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Eh bien, tandis que les militaires les plus expérimentés, les hommes d'État les plus éclairés, étaient tous d'accord pour demander qu'on allongeât les années de service, car l'amendement de neuf ans qui allait être adopté ne fut combattu par M. Barrot que parce qu'on n'apportait pas à l'instant même une réserve qui aurait complété le système; tandis que les hommes d'État les plus instruits, les militaires les plus éprouvés, voulaient qu'on allongeât le temps du service, vous voudriez au contraire le raccourcir! Et il le faudrait bien, car je vous défie, en effet, de faire accepter à la nation que tous les jeunes gens, s'ils sont indistinctement appelés à servir, fournissent sept ans de service.

Vous arrivez donc au système prussien.

Et ici je m'adresse au bon sens, à la bonne foi de nos adversaires. Serait-il possible de faire accepter sept ans de service à toutes les classes de la population indistinctement? Bientôt vous viendriez demander qu'on réduisît le service, les uns à trois ans, les autres à deux ans, à un an. Vous voudriez, je le répète, le système prussien.

Il s'agit, Messieurs, du plus grand intérêt du pays. Ne nous payons pas de sophismes; allons au fond des choses oui, c'est le système prussien que vous voulez introduire en France, plus ou moins complètement.

Mais y avez-vous bien pensé? Connaissez-vous notre histoire? Connaissez-vous le caractère de la nation française, de l'armée française, vous qui nous

demandez un tel régime? Je dis que ce serait l'abolition de la force publique en France; notre pays descendrait dans le rang des nations, si vous organisiez ainsi son armée.

Voulez-vous que je vous cite les grands exemples des nations? Il y en a de très nombreux, de très instructifs, qu'il faut étudier. Ne portons pas notre esprit sur un seul côté de la question; embrassons-la dans son ensemble.

Il y a de nombreuses expériences faites en Europe: l'armée anglaise est un extrême, et l'armée prussienne en est un autre; l'armée française est au milieu. Permettez-moi de vous montrer les deux systèmes extrêmes, et de vous faire comprendre le danger que vous feriez courir au pays en vous plaçant dans l'un des deux.

En Angleterre, on a un très grand respect de l'individu, et nous, au contraire, nous en avons si peu, que cela nous conduit presque au communisme. En Angleterre on a un respect de l'individu tel, que souvent l'État en souffre. On n'oserait pas, dans ce pays, proposer le service tel qu'il est aujourd'hui chez nous, même avec le remplacement. On ne l'a jamais osé. Dans cette disposition d'esprit, savez-vous ce qu'on a adopté? L'armée mercenaire. Elle n'en est pas moins patriote; elle n'en est pas moins une des plus grandes armées de l'Europe, une des plus fâcheuses à rencontrer sur le champ de bataille. (Mouvement.)

Eh bien, comment est-elle composée? De volon

taires, qui passent ou qui passaient naguère toute leur vie sous les drapeaux. Je crois maintenant qu'on a réduit le service à seize ou dix-huit ans : c'est à peu près cela.

Un membre.

M. THIERS.

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Il y a, en outre, un corps d'officiers qui se transmettent leur charge; cela compose une armée de métier, une armée qui n'en est pas moins parfaitement solide, parfaitement disciplinée, et nous l'avons malheureusement appris à nos dépens. Certes elle n'a pas fait reculer nos braves soldats, mais enfin il y a des jours de malheur inscrits dans notre histoire, grâce aux qualités si fortes, si solides de cette

armée.

Eh bien, à côté de ces soldats tous volontaires, car, comme je l'ai dit, la conscription n'existe pas en Angleterre, à côté de ces soldats qui passent toute leur vie valide sous les drapeaux, vous avez dans un autre pays le système prussien, qui appelle tout le monde sans exception, mais qui ne garde les hommes sous les drapeaux qu'un an, dix-huit mois au plus. Le reste du temps se passe dans la landwehr, espèce de garde nationale. Voilà l'autre extrême.

Quels sont les inconvénients que l'expérience a démontrés dans ces deux systèmes? Croyez-vous que celui de l'Angleterre pèche par la qualité militaire, par l'insuffisance de patriotisme, par le défaut de discipline, de vigueur, de solidité au feu? Non pas; il a quelques défauts qui tiennent à la nation. Le

soldat anglais, par exemple, a besoin d'être beaucoup nourri, beaucoup plus qu'on ne peut souvent le faire à la guerre (mouvement); il a besoin qu'on ne le fasse pas trop marcher. Voilà ses défauts; mais, sous les autres rapports, il n'a pas un seul inconvénient. J'ai passé ma vie à faire une enquête perpétuelle sur notre glorieux passé; j'ai entendu les militaires de toute l'Europe sur cette question; il y a ici des militaires qui ont vu nos grandes guerres, et qui pourraient m'interrompre; eh bien, je les ai tous trouvés d'accord sur les qualités militaires de l'armée anglaise. Elle ne laisse rien à désirer, rien, sauf les défauts que j'ai signalés relativement à la marche et à l'entretien.

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Mais quel est donc le véritable inconvénient du système anglais qui retient les soldats toute leur vie? Je vais vous le dire c'est qu'il est trop étroit, c'est qu'avec une armée composée uniquement de ces volontaires qui passent au service toute leur vie, on ne peut pas se procurer une armée suffisamment nombreuse. Elle suffit pour l'Angleterre, car l'Angleterre est dans une île; mais, quand Napoléon la menaçait de l'expédition de Boulogne, il fallut un moment sortir de ce système trop étroit, imaginer momentanément un système qui remplaçât notre recrutement, et ce sont les soldats produits par cette combinaison que nous avons rencontrés depuis en Espagne, et dans un lieu de trop funeste souvenir pour que je le rappelle ici.

Voilà donc le seul défaut de ce système, un seul, c'est d'être trop étroit.

En Prusse, au contraire, le grand Frédéric qui a laissé dans ses mémoires des témoignages trop frappants de ce que je vous dis ici... je ne veux pas vous les citer, cela vous fatiguerait... lisez toutefois la préface de la guerre de sept ans, et vous verrez ce qu'il pensait des soldats trop jeunes... eh bien, le grand Frédéric, lui qui aimait tant les armées solides, les armées de métier, a créé à la Prusse, par la grandeur à laquelle il l'a portée, la nécessité du système actuel. La Prusse a 12 ou 13 millions d'habitants, et, avec ces 12 millions d'habitants, elle essaye de jouer, et elle joue souvent très dignement, très suffisamment, le rôle de l'une des cinq grandes puissances européennes. La nation est obligée de payer cet avantage par un effort extraordinaire.

Tout le monde, en Prusse, est appelé à servir, mais chacun ne sert qu'un an. J'ai entendu, à Berlin même, de savants militaires prussiens, qui, tout en étant, comme doivent l'être de braves officiers, pleins d'un juste orgueil, car ils ont eu aussi leurs belles journées, j'ai entendu de savants militaires prussiens élever des doutes sur la solidité de ce système. Tous sont d'accord sur ce point que, lorsqu'on a un jour de grandes oppressions à repousser... comme lorsque Napoléon dominait l'Allemagne... lorsque l'armée est enthousiaste, lorsque la garde nationale elle-même suffirait, l'armée prussienne ne laisserait rien à dési

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