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isolé ne peut rien ou presque rien; il fait mal, et capricieusement; il fait ou ne fait pas; il fait quand il ne faudrait pas, il ne fait pas quand il faudrait. En tout cas il ne fait jamais assez. La religion peut beaucoup, mais elle a ses exigences, son but, qui diffèrent quelquefois de ceux de l'État. Enfin elle aussi, même en voulant tout le bien nécessaire, ne le peut pas. L'État seul peut tout et veut tout. Seul il doit accomplir le bien.

Quoique ces deux doctrines extrêmes soient l'une et l'autre exagérées, nous n'en savons pas une plus folle ni plus périlleuse que celle qui voudrait que l'État fit tout, et s'attribuât à lui seul, pour n'en pas jouir du reste, le plus pur et le plus noble plaisir de l'âme humaine. Le bien le mieux fait, parce qu'il l'est avec le plus d'à-propos, est celui que pratique l'individu inspiré par la religion ou par son cœur. Laissez la misère toucher ceux qu'elle rencontre, et s'attirer le soulagement dont elle a immédiatement besoin, en procurant à celui qui donne la plus douce des jouissances. Votre coup d'œil général, qui embrasse le tout, en faisant quelquefois du bien au tout, laisserait périr sans pain, sans feu, sans vêtement, beaucoup d'individus, que d'autres individus cédant à une douce et honnête émotion soulagent au moment où ils les rencontrent. Laissez la religion avec ses touchantes prédications, faire sortir de la bonté, de l'amour de Dieu, du repentir même, des dons abondants pour le pauvre. Ne gênez aucun bien, n'en arrêtez aucun. Laissez la bienfaisance

des individus, de la religion, s'étendre en tout sens, comme une forêt vierge de laquelle il ne faut pas retrancher une seule branche. Laissez le riche oisif qui cherche une noble occupation, l'homme pieux qui croit servir Dieu, l'homme autrefois jeune et qui ne l'est plus, la femme autrefois belle et qui a cessé de l'être, celui qui a failli, et qui, dans le secret de son cœur, offre à la justice suprême un moyen de rédemption, laissez-les tous à leur manière, suivant leur penchant, se créer ou des jouissances, ou des dédommagements, ou des consolations, ou des mérites aux yeux de Dieu, et tous faire ainsi le bien par les motifs qui leur sont propres. Et puis, après les avoir laissés faire, vous État, vous gouvernement, regardez là où la bienfaisance privée n'aura point passé, là où elle aura été insuffisante, et chargez-vous du bien qui n'aura point été accompli. Prenez pour vous la tâche négligée ou inachevée. Rivalisez, soit; mais ne vous jalousez pas, ne vous contrariez pas. Tous ensemble, cœurs bienfaisants, cœurs pieux, cœurs repentants, tous, individus, Église, État, quand vous aurez réuni vos moyens, vous serez à peine suffisants, non pas pour supprimer la misère (promesse mensongère adressée à l'anarchie), mais pour la diminuer, la diminuer à ce point que la société n'ait pas à rougir d'elle-même.

Il ne faut donc pas disputer sur le mérite de chaque bienfaisance. Celle qui sort du cœur de l'individu est charmante. Celle que la religion inspire est efficace et vénérable. Celle de l'État sera puissante et éclairée.

Qu'elles s'étalent toutes devant Dieu et devant le genre humain, non pour se gêner ou se supplanter, mais pour se compléter, car une seule supprimée ferait faute au malheur, et elle ne serait pas remplacée par celle qui se serait flattée de tout accomplir. Ne retranchons rien, encore un coup, de la bienfaisance de tous et de chacun ; c'est là qu'il ne peut y avoir ni double emploi ni superflu.

Ainsi il faut une bienfaisance publique, complément de la bienfaisance privée ou religieuse, agissant là où il reste du bien à accomplir, songeant à tout ce qui n'a pas été fait, pansant les plaies qui sont restées saignantes, et joignant aux vues individuelles, qui peuvent être bornées, les vues d'ensemble, qui embrassent tout parce qu'elles ne préfèrent rien, et que leur sollicitude pour les maux de l'humanité est égale.

