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Comment! parce qu'il y a dix années j'ai regretté l'évacuation d'Ancône, vous me croiriez obligé, aujourd'hui, à voter pour une politique qui, si elle est sincère, demande immédiatement la guerre générale. (Mouvement.) C'est comme si, parce que j'ai été opposant sous le dernier gouvernement, vous me teniez pour obligé d'être aujourd'hui républicain démocrate comme vous l'êtes. La prétention serait extraordinaire. (Rires approbatifs.)

A gauche.

- Nous n'avons pas cette prétention. M. THIERS. - Ainsi nous voilà parfaitement d'accord. (Bruit.)

Je le répète, nous voilà d'accord. Mon opposition passée à un gouvernement auquel j'étais dévoué ne me lie en rien à votre politique. Et pourquoi d'ailleurs nous reporter à ce passé? Si je voulais vous en parler avec la franchise et la sincérité de mes sentiments, m'écouteriez-vous?

Voix à gauche. Mais oui! Mais oui!

M. THIERS. Je vous en demande pardon : vous vous vantez, vous vous prêtez plus de sang-froid que vous n'en avez. (Rire général.) Laissons donc un passé qui n'est point et ne peut être en cause, car vous êtes des juges prévenus. Occupons-nous du présent, il est assez triste, assez grave, assez important, pour attirer, pour mériter exclusivement toute notre attention.

Le présent, quel est-il? L'Italie a succombé... (Rumeurs et interruptions à gauche.)

Voix à gauche. - Pas encore!

M. LE PRÉSIDENT. - Veuillez ne pas interrompre à chaque instant. Si vous différez d'opinion avec l'orateur, vous exprimerez votre pensée; mais vous n'avez pas le droit d'interrompre.

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M. THIERS. Je comprends le motif de l'interruption. Vous voulez dire que l'Italie n'était pas tout entière sur le champ de bataille de Novare. Je le regrette amèrement pour elle, et cela ne fait pas honneur à ceux dont vous êtes plus particulièrement ici les protecteurs. (Approbation à droite.)

Pour le moment l'Italie a succombé; pour le moment... (Nouvelle interruption à gauche.)

M. LE PRÉSIDENT. Les membres de l'Assemblée qui interrompent doivent comprendre qu'il n'y a pas de discussion possible si la liberté de la tribune est sans cesse troublée.

M. THIERS. - Je dis que, pour le moment, elle a succombé. J'espère que ce ne sera pas pour toujours. Elle a donc succombé.

Maintenant, la France s'est-elle engagée envers elle? Non. La France n'a cessé de lui répéter, à toutes les époques, que, si elle rompait l'armistice, que, si elle provoquait la guerre, elle serait responsable seule des événements. Ici, à Paris, ce n'est pas seulement le gouvernement qu'on a consulté; tous les hommes de quelque renom auxquels on a demandé leur avis ont tous répondu sans exception: La lutte, aujourd'hui, serait une souveraine imprudence. Ne croyez pas que la France veuille risquer son existence dans

ce moment pour la cause italienne; si vous commettez l'imprudence, croyez que vous en supporterez seuls les conséquences.

L'Italie a été malheureuse; la France s'est-elle engagée? Je dis que non. Cela signifie-t-il que la France soit sans pitié pour le malheur, indifférente pour l'Italie, à laquelle elle se rattache par tant de liens? Non. Mais expliquons-nous franchement, mettons de côté le faux langage, le faux patriotisme; allons au fond des choses. Quels moyens y a-t-il? Quelle politique peut-on proposer aujourd'hui ?

C'est là qu'est la question, et il est digne de vous de ne pas vous cacher derrière des faux-fuyants, pas plus que vous ne nous verrez le faire nous-même. Il faut dire ce qu'on veut, car l'occasion est plus grave et plus solennelle qu'elle ne l'a jamais été.

J'ai vu pendant vingt ans la diplomatie interposée entre la paix et la guerre. Aujourd'hui il n'en est plus de même, et le langage que j'entends tenir ici est plus humiliant pour la France que les faits dont on se plaint; il faut dire ce qu'on veut. (Très bien! Très bien!)

A mon avis, il y a trois politiques en présence: il y a celle qui voudrait aller immédiatement par les armes au secours de la cause italienne; ce n'est pas la mienne. Il y en a une autre qui se borne à dire que, même dans l'état où se trouve l'Italie, avec les imprudences qui ont été commises, on peut négocier utilement pour elle : je suis pour celle-là. Il

VIII.

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y en a une troisième qui, sans rien faire, voudrait paraître faire quelque chose. Cette dernière, je la tiens pour plus mauvaise et plus dangereuse que la première. Elle n'a pas de dignité. (Très bien!)

Je vais examiner brièvement ces trois politiques dans leur présent, dans leur passé le plus rapproché, pour vous mettre à même de les juger toutes trois; et je réclame ici, non pas la bienveillance, mais la patience de mes adversaires, car cette question vaut la peine d'être traitée bien sérieusement.

Je mettrai de côté tout ce qui pourrait être langage de tribune, et je parlerai comme si j'étais avec mes adversaires, avec mes amis autour d'une table de ministres.

Eh bien, aujourd'hui, qu'y a-t-il à faire? Quand il s'agissait de la question du socialisme, j'ai dit aux socialistes: Apportez vos systèmes. Je dirai maintenant aux défenseurs de l'Italie qui ont la prétention de l'aimer seuls, et qui soutiennent que nous ne l'aimons pas, que nous sommes indifférents, je leur dirai comme je l'ai dit aux socialistes : Quel est votre moyen? Vous voulez, d'après la déclaration du 24 mai, l'une de ces trois choses: pacte fraternel avec l'Allemagne, reconstitution de la Pologne, affranchissement de l'Italie. Vous voulez l'affranchissement de l'Italie! Qu'entendez-vous par l'affranchissement de l'Italie? Ce n'est pas l'affranchissement de Rome, de Florence, de Turin; vous voulez, parlez sincèrement, que la Lombardie et la

Vénétie soient indépendantes, c'est-à-dire arrachées

à l'Autriche.

A gauche. - Oui!

M. THIERS.Voilà ce que vous voulez, ou vous ne voulez rien.

Eh bien, je vous appelle ici à vous expliquer franchement Y a-t-il quelqu'un qui ait à sa disposition, qui ait imaginé dans son intelligence, un moyen diplomatique d'arracher la Lombardie et la Vénétie à l'Autriche? Il n'y a qu'un moyen, à parler franchement; et lequel? C'est la force.

Que nous proposez-vous done? Dans une grande nation, et dans l'état où se trouve l'Europe, les questions de paix et de guerre sont des choses à discuter sérieusement; et il faut les discuter franchement, car, lorsqu'on dit franchement ce qu'on veut, on s'est préparé sérieusement pour la situation; mais, quand on se cache, on marche à la guerre sans le moyen de la faire. Quant à moi, j'ai toujours craint la guerre; mais ce que je crains plus encore que la guerre, c'est d'y marcher étourdiment, aveuglément, sans les ressources nécessaires.

Il faut dire ce qu'on veut (mouvement), et c'est 'pour arriver franchement, d'une manière positive, à la solution de la question, que j'adresse, s'il m'est permis de le faire, cette interrogation à mes adversaires : Quel moyen proposez-vous, sinon la force? La force! Une armée en Italie, deux armées, trois armées, et une sur le Rhin!

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