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Le mouvement social, nous a dit le citoyen Proudhon, s'est arrêté depuis le 24 février, faute de crédit. Le capital se refuse au travail. En forçant le capital à se donner, puisqu'il ne veut pas se prêter, le mouvement se rétablira. Le propriétaire de terres, de maisons, de créances, en abandonnant une partie de ce qui lui est dû au fermier, au locataire, au débiteur, les mettra tous en état de produire. Ce sera une avance qu'il leur fera, et cette avance sera en quelque sorte réciproque, car chacun dans la société est tour à tour débiteur et créancier, locataire et propriétaire. On ne recevra pas tout ce qu'on attendait, mais on ne payera pas non plus tout ce qu'on devait. Il y a plus, le débiteur de fermages, de loyers, d'intérêts, payant un sixième de moins, pourra donner ses produits à meil leur marché, et le propriétaire, le créancier, frustré en apparence d'une partie de ses revenus, retrouvera dans le bas prix de toutes choses le dédommagement du sacrifice qu'il aura fait.

En définitive, personne n'aura perdu. Cette mesure aura commencé par une atténuation du loyer des capitaux mobiliers et immobiliers, et fini par une atténuation du prix de tous les produits de la terre et de l'industrie. Ce sera une avance que le capital aura faite au travail, et que le travail lui rendra en bon marché.

Je fais effort, Messieurs, pour rendre spécieuses ces pensées étranges, et pour les rendre un instant acceptables, afin de pouvoir les discuter. Admettons

cependant, et supposons en effet ce qui est impossible, que cette prétendue réciprocité de sacrifices pût se réaliser d'une manière complète, que tous les possesseurs de terres ou de maisons, prêteurs de capitaux quelconques, pussent être amenés à faire un sacrifice égal, et que les producteurs de tout genre, cultivateurs, fabricants, commerçants, etc., diminuassent d'une quantité proportionnelle le prix des produits de leur travail; supposons ce phénomène impossible d'une équilibration parfaite : qu'en résulterait-il ? C'est que personne n'aurait rien perdu, mais que personne aussi n'aurait rien gagné.

Un fermier dont on réduirait le fermage, mais qu'on obligerait en même temps à réduire le prix du blé d'une somme proportionnelle; le marchand établi dans un magasin, dont on réduirait le loyer en l'obligeant à vendre, à l'instant même, ses marchandises à un prix proportionnellement inférieur, n'auraient pas fait un grand bénéfice. Ce serait comme si, par un coup de baguette magique, on avait diminué toutes les valeurs à la fois, valeur des terres, des maisons, de l'argent, des aliments, des vêtements, de tout enfin on aurait ainsi changé les quantités qui servent à exprimer la valeur des choses, sans augmenter ces mêmes choses, dont l'abondance fait seule la prospérité et le bien-être des nations.

Permettez-nous un exemple. Tout coûte moins cher en France qu'en Angleterre, en Allemagne qu'en France en conclurez-vous qu'on est plus riche en

Allemagne qu'en France, en France qu'en Angleterre? Il n'en est rien cependant. Ce n'est pas par l'élévation ou la diminution nominale des valeurs qu'on juge du bien-être des divers pays. Celui qui a le plus de toutes choses, en meilleure qualité, en plus grande abondance, celui où grands et petits sont mieux logés, mieux nourris, où le peuple mange les aliments les plus sains, les plus substantiels, est celui qu'on suppose le plus prospère. On se tromperait fort si l'on voulait juger de la prospérité des nations par le bas prix des choses, car moins elles sont riches, moins les objets y sont chers. Allez de France en Espagne, d'Espagne en Turquie; allez de France en Allemagne, d'Allemagne en Russie, et vous y rencontrerez d'autant moins d'aisance, que vous y rencontrerez plus de ce qu'on appelle bon marché. A mesure que l'on trouve moins dans un pays de tout ce qui est nécessaire à la vie, on y trouve moins de capitaux, et notamment moins d'argent, qui est l'un des plus importants des capitaux, et la valeur nominale des choses s'exprime par des chiffres moins élevés.

Mais nous avons admis une hypothèse impossible : c'est que tout propriétaire ou capitaliste serait appelé sans exception à faire cette remise du tiers de son revenu, et qu'en même temps les producteurs de toute espèce réduiraient leurs produits dans une proportion égale. L'une et l'autre de ces suppositions sont complètement fausses.

En effet, jamais sacrifice ne fut plus inégalement

réparti que celui qu'on exigerait ici. Une grande partie du territoire est possédée par des agriculteurs qui exploitent la terre eux-mêmes, et qui n'ont point de fermiers. Ce sont, en général, les petits propriétaires. Parmi les grands propriétaires eux-mêmes, les plus riches assurément, ceux qui possèdent des bois, ceux qui possèdent de grands vignobles, ceux qui ont des pâturages détachés des exploitations, n'ont pas de fermiers. Parmi les propriétaires de maisons, le plus grand nombre habitent leurs propres maisons et ne les louent pas. C'est le cas des habitants de la campagne, et c'est aussi le cas des possesseurs de grands hôtels dans les principales villes de France. Ainsi les propriétaires, petits ou grands, qui exploitent pour leur compte, et qui n'ont pas de fermiers, seraient dispensés du sacrifice du tiers de leur revenu. Les possesseurs de maisons qui ne les louent pas, mais qui les habitent, en seraient dispensés également. Or ces diverses classes de propriétaires possèdent les deux tiers peut-être de la propriété foncière en France.

L'inégalité ne serait pas moins grande parmi les possesseurs de capitaux mobiliers. Les capitalistes qui prêtent sur hypothèque sont les moins riches de tous. La masse se compose de vieux serviteurs, d'employés, de petits commerçants, qui ont travaillé toute leur vie pour économiser quelques mille francs, et qui cherchent dans le placement sur hypothèque la sécurité du capital et la fixité du revenu. C'est par sommes de deux, trois, quatre mille francs, par revenus de cent et deux

cents francs, que se comptent en province les capitaux placés sur hypothèque. A Paris même ils se composent de sommes très modiques. Ceux-là seraient inévitablement frappés; et, tandis que l'on vient de reconnaître comme presque impossible d'imposer dans la proportion d'un cinquième du revenu les créances hypothécaires, on proposerait de les imposer dans la proportion d'un tiers. Et à côté de ce sacrifice exigé des plus pauvres capitalistes, le commerçant, le banquier, qui prêtent sous forme de créance chirographaire, et qui font valoir leurs capitaux en émettant des lettres de change qui ne portent la mention d'aucun intérêt, seraient affranchis de toute charge!

Il n'est donc pas vrai que le sacrifice imposé à la propriété fût égal; il est encore moins vrai qu'il fût suivi d'une compensation immédiate par l'abaissement du prix de toutes choses.

Quand on fait baisser sensiblement les matières premières qui servent à l'industrie, ou les frais de tout genre qui composent son prix de revient, il arrive souvent, mais pas toujours, qu'on fait baisser aussi le prix de ses produits, et qu'on amène le bon marché, parce que les producteurs, pressés incessamment d'attirer à eux les acheteurs, sont portés à réduire leurs prix jusqu'au point où ils cessent de gagner suffisamment pour vivre. Mais, pour qu'il en soit ainsi, il faut que la diminution des prix de revient soit sensible et générale; autrement, si elle est de peu de chose, ou particulière à quelques-uns, le producteur en pro

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