Slike stranica
PDF
ePub

ses rapports avec lui ne sont pas moins intéressants. Le prince faisait le plus grand cas de cet homme de guerre, et ses jugements m'ont beaucoup frappé en raison de leur bienveillance et de leur impartialité. - « C'était un des hommes les plus remarquables que j'aie connu, dit-il; un soldat de rare énergie et un esprit des plus charmants. J'avais pour lui une affection véritable, et il me témoignait un grand dévouement. Il n'a cessé de m'écrire après 1848, pendant notre exil en Angleterre. Sa dernière lettre est datée de 1851, huit jours avant le 2 décembre! Depuis, il resta muet. Le maréchal Bugeaud le prisait particulièrement. Sans ses embarras d'argent continuels et son défaut d'ordre, Saint-Arnaud eût été un homme complet! Sa mort a été héroïque, et sa correspondance restera comme un monument.

« Je vous parlais tout à l'heure des préoccupations du maréchal Bugeaud à l'endroit de la colonisation et de son goût dominant pour tout ce qui touchait à l'agriculture. Je me souviens qu'un jour, à Alger, je déjeunais au palais du Gouvernement chez le maréchal, avec le colonel de Saint-Arnaud. Je commandais alors à Milianah. Le gouverneur, comme d'habitude, causait agriculture et colonisation. Ayant appris que j'avais commencé, autour du camp, des plantations importantes, que je faisais tailler les vignes, et que nous avions récolté des luzernes, il m'exprima ses félicitations avec une chaleur singulière; bref, il était ravi « Ce n'est pas vous, Saint-Arnaud, qui auriez jamais l'idée de faire de pareilles choses! Ecoutez

[ocr errors]

« M. le duc d'Aumale, admirez-le au moins, si vous ne « l'imitez pas! Voyez comme il emploie ses loisirs, <«<lui! » En sortant du palais, le colonel de Saint« Arnaud s'approcha de moi : « Ah! monseigneur, << laissez-moi vous le dire, mais vous êtes un abomi<«<<nable courtisan! Vous flattez les manies de notre grand jardinier en chef, pour aller droit à son <«< cœur! Entre nous, croyez-vous que je m'y laisse

((

[ocr errors]

prendre, moi, à vos légumes, à vos vignes taillées, « et que je coupe dans vos luzernes ! »

« J'étais encore en Afrique lorsque Saint-Arnaud fut nommé général. Cette nomination me causa une satisfaction véritable. Comme je vous le disais, je possède une correspondance de lui des plus curieuses, et ses appréciations sur la République, sur les hommes du jour surprendraient bien des gens.

« Ce fut en 1841 pour la première fois, me dit le duc d'Aumale en terminant, que je vis le maréchal Bugeaud, étant appelé à servir sous ses ordres. Nous débarquâmes presque en même temps à Alger, lui comme gouverneur, moi comme commandant du 24 de ligne. Il me fit immédiatement entrer en campagne. L'année suivante, je revins en France, mais je repris bientôt la route d'Afrique, où je demeurai, neuf mois, sans congé.

« Nous étions, en effet, sans cesse en expédition. Je fus longtemps en service en 1842 et 1843 à Médéah et à Milianah, où je me trouvais sous les ordres du général Changarnier, mon divisionnaire. C'est à lui hiérarchiquement que j'adressais mes rapports, en les communiquant en même temps au gouverneur

général. Je revins en Afrique en 1845 et 1846. Au mois de juin 1847, le maréchal quitta le gouvernement. Je le remplaçai. Vous savez le reste (1). »

(1) Il serait impossible d'attribuer au hasard le choix des hommes distingués qui se trouvèrent groupés autour du maréchal Bugeaud, soit comme aides de camp, secrétaires ou officiers d'ordonnance.

Un contemporain, esprit três judicieux et fort indépendant, voulait bien, dernièrement, remontant avec nous le passé, nous donner sur chacun de ces humbles collaborateurs du maréchal, qui formèrent son cabinet militaire et politique, des renseignements d'un haut intérêt. Ces notes nous ont paru utiles à reproduire. L'homme qui les a écrites connaissait bien, pour avoir vécu au milieu d'eux, les officiers dont il parle, et ses appréciations, ses jugements sont empreints d'une grande impartialité.

Eynard, aide de camp du général Bugeaud, chef d'escadron d'état-major de 1841 à 1843. Nommé lieutenant-colonel, il reste l'aide de camp du maréchal. Il devint colonel en 1846. Nature rude et dévouée, un peu à la façon de l'ours qui frappe son maître pour le débarrasser d'une mouche. A fait, ainsi, plus d'un ennemi à son chef. Jaloux de l'entourage du maréchal; assez malveillant pour ceux dont il redoutait l'influence. Fidèle, mais hargneux. Intelligence un peu trop absorbée par des questions de détails. Fourichon, lieutenant de vaisseau, commandant le stationnaire à la disposition du gouverneur général, était plutôt l'ami que le subordonné du maréchal, qui avait pour lui une tendresse toute particulière et en lui une confiance illimitée. Esprit lucide et élevé, il a été bien souvent le trait d'union entre le maréchal, Lamoricière et Cavaignac. Aujourd'hui amiral et ancien ministre de la marine.

