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L'année 1847 devait être pour l'Algérie une année décisive. Cette année vit s'accomplir, presque en entier, la grande œuvre de conquête et de pacification entreprise par le maréchal Bugeaud. Mais plus d'un combat fut encore nécessaire pour assurer ce résultat, depuis si longtemps attendu (1).

Tandis que le général de Lamoricière, nouvellement élu député, quittait Oran pour venir siéger à la Chambre sur les bancs de l'opposition, le maréchal, accompagné du colonel Rivet et de son gendre, le commandant Feray, s'embarquait pour aller visiter le nouveau poste d'Aumale. Bien que le duc d'Aumale fût alors en France, Bugeaud, selon son habitude, le tenait exactement au courant des faits qui se passaient en Algérie, et entretenait avec celui qu'il considérait comme son successeur une active correspondance. Les lettres adressées au prince par le gouverneur nous manquent; en revanche, voici une réponse du duc d'Aumale qui présente un haut intérêt :

(1) Un engagement meurtrier eut lieu le 10 janvier entre le général Herbillon et les Ouled-Djellal, que Bou-Maza venait de visiter. Un village fortifié fut enlevé par nos soldats. D'un autre côté, le général Marey-Monge, qui commandait à Médéah, tombait sur les Ouled-Naïl, qui, eux aussi après Abdel-Kader, avaient reçu Bou-Maza et lui avaient fourni des secours en hommes et en vivres. Quelques jours après, Bou-Maza lui-même allait être poursuivi entre Tiaret et la forêt de pins et de cèdres gigantesques de Teniet-el-Had. L'escorte du chef fut mise en déroute et son trésor enlevé.

S. A. R. le duc d'Aumale au maréchal Bugeaud.

Paris, le 23 mars 1847.

Mon cher maréchal,

Il y a déjà plusieurs jours que je vous aurais remercié de la bonne et cordiale lettre où vous me donnez de si curieux détails sur la ville à laquelle on a attaché mon nom, tout indigne que j'en étais. Mais M. Guizot m'annonça votre très prochaine arrivée à Paris, et je me préparais, avec grande satisfaction, à vous répondre de vive voix, quand j'appris que vous étiez retenu à Alger par une indisposition. Aujourd'hui, quelque souhait que je forme pour votre prompte guérison et votre prochaine arrivée, je ne sais à quelle époque j'aurai le plaisir de vous voir; je ne veux donc pas prolonger mon silence, bien que j'ignore où et quand cette lettre pourra vous rencontrer?

Vous ne doutiez pas du plaisir qu'ont éprouvé tous les véritables amis de l'Algérie (et je prétends être du nombre) en apprenant les évènements importants qui se déroulent dans la Kabylie. Les soumissions que vous êtes allé recevoir à Aumale, celles qui se présentent simultanément à Bougie, à Sétif et à Philippeville sont des symptômes d'une haute gravité et un bien bon argument pour ceux qui ne croient pas que la Kabylie puisse être, à volonté, rayée de la carte d'Algérie. Vous savez que j'ai toujours fidèlement soutenu le principe de la domination entière, sans restriction et avec toutes ses conséquences.

Du reste, votre présence à Paris ne peut qu'éclairer cette grave question. Il sera aussi bien utile que vous puissiez prêter l'appui de votre parole et de votre expérience au projet de colonisation présenté par le Gouvernement; il rencontre

des obstacles et des scrupules qui ont été, sinon suscités, au moins encouragés par l'état de nos finances. Mais vous devez être mieux au courant que moi de toute cette situation, et bientôt, d'ailleurs, vous pourrez en juger par vous-même. J'espère avoir l'occasion d'en causer quelquefois avec vous; il me tarde aussi de vous entretenir de tout ce qui regarde l'armement de notre infanterie et l'amélioration de notre tir; c'est une haute question et qui mérite, je crois, de fixer la sérieuse attention de tous les hommes de guerre.

