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CLVIII

DISCOURS

SUR LE PROJET DE LOI RELATIF

A DES

DEMANDES DE CRÉDITS

DESTINÉS A PAYER LE SUBSIDE DU PAR LA FRANCE

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La république Argentine et celle de l'Urugay étaient toujours en guerre, et, par une convention du 12 juin 1848, le Gouvernement français s'était engagé à payer à cette dernière un subside annuel de 2,300,000 francs pour lui venir en aide contre les agressions du dictateur Rosas. Dans la séance du 30 novembre 1849, le général de La Hitte, ministre des Affaires étrangères, avait présenté à l'Assemblée législative un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir les crédits destinés à assurer l'acquittement du subside échu, et la commission à laquelle avait été renvoyé ce projet de loi, tout en concluant à son adoption, crut devoir examiner cependant les moyens de faire cesser une situation qui durait depuis longues années et était à la fois onéreuse pour nos finances, sans profit pour notre commerce et sans dignité pour la France. L'amiral Le Prédour, commandant des

1. Voir discours 127 et 128, tome VI.

forces navales françaises dans la Plata, avait bien soumis à la ratification du Gouvernement français un projet de traité conclu par lui avec le président Rosas; mais ce traité établissait à Montevideo la dictature du général Oribe, antipathique au parti que nous y soutenions, et il livrait absolument les intérêts de notre commerce dans la Plata au bon vouloir de Rosas. Il n'était donc pas acceptable; et, tout en demandant qu'il ne fût pas ratifié, la commission, après avoir examiné les diverses solutions qui pouvaient s'offrir, se bornait à déclarer que l'état présent des choses ne pouvait être maintenu; qu'il fallait prendre un parti : ou tout abandonner, ou bien remplacer le mode actuel d'intervention, celui du subside, par un mode d'intervention plus efficace; qu'il appartenait au Gouvernement de rechercher la mesure la plus conforme à l'intérêt public et d'en référer à l'Assemblée.

Un long débat suivit, au cours duquel la commission, invitée à formuler une résolution précise, proposa la rédaction suivante : « L'Assemblée nationale invite le pouvoir exécutif à appuyer la négociation qu'il se propose de suivre par des forces propres à en assurer le succès et à protéger nos nationaux. »>

Cette résolution fut combattue par le ministre des Affaires étrangères et par le ministre de la Justice, M. Rouher, comme engageant beaucoup trop le Gouvernement dans une négociation armée. Il était, en effet, inutile, quant à présent, dirent-ils, de prendre une attitude belligérante il suffisait de négocier avec modération, de faire connaître la volonté de la France, et, le jour où il serait bien constaté que l'entente était impossible, alors la guerre serait entreprise sérieusement avec les forces nécessaires pour la mener à bonne fin.

Ce fut M. Thiers qui répondit à M. Rouher pour appuyer la proposition de la commission. ⚫

Messieurs,

Je ne viens pas examiner devant vous dans quelle forme vous devez exprimer votre résolution. Il y a, à mon avis, quelque chose de plus pressant, c'est d'arrêter votre résolution elle-même, et, pour cela, de fixer vos idées sur ce grand sujet. C'est ce que je vais essayer de faire aujourd'hui.

Il me faut vraiment un sentiment de conviction bien puissant pour aborder cette tribune, car j'en ai à peine la force, et, de plus, j'éprouve une répugnance véritable, moi, membre de cette majorité qui a toujours appuyé le pouvoir, à faire un acte qui pourrait avoir une apparence d'opposition. Je n'ai pas cessé, depuis deux ans, d'être ministériel; je l'ai été, je le suis encore; mais il y a des convictions dont on ne fait le sacrifice à personne. Celle que j'éprouve a été invariable depuis dix ans; elle a résisté même à la révolution, et je ne l'ai pas conçue dans les rangs de l'opposition, là où, quelquefois, des préventions dont on n'est pas maître peuvent égarer les esprits les plus sincères; c'est au pouvoir comme principal membre de l'administration, que j'ai proposé une action énergique, dans un moment où la France était engagée dans des affaires très graves. J'ai cru, même alors, que nos intérêts maritimes et commerciaux dans

l'Amérique du Sud étaient assez grands, et dans le présent et dans l'avenir, pour exiger, de la part de la France, une détermination prompte; ce que j'ai cru alors, je le crois encore, et je vous demande la permission de vous en donner les raisons bien simples, et je l'espère, concluantes. (Mouvement d'attention.)

On ne dit pas, mais on insinue cependant, qu'une action quelconque sur les bords de la Plata pourrait amener peut-être des complications européennes; on l'insinue. On vous dit en outre Pourquoi? Pour un commerce qui n'existe plus, qui s'est déplacé, qui s'est transporté tout entier à Buenos-Ayres! En vérité ce n'est pas la peine. Il y a à Montevideo quelques Français armés malgré leur gouvernement, se mêlant d'une querelle qui ne les regarde pas. Ils sont malheureux, à ce titre intéressants; mais, pour quelques Français malheureux, intéressants, qui se sont compromis sans mission dans une querelle lointaine, la France ne doit pas engager ses forces, et surtout tenter une entreprise pour laquelle on emploie le plus grand mot de la politique, la guerre. La guerre, dans l'état de la France, dans l'état du monde, pour quelques imprudents, intéressants peut-être, ce n'est pas la peine. Il faut négocier; l'honneur de la France veut qu'elle obtienne un traité qui n'ait rien d'humiliant, rien d'obscur. (On veut bien ne voir que des obscurités dans le traité.) Il faut se confier au Gouvernement et le laisser tirer de cette situation gâtée, fâcheuse, ce

qu'il en pourra tirer, et n'y pas attacher trop d'importance.

Voilà, au fond, si je ne me trompe... (Mouvement au banc des ministres.)

M. le garde des sceaux dit : « Non! » Ai-je mal analysé les arguments? (Non! Très bien!) Des complications possibles en Europe; un commerce qui n'est plus, qui est déplacé au moins; quelques imprudents, intéressants peut-être, mais qui ne valent pas la guerre; et enfin la guerre, une entreprise des plus difficiles, qui pourrait ressembler à l'entreprise de la France sur l'Algérie. On nous a dit tout cela; c'est même M. le ministre des affaires étrangères qui nous l'a dit.

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M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. Parfaitement!

M. THIERS. Sont-ce là les vrais arguments? Je le crois; je n'en ai pas entendu d'autres.

Eh bien, si vous voulez me faire l'honneur de m'écouter avec quelque attention et quelque patience, j'espère réduire ces arguments, dont on nourrit la discussion depuis quelques jours, permettez-moi le mot, à bien peu de valeur.

D'abord, quant aux complications européennes possibles, je me hâte d'affirmer que c'est une fable; qu'il n'y a pas une complication européenne possible dans cette question-là; et je mets ici au défi tout homme politique sérieux et connaissant l'état du monde, de venir déclarer qu'il pourrait résulter, de ce

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