Ces principes posés, examinons ce que la bienfaisance des siècles a laissé à faire au temps présent, soit pour améliorer, étendre, perfectionner ce qui existe, soit pour introduire dans nos institutions ce qui aurait été oublié, négligé, ou point imaginé encore. L'époque où nous vivons s'est éprise de l'idée d'améliorer le sort du peuple, et cette idée, bien que souvent un prétexte dont les factions ont fait un usage perfide, n'en est pas moins une noble pensée, qu'il faut s'efforcer de réaliser dans ce qu'elle a de sincère, de vraiment humain, et surtout de vraiment praticable. Heureusement pour l'humanité, mais malheureusement pour notre orgueil, entre toutes les créations imaginables, les plus impor

tantes ont devancé l'âge présent, et, s'il reste beaucoup à perfectionner, beaucoup à étendre, il reste peu à inventer. Entre les propositions vraiment nouvelles en effet, il y en a peu de compatibles avec le respect de la propriété, de la liberté individuelle, de la fortune publique. Parmi celles qui n'attentent à aucun des objets sacrés, il y a beaucoup de conceptions chimériques et impraticables, et, quand on a longuement, sérieusement examiné la plupart des inventions du temps actuel, on reconnaît que, s'il est possible d'organiser mieux, d'étendre sur une échelle plus vaste les moyens de bienfaisance anciennement pratiqués, il en est peu de nouveaux à employer, si l'on veut toutefois se renfermer dans les limites du bon sens. Quand nous disons qu'il y en a peu de nouveaux, nous n'entendons pas dire qu'il n'y en ait point du tout, et nous nous efforcerons même de vous en proposer quelques-uns ; mais nous disons qu'il y en a peu, et cela se conçoit, quand on songe à tous les établissements que l'humanité et la religion ont créés depuis des siècles. Ce n'est pas d'aujourd'hui, heureusement, que l'homme aime. l'homme; ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il y a des cœurs pour lesquels le soulagement du pauvre est une noble occupation, une consolation touchante, une prière à Dieu. C'est en parcourant la suite des institutions existant depuis des siècles, ou depuis quelques années seulement, que nous avons pu nous convaincre à quel point cette société tant calomniée, avait été persévérante, ingénieuse, inventive, dans sa bienfaisance, et

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combien peu de choses elle avait laissées à inventer à ses détracteurs de l'âge présent. Elle a sans doute beaucoup laissé à perfectionner et à développer, car on ne perfectionne pas le jour même où l'on crée, car on ne peut pas proportionner à l'étendue toujours croissante d'une société des créations qui datent souvent de son origine. Mais elle a peu laissé à créer, car lorsque, depuis des siècles, on pense à un objet, on laisse peu de nouveautés à ceux qui viennent après soi; et, s'il était d'ailleurs des choses auxquelles les âges antérieurs n'eussent pas songé, on s'est hâté d'y penser et de les essayer depuis trente années, c'est-àdire depuis que la discussion publique des intérêts généraux a contribué à diriger l'attention des esprits vers le sort des classes populaires On arrive donc tard aujourd'hui, non pas pour bien faire, ce qui est toujours possible, mais on arrive tard pour créer. Qu'importe au surplus, si l'on fait le bien, que la manière de le faire soit ancienne ou nouvelle ! Cependant, pour s'entendre sur ce sujet, il faut sortir des généralités, et entrer dans l'énumération des moyens ou anciennement pratiqués, ou nouvellement proposés, de soulager les souffrances populaires, et dans l'appréciation des uns et des autres. Pour ne pas nous égarer dans cette énumération, nous avons cru devoir nous tracer un ordre, et nous avons jugé n'en pouvoir pas suivre un meilleur que celui des divers âges de l'homme, de sa naissance à sa mort. C'est en effet de lui, de ses misères infinies qu'il s'agit; ces misères changent suivant

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