation, par laquelle on monte au Paradis. Le Dante fait arriver les âmes au Purgatoire sur un petit vaisseau conduit par un Ange. Et un Ange a certainement recueilli l'âme d'Ulysse naufragé aux pieds de la montagna bruna. Deux mois avant mon arrivée à Ceylan, en voulant aborder l'île sacrée des Bouddhistes, des Hindous, des Chrétiens et des Mahométans, le général Cunningham n'avait-il pas fait naufrage et perdu une grande partie de ses précieuses collections indiennes?

C'est encore par les récits de quelque voyageur venant de la mer des Indes, que le Dante a pu faire mention des quatre étoiles de la constellation polaire de la Croix du Sud, que j'ai moi-même, pour la première fois, remarquée dans cette mer.

Il me semble donc qu'il n'y a plus aucun doute possible sur l'identification du Pic d'Adam, visité par les pélerins de quatre grandes religions, avec la montagne du Purgatoire. Mais, puisque le Purgatoire touche de bien près, dans la topographie du poème, à l'Enfer, je désire soumettre aujourd'hui à la section indienne du Congrès mon hypothèse que j'espère assez fondée que par l'imagerie populaire orientale très répandue au Moyen âge, et les traditions orientales recueillies dans un grand nombre d'écrits chrétiens puisés au Moyen âge aux sources aryennes et surtout bouddhiques, qui s'y rattachaient, le Dante a tiré une grande partie de ses représentations de l'Enfer et, en particulier, celle du Lucifer. Hâtons-nous de dire que dans la figure de ce Lucifer

il n'y a presque plus rien de classique. Tandis que le Dante a conservé certaines notions de l'Enfer classique, le plus souvent il a puisé aux sources de l'imagination indienne pour fixer un grand nombre de peines. Les lecteurs du dernier livre du Mahabharata et ceux d'entre nous qui ont pu jeter un coup d'œil sur les extraits du manuscrit gaina du Sûyagalang asutta, présentés a cette même réunion par le professeur Pullé, ont pu aisément se persuader que l'Enfer du Dante et l'Enfer hindou-bouddhique ont le même fond traditionnel. L'orthodoxie chrétienne a facilement accepté de l'imagerie populaire des Orientaux tout ce qu'il y avait de plus cruel et de plus extraordinaire, dans leur système pénal. L'imagination indienne s'était livrée à une espèce d'orgie et de débauche dans l'invention des supplices attribués à la justice du Dieu de la mort: et le Dante a plutôt adouci ces exécutions d'outre tombe qu'il ne les ait lui-même inventées. Le procédé du poète était tel qu'il n' inventait jamais aucun fait par goût d'imagination; il prenait les faits tels que l'astrologie, l'anatomie, la physique, la tradition de son temps, c'est-à-dire la science et l'histoire, qu'il croyait fondées, les fournissaient; dans les choses trouvées, qui lui semblaient certaines, il mettait sa grande âme; c'est pourquoi la nature et l'humanité, par le souffle de son génie, se sont animées à nos yeux. Mais d'une manière plus ou moins directe, notre grand poète travaillait, en son temps, sur un terrain qu'il croyait scientifique. La véritable vision fatidique du Dante commence pour lui, réellement, au Paradis, lorsque la science humaine ne lui fournissant plus aucune donnée, il pouvait se donner l'ivresse d'un bain de lumière en face de Dieu.

Mais, dans l'Enfer, il est encore entièrement attaché aux représentations humaines, et il me semble pouvoir avec quelque degré de probabilité affirmer que la figure originaire de son Lucifer était indienne.

Avant tout, il nous faut convenir que dans la tradition classique un Lucifer pareil n'existait point. Minos est tout à fait autre chose que ce Lucifer. Et le Lucifer biblique est encore un magnifique ange déchu, mais aucunement ce monstre gigantesque qu'il nous apparaît dans le poème du Dante. Il nous faut donc recourir à Râvaṇa et à son frère Kumbhakarna du Râmâyana, occupant sur la terre, lorsqu'ils sont étendus, plusieurs yoganas, et au Bouddha gigantesque lui-même, pour nous faire une idée exacte du Lucifer du Dante, sur le corps duquel tantôt grimpent, tantôt se laissent glisser, pendant trois heures, le Dante et Virgile. Mais Lucifer n'est pas seulement un géant; il est encore un monstre;

il a trois têtes, de couleurs différentes, et il tient dans ses mains, pour les croquer, des corps de damnés; de la bouche de cet anthropophage coule du sang, C'est bien ainsi que dans l'imagerie populaire indienne le Dieu Yama, à la bouche sanglante, qui croque les mortes, une forme infernale du Dieu Çiva, en sa qualité de premier mort, et de roi ou Dieu de la mort et de la Justice, et de Dieu destructeur, nous est représenté. Le Dante avait sans doute vu dans quelques-unes de ces grotesques peintures coloriées indiennes, qui se trouvent encore de nos jours en Égypte, et qu'alors quelque marchand florentin (on disait alors qu'on trouvait partout des moineaux, des Franciscains et des Florentins) a pu rapporter en Toscane, quelque représentation de la Trimûrti indienne et du Dieu Yama. Dans la Trimurti, on le sait, Brahma représente le Dieu créateur; Vishnu, le Dieu qui garde le monde; Çiva ou Yama, le Dieu qui le détruit.

Brahma a une couleur blanche jaunâtre; Vishnu, comme Krishna, a une couleur noire ou azurée; Çiva ou Yama, une couleur rouge.

Maintenant écoutons ce que le Dante nous dit de son Lucifer, qu'il nous présente par sa figure rouge, tandis que des deux autres figures l'une a la couleur jaunâtre, et l'autre la couleur des Éthiopiens:

Lo Imperador del doloroso regno

da mezzo 'l petto uscía fuor della ghiaccia;

e più con un gigante io mi convegno,

che i giganti non fan con le sue braccia.
Vedi oggimai quant' esser dee quel tutto
ch'a cosí fatta parte si confaccia.
S'ei fu sí bel com' egli è ora brutto,

e contra 'l suo Fattore alzò le ciglia,
ben dee da lui procedere ogni lutto.
O quanto parve a me gran maraviglia,
quando vidi tre facce alla sua testa!
l'una dinanzi, e quella era vermiglia;
dell' altre due che s' aggiugnéno a questa
sovr' esso 'l mezzo di ciascuna spalla,
e si giugnéno al luogo della cresta;
la destra mi parea tra bianca e gialla ;
la sinistra a veder era tal, quali
vengon di là onde il Nilo s'avvalla.

Quindi Cocito tutto s'aggelava.

Con sei occhi piangeva, e per tre menti
gocciava al petto sanguinosa bava.

Da ogni bocca dirompea co' denti
un peccatore a guisa di maciulla,

sí che tre ne facea cosí dolenti.

« PrethodnaNastavi »