De Garraube, fils du général de Garraube, courageux, dévoué, cœur plein de délicatesse; souvent enfant terrible, était très aimé du maréchal dont il était le compatriote. A quitté le service comme colonel. Aujourd'hui retiré en Périgord.

Vergé, Plein d'intelligence et de dévouement, il connaissait fort bien les Arabes et a rendu de grands services au maréchal, quoique son esprit fût plus poétique que pratique. Or le maréchal, on le sait, goûtait surtout les esprits positifs. Général de division, aujourd'hui en retraite.

L'Heureux, nature exquise: autant de cœur que d'esprit, et rempli de tact. Nulle jalousie pour les supériorités qu'il proclamait lui-même. A été un des amis les plus fidèles, un des plus zélés défenseurs du maréchal qu'il aimait et admirait sans réserve. Mort général de division en 1870.

Feray, esprit sceptique, intelligence très remarquable, connaissant les hommes et étudiant surtout leur mauvais côté. Très séduisant de manières, qualités très brillantes et caractère généreux, aimant le faste et la prodigalité. Il poussait le dévouement pour ses amis jusqu'à l'exagération. Mort général de division en 1870.

Trochu. Le maréchal avait pour lui un goût particulier. Trochu le char

Parmi les jeunes officiers supérieurs placés sous ses ordres, le maréchal Bugeaud en avait remarqué trois auxquels il prédisait un grand avenir: c'étaient. les colonels de Saint-Arnaud, Cousin-Montauban et Canrobert. Il les avait vus à l'œuvre de très près, et, bien qu'ils n'eussent servi sous ses ordres que dans des situations secondaires, il les jugeait dans ses entretiens particuliers comme des soldats hors ligne.

« Le colonel Pélissier, homme de la discipline, est un chef d'état-major incomparable, disait-il. Pour l'exécution des ordres, c'est un militaire sans pareil. Il a une énergie indomptable, un caractère de fer. Le colonel Ladmirault, d'une trempe peu ordinaire, possède des qualités puissantes, et, de plus, est organisateur. Le colonel Morris, selon lui, était superbe au feu, d'une bravoure sans égale, tempérament militaire par excellence. Quant à Yusuf, soldat magnifique, il exerçait un grand prestige sur les Arabes. Ses qualités et son origine lui assignaient une place à part. Le général Cavaignac, homme énergique, mais connaissant mal les Arabes, avait le caractère un peu susceptible, mais soldat de devoir, de discipline et de probité. »

mait, et exerçait sur l'esprit de son chef une grande influence. Son mérite incontestable, ses hautes qualités, étaient un peu exagérées par le maréchal. Trochu parlait si bien, était écouté avec tant de faveur qu'il parlait un peu trop. Caractère élevé, mais un peu théâtral. N'a cessé, tant qu'il a vécu, d'admirer et de vénérer le maréchal. Général de division en retraite.

Rivet, aussi dévoué, aussi intelligent, aussi courageux que Trochu, il lui était supérieur parce qu'il agissait plus et parlait moins. Le maréchal l'appréciait autant que Trochu. Cœur et esprit très élevés, caractère absolument sûr. Le maréchal avait placé en lui toute sa confiance et le recommanda, au moment de son départ, au général duc d'Aumale, dont il devint le chef d'état-major. Mort général de division en Crimée.

[ocr errors]
[blocks in formation]

- Le

Retour au foyer (5 juin 1847). — Évènements du Maroc. Le fidèle Léon Roches. Lettres à la comtesse Feray. La vie à la Durantie. duc d'Aumale est nommé gouverneur général de l'Algérie (17 septembre 1847). Correspondance du maréchal Bugeaud avec son successeur. - Reddition d'Abdel-Kader (23 décembre 1847). — La révolution de 1848 en Algérie. Le départ du duc d'Aumale (mars 1848).

Après six années de luttes, de triomphes et aussi de déboires, Bugeaud rentrait au foyer. Son long gouvernement d'Afrique n'avait épuisé ni son énergie morale, ni ses forces physiques; cependant, il faut bien le dire, il revenait l'âme froissée et meurtrie. Son esprit absolu et son caractère un peu entier ne comprenaient point toutes les exigences, et tous les sacrifices, que le fonctionnement du régime parlementaire imposait aux ministres, parfois même au souverain. Aussi se montrait-il, malgré lui, quelquefois injuste à l'endroit des membres du cabinet, présidé par M. Guizot.

Parti d'Alger le 5 juin, il prit, sans toucher barre à Paris, la route d'Excideuil et s'établit à la Durantie d'une façon définitive. Pour la seconde fois, dans sa longue carrière, il allait redevenir agriculteur et reprendre la charrue. Tel fut, du moins, son désir le

T. III.

12

« PrethodnaNastavi »