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361993

FRANÇAISE

JAN

LE DERNIER CORRESPONDANT DE

MADAME ROLAND

BRARY

Mme Roland, prisonnière à l'Abbaye (1** juin 1793), puis à Sainte-Pélagie (24 juin), put d'abord assez librement recevoir les visites de quelques amis fidèles, - Champagneux, chef de division au ministère de l'Intérieur sous Garat, comme il l'avait été sous Roland, - Bosc, encore en fonctions comme administrateur des Postes, Grandpré, médecin des prisons (1), qui devait sa place à Roland, etc... Mais, à mesure qu'on s'enfonçait dans la Terreur, la solitude se resserra autour d'elle; passé la première quinzaine de juillet, plus de communications avec les Girondins de Caen, plus de lettres de Buzot; le 4 août, Champagneux, dénoncé par Collot-d'Herbois, est incarcéré à la Force; au commencement de septembre, Bosc, menacé à son tour, quitte l'administration des Postes et, retiré dans la forêt de Montmorency, à Sainte-Radegonde, ne vient plus que

(1) Cf. Mémoires, éd. Faugère, I, 218 et passim.

rarement et difficilement à Paris (1); enfin Grandpré, un instant emprisonné, suspecté, obligé par sa place même à des ménagements infinis, ralentit aussi ses visites (2).

C'est au moment où ses plus sûrs amis lui manquaient ainsi vers le milieu de septeņibre que nous voyons apparaître un ami inconnu, désigné-seulement sous le nom mystérieux de Jany, qui se charge de ses communications avec le dehors, qui reçoit pour être remis à Bosc ou être déposés en lieu sûr les derniers cahiers de ses Mémoires écrits au jour le jour dans la prison, auquel enfin elle ouvre ses plus sécrètes pensées...

Qui était Jany? Quel était son véritable nom? On n'a eu jusqu'ici, pour répondre à ces questions, que les quelques lettres, à lui adressées par la prisonnière, et encore ces luftres n'ont-elles été connues que les unes après les ́autres, à de longs intervalles; Bosc en a donné une avec la première édition des Mémoires, en 1795; M. Barrière, en 1820, en a inséré deux autres dans son édition; enfin trois ont été publiées en 1892 par Me Clarisse Bader, dans une très intéressante Étude sur Me Roland (3). Examinons donc d'abord ces six lettres. Nous serons obligé, bien qu'elles aient déjà été imprimées, de les reproduire ici, dans l'ordre où il nous paraît vraisemblable qu'elles ont été écrites (4); ce n'est, en effet, qu'en les lisant ensemble et à

(1) M. Faugère (Mém., II, 278) nous dit pourtant que jusque vers le milieu d'octobre il put voir Mme Roland deux fois la semaine. Mais bien que M. Faugère, petit-neveu de Bosc par alliance, et possesseur de ses papiers, soit ici une autorité considérable, on peut se demander si ces visites des derniers temps ont pu être aussi fréquentes; Mme Roland n'aurait pas eu besoin, dès le 28 septembre, de recourir à Jany.

(2) Mém., 1, 226.

(3) « Mme Roland, d'après des lettres et des manuscrits inédits »>, Correspondant des 25 juin et 10 juillet 1892.

(4) Deux de ces lettres sont datées du 8 et du 25 octobre; pour une troisième, la date du 28 septembre ne saurait, comme on le verra, être contestée. Quant aux trois autres, ce n'est que par induction que nous avons pu leur assigner une place.

leur place qu'on pourra nous suivre sans trop d'obscurité. Comme nous aurons souvent besoin d'y renvoyer au cours de la discussion dont elles sont la préface nécessaire, nous les désignerons, pour être à la fois plus clair et plus bref, par les lettres A, B, C, etc.

A (1)

Samedi, 1793 (2).

Je ne puis vous dire, cher Jany, avec quel plaisir je reçois de vos nouvelles. Placée sur les confins du monde, les témoignages d'attachement d'un individu de mon espèce que je puisse estimer me font trouver encore quelque douceur à vivre. J'ai souffert pour ma pauvre compagne au delà de toute expression. C'est moi qui me suis chargée du triste office de la préparer au coup qu'elle n'attendait guère et de le lui annoncer; j'étais sûre d'y

(1) Lettre publiée pour la première fois par M. Barrière (t. II, p. 247; nous citons d'après l'édition de 1827); elle a été réimprimée par M. Daubau (Étude sur Mme Roland et son temps, p. ccxxv), et par M. Faugère (Mém., II, 265).

