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s'arrête, et vous voulez le doubler, parce que vous croyez qu'il manque! Non, il ne manque pas, mais il se refuse. Un refus, ah! c'est très désagréable, je le sais! Nous allons voir quelle est la manière de vaincre ce refus.

Vous n'aimez pas le comité des finances; il est rigoureux, il a des principes sévères. Si vous aviez voulu vous aboucher avec lui, peut-être, avec quelques explications bien courtes, il aurait détruit certaines illusions du comité de l'agriculture. Mais agissant à vous seuls, vous avez prétendu doubler tout de suite la circulation du pays. Quoi! créer deux milliards d'un seul coup! Y avez-vous bien pensé ?

Je suppose que vous eussiez un trésor inconnu, autre que le papier-monnaie, dans lequel vous puiseriez 2 milliards, en or ou en argent, je vous laisse le choix de ces deux métaux, et que vous versassiez sur la France ces 2 milliards d'or et d'argent, savezvous ce que vous produiriez? la plus effroyable crise qu'on puisse imaginer. (Sensation prolongée.

Quelques voix Nous sommes d'accord, personne ne le conteste.)

Je suis dans des termes singuliers avec mes honorables collègues du comité de l'agriculture. A chaque instant s'échappent des bancs où il est assis (je ne m'en plains pas, au contraire, je vais m'en servir), à chaque instant s'échappent ces mots : « Nous sommes d'accord, nous ne contestons pas... »

Quand contesterons-nous donc? (On rit.)

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M. THIERS. Je ne joue pas, je songe au fond des choses, uniquement au fond des choses; je sais bien que vous contesterez à la fin le résultat. Cependant, en attendant, vous marchez de raisonnements en raisonnements sans pouvoir en contester aucun. Ces raisonnements, d'ailleurs, tout le monde les fait sur ces bancs; on n'a pas besoin de moi pour les faire, et je ne suis en ce moment que l'instrument de l'Assemblée, exprimant ce qui est dans la pensée de tout le monde. Je dis que vous êtes obligés d'admettre tous mes arguments les uns après les autres, et puis vous ne manquerez pas d'en contester le résultat général. Mais peu importe, poursuivons.

Ainsi vous reconnaissez vous-mêmes qu'on ne pourrait pas jeter sur le pays deux milliards d'or et d'argent sans amener une crise effroyable. Vous le reconnaissez, vous admettez que la crise serait effroyable, même avec de l'or et de l'argent, et, au contraire, c'est du papier que vous nous offrez. (Très bien! Très bien!)

Et, du reste, ce n'est pas une chimère que ce que je viens de vous dire. Ce phénomène s'est produit en Europe. Lorsque les métaux se sont introduits en Europe, au XVIe siècle, d'une manière torrentueuse

(et ils ont mis cependant plus de cinquante ans à arriver), il y a eu une révolution extraordinaire dans les valeurs. Tous les objets ont augmenté de prix, les métaux se sont avilis, et pourtant l'introduction des métaux ne s'est opérée qu'en cinquante ans; et vous, vous voudriez, en un jour, jeter dans la circulation 2 milliards de papier!

Je sais bien que vous allez me dire Les 2 milliards, on ne les émettra pas tout de suite; on ne les émettra que petit à petit.

Eh bien, je vais vous fournir la preuve que vous les émettrez immédiatement.

Je vois dans vos regards que vous devinez tous cette preuve, car elle frappe tout le monde avant que je l'exprime. Je ne dis rien de nouveau en effet; ce sont là des maladies connues dans le corps social, connues, observées cent fois; je ne vous dis que des choses admises universellement et qui n'ont qu'un mérite, celui de vous être présentées avec quelque ordre peutêtre, mais qui sont banales tant elles sont vraies et reçues par tous les esprits. Qu'est-ce que vous feriez? Vous feriez à l'instant même retirer les capitaux partout, même en supposant que le mal ne fût pas aussi grand que nous l'imaginons, et alors ceux mêmes qui, - aujourd'hui, n'ont pas besoin de votre papier, seraient obligés de vous en demander, et les 2 milliards vous seriez obligés de les émettre intégralement d'ici à deux mois. (Marques d'attention.) Et ce papier perdrait peutêtre 40 ou 50 pour cent. Je vous flatte en vous disant

que ce papier ne perdrait que 40 ou 50 pour cent; cela n'est jamais arrivé! (On rit.)

Quels seraient alors les résultats? Il y en aurait deux, deux effroyables pour les particuliers et pour l'État.

Pour les particuliers.

On vous a dit déjà que le papier-monnaie était, pour les particuliers, une véritable spoliation.

On a prononcé quelquefois, à l'occasion de la propriété, un mot bien étrange, le mot de vol. Eh bien, le papier-monnaie, savez-vous ce que c'est? C'est le vol, le vol par la loi. (Oui! Oui! — Vous avez raison.) Assurément, entre deux individus qui traitent immédiatement après l'émission du papier, si ce papier perd 50 pour cent, il n'y a pas perte pour celui qui vend ou qui achète. Il est bien certain que celui qui a reçu du papier pour ce qu'il vaut, à 50 pour cent, par exemple, et qui va chez un fournisseur, chez un boucher ou chez un boulanger, et qui achète la marchandise avec du papier à 50 pour cent, comme il l'a reçu, ne perd ni ne gagne rien. Pour tous ceux qui traitent à ces conditions, il n'y a pas de dommage. Mais songez à ceux qui ont à recevoir des remboursements en vertu d'un titre écrit... (C'est cela! C'est cela! Vive approbation.) Songez à tous les gens qui ont à rentrer dans des créances qu'on leur restitue en papier! C'est la classe la moins nombreuse, mais enfin, c'est une classe déjà bien intéressante. Mais songez à tous ceux qui ont leurs revenus à recevoir, et qui les ont en

vertu de titres écrits! En leur donnant au pair du papier qui ne vaut que 50 pour cent, on leur vole 50 pour cent.

Ainsi, pour venir au secours de quelques individus, qui m'intéressent certainement autant que vous, qu'allez-vous faire? Leurs embarras, vous allez les convertir en une crise universelle; leurs embarras, vous allez les transporter dans la poche de tout le monde, et cela au moyen d'un vol légal.

Cela est d'une évidence telle, que je suis honteux d'être obligé de le dire, et que je n'y insiste pas davantage.

Et, maintenant, savez-vous quel sera le second intérêt sacrifié? Je vais vous le dire, et c'est là que vous allez voir combien la comparaison avec les assignats est au détriment de votre mesure. Le second intérêt sacrifié, c'est celui de l'État, de l'État à qui je porte l'intérêt le plus grand; car, bien que mes opinions ne soient pas celles de tout le monde ici, je puis affirmer que j'aime mon pays très ardemment, autant que qui que ce soit. Les finances du pays embarrassées, ses armées désorganisées sont pour moi des souffrances cruelles.

Eh bien, figurez-vous l'État qui a besoin de tous ses revenus, qui aujourd'hui subit la nécessité la plus cruelle pour un gouvernement nouveau, celle de créer des impôts nouveaux, figurez-vous l'État ne recevant, grâce à un papier déprécié, que 50 pour cent des contributions; au lieu de 13 ou 1,400 millions, n'en rece

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