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fasse naître en Afrique des intérêts concentrés, immobiles, comme on les trouve dans toutes les grandes villes de l'Europe, et l'on peut être convaincu que nous n'irons pas nous exténuer à poursuivre des troupeaux et des populations à travers les ravins, les montagnes, les plaines et le Désert... Mais comme dans toute guerre il faut, pour la finir, atteindre les intérêts, etc.

Ces derniers mots « atteindre les intérêts », termes si souvent reproduits dans les discours et les écrits du maréchal Bugeaud au sujet des guerres d'Afrique, sont l'équivalent d'une signature. C'est bien le maréchal en personne qui défend son lieutenant dans les colonnes du journal officiel de la colonie. Il obéit ainsi à sa générosité habituelle; il obéit au sentiment de l'armée, qui se manifeste dans le même sens, au cours des lettres contemporaines de l'événement, écrites par le colonel de Saint-Arnaud.

Non seulement l'armée approuva la conduite du colonel Pélissier, mais, il faut bien le dire, la colonie tout entière n'eut qu'une voix en faveur de ce vigoureux soldat qui, pour anéantir l'insurrection, pour frapper de terreur les Arabes, pour arrêter l'effusion du sang, sacrifiait quelques victimes à l'intérêt général.

Le rapport du colonel Pélissier, adressé au gouverneur général, se terminait par ces mots :

Ce sont là, monsieur le maréchal, de ces opérations que l'on entreprend quand on y est forcé, mais que l'on prie Dieu de n'avoir jamais à recommencer!

Interpellé à la Chambre des Pairs par le prince de la Moskowa, le maréchal Soult, ministre de la guerre, « manqua, dit M. Guizot, dans cette occasion, de sa présence d'esprit et de son autorité accoutumées. Il exprima en quelques paroles embarrassées un blâme froid et timide, livrant le colonel Pélissier, sans satisfaire ceux qui l'attaquaient. >>

Le maréchal Bugeaud ressentit vivement cet abandon et n'eut garde de l'imiter. « Avec un héroïsme inouï, dit un républicain, M. Léon Plée, le gouverneur général prit sur lui, devant l'opinion publique soulevée, la responsabilité du commandement. » Voici d'ailleurs sa lettre au ministre de la guerre :

Le maréchal Bugeaud au maréchal Soult.

Alger, 18 juillet 1845.

Je regrette, monsieur le maréchal, que vous ayez cru devoir blâmer, sans correctif aucun, la conduite de M. le colonel Pélissier. Je prends sur moi la responsabilité de son acte; si le Gouvernement jugeait qu'il y a justice à faire, c'est sur moi qu'elle doit être faite. J'avais ordonné au colonel Pélissier, avant de nous séparer à Orléansville, d'employer ce moyen à la dernière extrémité. Et, en effet, il ne s'en est servi qu'après avoir épuisé toutes les ressources de la conciliation. C'est à bon droit que je puis appeler déplorables, bien que le principe en soit louable, les interpellations de la séance du 11. Elles produiront sur l'armée un bien pénible effet qui ne peut que s'aggraver par les déclamations furibondes de la presse.

Avant d'administrer, de civiliser, de coloniser, il faut que les populations aient accepté notre loi. Mille exemples ont prouvé qu'elles ne l'acceptent que par la force, et celle-ci même est impuissante si elle n'atteint pas les personnes et les intérêts. Par une rigoureuse philanthropie, on éterniserait la guerre d'Afrique en même temps que l'esprit de révolte et alors on n'atteindrait même pas le but philanthropique. Agréez, etc.

Signé BUGEAUD.

Seize ans plus tard, en 1861, le colonel Pélissier, devenu maréchal de France, duc de Malakoff, gouverneur général de l'Algérie, était reçu par les colons à Mascara. Les notables lui faisaient les honneurs d'un cercle qui porte son nom en mémoire des luttes d'autrefois. Là, dans le voisinage du Dahra, au milieu de cette foule algérienne, les outrages que la presse française et les politiciens de l'époque avaient déversés sur lui revinrent à sa mémoire. Personne ne parlait avec plus d'originalité et de feu, on le sait, que ce soldat à l'écorce rude. Sous l'émotion du moment, il rappela ce terrible fait de guerre avec l'éloquence que lui donnait la conviction du devoir accompli, quelque pénible qu'il eût été. Il reçut ce jour-là un nouveau témoignage nouveau témoignage chaleureux de la reconnaissance des colons.

Ce malheureux évènement avait retardé d'un grand mois l'expédition de Kabylie. Le maréchal tenait, cependant, à la faire, malgré l'état avancé de la

saison, avant de donner suite à un projet de voyage en France.