(2) M. Faugère a bien vu que ce « Samedi » doit être le 28 septembre 1793. Cette « pauvre compagne » que Mme Roland a dû préparer à un coup cruel, c'est Mme Petion, dont la mère, Mme Lefebvre, venait d'être condamnée et exécutée le 24 septembre (Wallon, Hist. du Trib. révol., II, pp. 191, 479). On connait la page indignée des Mémoires (I, 188) où Mme Roland, à cette date même du 24 septembre, enregistre cette condamnation. Je dis 24 septembre, bien que ce passage des Mémoires, dans l'édition de Bosc, soit daté du 23 septembre, et que M. Dauban (p. 385) ait reproduit cette petite erreur. Mais il y a bien 24 septembre au manuscrit, et l'édition Faugère est ici, comme d'ordinaire, la plus exacte. D'ailleurs comment Mme Roland aurait-elle pu mentionner le 23 une condamnation qui n'est que du 24?

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M. Dauban place cette lettre « entre le 3 et le 8 octobre ». Pourquoi? Le 3 octobre est un jeudi, le 8, un mardi; à ce compte, il eût été plus simple de dire « Samedi, 5 octobre ». Je ne vois à cette singulière mention qu'une explication, non moins singulière. M. Barrière, au lieu d'adopter la date du samedi le plus rapproché de l'événement, c'est-à-dire du 28 septembre, avait paru préférer celle du samedi 5 octobre et, par suite, avait placé cette lettre, dans le texte des Mémoires, entre une note écrite le 3 octobre et avant la lettre à Jany du 8 octobre qu'on trouvera plus loin. M. Dauban, qui copie tantôt l'un, tantôt l'autre de ses devanciers, a cru voir là une indication et s'en est emparé sans comprendre.

apporter les adoucissements qu'un autre eût peut-être difficilement trouvés, parce qu'il n'y a guère que ma position qui pût me faire aussi bien partager sa douleur. Cette circonstance a fait qu'on l'envoie chez moi; nous mangeons ensemble, et elle aime à passer près de moi la plus grande partie des jours; j'en travaille bien moins, mais je suis utile, et ce sentiment me fait goûter une sorte de charme que les tyrans ne connaissent pas. Je sais que B... (1) va être immolé; je trouve plus atroce que cela même la disposition qui interdit tout discours aux accusés (2). Tant qu'on pouvait parler je me suis senti de la vocation pour la guillotine; maintenant, il n'y a plus de choix, et massacrée ici ou jugée là, c'est la même chose.

Je désirerais qu'il vous fût possible d'aller régulièrement, du moins une fois la semaine, chez Mme G. Chp. (3). Elle vous communiquerait ou vous remettrait ce qui nous intéresse et vous lui donneriez de nos nouvelles. Vous trouverez chez elle à emprunter les deux volumes du voyage en question, que je n'ai point ici en mon pouvoir.

Je reçois avec action de grâce les lettres de lady B...; je ne les connais point, je compte les faire servir à deux personnes;

(1) Brissot.

(2) Cf. Mém., I, 197-198: « 26 septembre. Le décret qui ordonne de pré senter le lendemain l'acte d'accusation de Brissot est rendu dans la même séance où l'on propose d'abréger les formes des jugements du Tribunal révolutionnaire et où l'on organise les quatre sections de ce tribunal; de manière qu'on réunit la multiplication des moyens de juger, l'obligation d'accélérer le prononcé des jugements et la restriction des défenses des accusés au même instant qu'on détermine de faire périr Brissot et les autres députés détenus.... etc. » Cf. Procès-verbal de la Convention nationale, t. XXI, p. 248, séance du jeudi 26 septembre 1793.

(3) On a cru jusqu'ici que ces lettres désignaient Mme Champagneux; c'est une erreur. Mme Champagneux, qui était à Bourgoin au moment de l'arrestation de son mari, en août, était accourue aussitôt à Paris, mais pour y tomber malade, d'une maladie «< qui la tint trois mois aux portes du tombeau » (Papiers Roland, no 6241, fo 165). Elle n'aurait donc guère été en état, fin septembre, de recevoir Jany, et c'est en d'autres termes du moins que Mme Roland aurait demandé de ses nouvelles. Une raison plus décisive encore, c'est que l'initiale G. ne saurait, en aucune manière, correspondre aux prénoms d'Ursule-Adélaïde Brottin, femme de Luc-Antoine Donin de Rozière de Champagneux. « Mme G. Chp. » n'est autre, pour nous, que cette amie qui avait accompagné Mme Roland de Paris en Beaujolais, en septembre 1791 (voir notre publication de neuf lettres de Mme Roland à Champagneux, Révolution française, août 1895), et dont nous n'avons pu encore trouver le nom. Dans une lettre encore inédite, du septembre 1791, où Mme Roland raconte à son mari ce voyage et parle de sa compagne, elle la désigne ainsi : « Mme Gd Chp.» (Papiers Roland, no 6239, fo 225). Nous allons la retrouver un peu plus loin.

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