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M. de La Rochejacquelein, favorables l'un et l'autre au principe du remplacement, insistèrent pour que ce principe fût immédiatement consacré par la Constitution, et un amendement dans ce sens, portant que le remplacement était maintenu et que les conditions en seraient déterminées par une loi spéciale, fut proposé par MM. Bourbousson et WaldeckRousseau.

M. Thiers prit la parole pour le soutenir, et il insista sur cette grave considération que, si la faculté de remplacement était supprimée, la durée du service personnel devrait être réduite, et qu'une pareille réduction serait la destruction, dans l'armée, de l'esprit militaire.

Citoyens représentants,

Si je monte à cette tribune pour traiter devant vous la question qui vous est soumise, ce n'est pas que je regarde le vote comme douteux, c'est parce que je crois utile pour le pays tout entier d'éclaircir cette importante question.

Les opinions que je viens émettre devant vous, sur le sujet qui vous occupe, sont chez moi fort anciennes, fort réfléchies. Elles sont le résultat de longues études sur la force de notre pays, sur les éléments qui la constituent, sur la force des pays voisins, et si, malgré la divergence de nos sentiments, vous me permettez de parler de mon patriotisme, j'ose le dire, elles sont le fruit d'un ardent patriotisme.

Nous appartenons ici à des partis divers. Nous dif

férons sur les formes de gouvernement, et, en admettant tous la forme actuelle, nous voulons les uns une république moins démocratique, les autres une république plus démocratique. Les gouvernements délibérants sont faits pour qu'on ait le droit de différer même sur des sujets fondamentaux. Mais il y a une occasion dans laquelle nous devons être tous du même avis, c'est quand il s'agit de la grandeur du pays. Alors tous les partis doivent disparaître, toutes les nuances d'opinions s'effacer; et, s'il y avait même, je n'hésite pas à le dire, s'il y avait quelques sacrifices d'opinion à faire, quand il s'agit de la grandeur du pays, il faudrait s'y résigner; et je vous déclare que moi, qui appartiens à une opinion bien connue ici, s'il fallait, comme cela est arrivé hier dans la question de la centralisation, où j'ai voté contre les hommes avec lesquels je vote ordinairement, s'il fallait faire le sacrifice de mes penchants, je n'hésiterais pas si la force du pays y était intéressée, et je vous honore assez dans votre patriotisme (l'orateur se tourne vers la gauche) pour croire que, si, dans l'opinion que je viens exprimer ici, il y avait quelque chose de contraire à vos inclinations ordinaires, le grand intérêt de la puissance pays vous entraînerait.

du

J'espère donc, non pas vous convaincre, mais vous donner au moins des raisons qui vous toucheront, car, je le répète, elles sont prises dans le grand et capital intérêt de la puissance du pays.

Je dis ceci, parce que je voudrais sur-le-champ écar

ter les préoccupations diverses qui pourraient nuire à la question, pour lui rendre son vrai caractère, son unique caractère, qui est la meilleure organisation de la force publique. Et, après m'être adressé à tous les partis, je m'adresserai au cabinet, et je lui dirai que ceux de ses membres qui m'ont vu, dans le sein de la commission de Constitution, soutenir avec chaleur, avec toute la force dont je suis capable, les opinions que je vais exposer, doivent avoir bien compris, bien reconnu, que je ne cherche pas en ce moment à créer une difficulté au ministère. Loin de moi cette pensée. Je ne l'avais pas avant l'entrée des derniers membres qui en font partie, je l'aurais encore moins après... (bruit), et j'espère que, continuant à garder aujourd'hui la réserve à la fois digne et convenable que le cabinet a toujours gardée dans les discussions relatives à la Constitution, sans abdiquer le droit que chacun de ses membres a comme représentant, il laissera à l'Assemblée le soin de résoudre elle-même la grave question dont elle est en ce moment occupée.

Messieurs, cette question se présente sous deux points de vue essentiels d'abord sous le point de vue social, et puis sous le point de vue militaire.

On reproche à la faculté de remplacement d'être contraire à la véritable égalité, et quelques personnes, en bien petit nombre, il est vrai, ont semblé croire que peut-être la force publique serait mieux organisée, si le remplacement était supprimé. Eh bien, Messieurs, j'espère vous démontrer que le remplace

ment en principe (je ne parle pas du mode actuel), que le remplacement en principe est conforme à l'équité, à la véritable égalité bien entendue; que, de plus, la suppression du remplacement entraînant nécessairement l'abrégement du service, il en résulterait l'affaiblissement complet, et, j'ose dire, la perte de l'armée française.

Je vais examiner la question sous ces deux points de vue. Je tâcherai de le faire brièvement, mais complètement.

Je n'ai pas besoin de répéter ici ce que j'ai dit hier, que nous sommes tous d'accord, quant aux vices du mode actuel de remplacement. Oui, dans l'état présent des choses, les vieux soldats, qu'il serait désirable de substituer aux hommes qui ne sont pas propres, par leur goût, par leur condition, à l'état militaire, les vieux soldats qu'il faudrait perpétuer dans les rangs de l'armée, ne fournissent pas les remplaçants. Il est encore vrai que des compagnies de spéculateurs, s'interposant entre les familles et les remplaçants, se livrent à des spéculations fâcheuses, nuisibles à la fois aux familles et à l'État, à l'État surtout qui n'obtient pas toujours les bons sujets qu'il serait facile de lui procurer. Dans cette situation, il y a beaucoup de choses à changer; une loi est à faire; tous les hommes éclairés en conviennent, et la plupart tendent à penser que le remplacement dans les corps, par l'État lui-même, serait le meilleur des systèmes.

Je ne veux pas m'engager à vous présenter ici une

loi sur le recrutement; j'accorde que le mode du remplacement est à changer; c'est le principe seul que je défends.

Le principe, quel est-il?

Avant 1789, l'égalité du service militaire n'existait. pas plus que l'égalité de l'impôt. Tout le monde ne fournissait pas le service militaire. Ce service était en partie volontaire, en partie exigé au moyen de tirages qu'on appelait la milice; et il y avait beaucoup d'exemptés. A l'époque de la révolution, le triomphe du principe général de l'égalité fit prévaloir l'égalité du service militaire comme celle de l'impôt. Personne ne put désormais se soustraire à cette commune obligation de servir le pays. Mais voici comment la révolution et l'empire ont, sous ce rapport, entendu l'égalité. L'égalité consiste dans l'obligation imposée à tous de fournir un membre à l'armée. Mais on y a ajouté une facilité que je viens en ce moment justifier. Chacun doit à l'armée ou sa personne, ou celle d'un homme qui s'offre à servir pour lui. Y a-t-il là quelque chose de contraire à la justice, à la vraie égalité, à l'intérêt de l'État? Je vais vous en faire juges.

L'État a besoin d'un homme robuste, capable de porter les armes. Pour que la charge soit égale, il s'adresse à tous les citoyens; mais, parmi les citoyens,

il

y en a que leur vocation, leur force physique, leur éducation, la carrière à laquelle ils se destinent, ne rendent pas propres au service militaire. Il y a convenance pour eux, convenance impérieuse, à ne pas

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