La maréchale et sa suite partirent pour Marseille le 20 juillet. Le 23, le gouverneur général s'embarqua pour Dellys, où il allait prendre le commandement d'une colonne de 5,000 hommes devant opérer contre Ben-Salem.

Ben-Salem était alors assisté de deux autres grands chefs insurgés nommés Bel-Kassem et Bou-Chareb. Tous les trois avaient répandu à profusion de fausses lettres au cachet de l'émir Abdel-Kader, où il était dit que l'empereur du Maroc nous avait baltus, que l'émir allait arriver, que le maréchal était mort. Dans toutes les zaouïas, les marabouts prophétisaient la fin du règne des chrétiens.

Fanalisés par ces appels, les Beni-Ouaguenoun, les Flissat-el-Bahar et les Beni-Gennad tombèrent sur les Amraouas, demeurés fidèles à notre alliance, et incendièrent leurs villages et leurs moissons.

La présence du gouverneur général devenait nécessaire. Il se porta rapidement à Aïn-el-Arba, où sa colonne avait été rassemblée. Le 25 juillet, il arrivait au pied de la montagne occupée par les Ouled-Mioun, les plus ardents à la sédition.

Le lendemain, la colonne française couronnait les crêtes réputées inacessibles au temps des Turcs.et y brûlait tous les villages. Nos soldats y bivouaquèrent deux nuits et en redescendirent, sans avoir tiré ni reçu un coup de fusil.

Passant ensuite l'Oued Sebaou, l'armée vint chez les

Beni-Raten qui promirent de ne plus recevoir BelKassem (1).

1 C'est sur le territoire des Beni-Raten que s'élève aujourd'hui, à 950 mètres d'altitude, à 132 kilomètres d'Alger, dominant toute cette magnifique vallée montagneuse, la place de guerre de Fort National, alias Fort Napoléon, chef-lieu de circonscription cantonale et faisant partie de l'arrondissement (cercle de Tizi-Ouzou). La ville-citadelle est protégée par une enceinte flanquée de dix-sept bastions et embrasse une étendue de 12 hectares. Les tribus kabyles qui habitent ce pâté de montagnes se glorifiaient jadis d'échapper à toute domination. Tizi-Ouzou, en effet, le Tubusuptus d'Ammien Marcellin, était le point le plus avancé de l'occupation romaine dans le Djurjura, et les Turcs eux-mêmes n'avaient pas dépassé cette limite.

Le maréchal Bugeaud, en parcourant, en 1845, le territoire des BeniRaten, n'eut point à les soumettre. De leur gré, ces Kabyles se déclarèrent .ses alliés. Ce ne fut que plus tard, après 1848 et les années suivantes, que ces tribus kabyles devinrent un foyer permanent d'insurrection, attaquant nos avant-postes et incendiant nos nouveaux villages.

C'est en 1857 que le maréchal Randon, gouverneur general, entreprit la conquête de cette partie jusque-là inaccessible de la Kabylie. Pour bien comprendre les difficultés de l'expédition, il faut se rappeler que les villages kabyles, édifiés pour la plupart au sommet des pitons des montagnes et protégés par des obstacles naturels, étaient défendus par la population la plus belliqueuse de l'Algérie. L'armée française sut triompher de tous ces obstacles. Le corps expéditionnaire, formé de troupes régulières et de goums arabes, comprenait trois divisions et deux colonnes d'observation, soit plus de 33,000 hommes. Les trois divisions étaient commandées par les généraux Renault, Yusuf et Mac-Mahon. Nos troupes escaladèrent sous un feu continu des positions qui semblaient inabordables, poursuivirent l'ennemi jusque dans ses derniers retranchements. Chaque village fut pris d'assaut, et, après soixante jours de combat, toutes les tribus demandèrent l'aman, la Kabylie entière déposa les armes le 17 juin 1857.

Il fallait assurer notre domination. L'armée, sans désemparer, fut employée à percer une large route partant de Tizi-Ouzou, des bords du Sebaou, jusqu'au Fort National. Ce travail gigantesque, c'est-à-dire la construction d'une route superbe à travers les sinuosités de la montagne fut accompli en trente-six jours. Le Fort Napoléon, construit sur le plateau de Souk-elArba, domine tout le pays qu'il tient en respect.

Nous nous souvenons avoir parcouru en poste, à la fin de décembre 1873, avec notre famille, ces merveilleuses contrées. Partis le matin de TiziOuzou, après avoir traversé à gué le Sebaou et gravi les rampes, nous arrivions dans la journée au Fort National, occupé alors par le commandant Saint-Mars. Je ne saurais oublier l'impression profonde que me causa le spectacle imposant de ces montagnes verdoyantes, de ces champs cultives, de ces innombrables villages distants tous d'une portée de fusil. A

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