Veuillez croire, mon cher maréchal, au bien sincère attachement de votre affectionné

H. D'ORLÉANS.

Je n'ai pas oublié l'appel que vous m'avez fait en faveur de l'église d'Aumale. Nous tenons notre offrande à votre disposition, dès que vous ferez savoir qu'elle peut être utile, et qu'il y a quelque travail de prescrit et d'entrepris.

H. O.

De la même époque nous trouvons ces deux lettres écrites à la maréchale par le maréchal :

Le maréchal Bugeaud à la duchesse d'Isly.

Alger 20 février, 1847.

C'est vrai, chère amie, je ne t'ai pas encore écrit, cela ne me paraissait pas nécessaire. Il me semblait ne pas t'avoir quittée, tant j'étais près de toi; ton atmosphère m'atteint au loin, et je n'ai pas quitté le Sahel.

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La mollesse du général m'oblige à rentrer un ou deux jours plus tôt que je ne pensais. Il a laissé remettre en

T. III.

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question par le conseil décapité la chose que nous avions décidé.

Je serai donc, ce soir, près de toi, chère âme; aime-moi un peu de près comme tu m'aimes de loin, et je serai le plus heureux de la colonie comme je suis le plus puissant. Ah! tu crois que Trochu et Fourichon savent seuls te dire des tendresses!

BUGEAUD.

Aumale, le 26 février 1847.

Chère amie, notre journée d'hier a été très mauvaise, et pourtant ma santé n'en a pas souffert. Quoi qu'il en soit, je suis bien décidé à ne pas partir d'ici avant le retour du beau temps. J'ai pris aussi la résolution de retourner directement à Alger pour ne pas dépenser deux jours de plus en passant par Médéah. La lettre dont tu m'as parlé n'était pas si mauvaise que tu paraissais le croire. Le ministre est embarrassé par l'adoption à la légère du système de M. de Lamoricière et par l'ordonnance qui crée huit communes. Quoi qu'il en soit, j'ai répondu convenablement. J'attends d'un moment à l'autre Ben-Salem, Bou-Chareb et le frère de Bel-KassemOuled-Kassi. Amour à tous.

BUGEAUD.

Dans la lettre qui suit, adressée à son confident Gardère, le maréchal s'épanche à cœur ouvert. Il fait allusion aux critiques et aux attaques de l'opposition contre son système de guerre et de colonisation. M. Guizot le pressait, ardemment de venir à cette époque à Paris défendre lui-même ses idées.

Le maréchal Bugeaud à M. Gardère.

Alger, 6 mars 1847.

Mon cher Gardère,

J'ai reçu dans le Djebel Dira votre lettre du 21 février. Je me mettais en route pour Alger, où je suis arrivé avec un gros rhume enté sur un autre, par suite de la pluie et de la neige que j'ai eus presque constamment sur le corps pendant ce voyage, lequel avait pour objet de régler une foule de choses pour la création de la ville d'Aumale.

Je me suis mis au lit en arrivant, et c'est de là que je vous réponds. Il est probable, cher ami, que, si ma santé le permet, je serai à Paris du 20 au 25 mars. Le ministère me presse de m'y rendre; j'avoue que cela me contrarie, parce que je suis en bonne voie pour recueillir les fruits de ce détestable système de guerre, qui a été si justement attaqué pendant la campagne dernière.

Vous aurez sans doute vu dans les journaux tout au moins un extrait de mon rapport du 1er mars, par lequel j'annonce que Ben-Salem et tous les chefs importants de l'ouest du Djurjura sont venus à moi, et que j'ai organisé dans la grande Kabylie deux grands gouvernements sous le nom de BachAghaliks.

Vous aurez vu aussi les rapports sur ce que les colonnes de Médéah et de Constantine ont fait au loin dans le Petit Désert contre les tribus qui avaient eu l'imprudence d'épouser la cause du grand agitateur Bou-Maza. Malgré leur éloignement, malgré l'extrême dureté de la saison, elles ont été atteintes plusieurs fois, et la plupart ont déjà capitulé. N'est-ce pas là une autre preuve de l'impuissance de notre système de guerre, et n'était-on pas beaucoup plus habile quand

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