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mentarisme, faussé dans son application, ne pouvait pas être supportée sans un vif dépit par le maréchal, dont la loyauté absolue n'admettait pas de pareils tempéraments dans l'exécution de ses devoirs militaires.

Le colonel de Saint-Arnaud écrivait à cette époque à son frère sur ce sujet délicat :

Il n'y a pas deux camps dans l'armée d'Afrique, mais il y a deux hommes: l'un grand, plein de génie, qui, par sa franchise et sa brusquerie, se fait quelquefois des ennemis, lui qui n'est l'ennemi de personne; l'autre capable, habile, ambitieux, qui croit au pouvoir de la presse et la ménage, qui pense que le civil tuera le militaire en Afrique et se met du côté du civil. L'armée n'est pas divisée pour cela entre le maréchal Bugeaud et le général de Lamoricière; seulement, il y a un certain nombre d'officiers qui espèrent plus du jeune général qui a de l'avenir que du vieillard illustre dont la carrière ne peut plus être bien longue.

Le maréchal souffrait beaucoup du défaut de confiance que lui témoignait le ministère de la guerre et du peu de crédit qu'on lui accordait dans les affaires algériennes. Deux mois avant son départ pour la France, Bugeaud écrivait à M. Guizot la lettre sui

vante :

Le maréchal Bugeaud à M. Guizot.

Alger, 30 juin 1845.

J'ai la conviction que M. le maréchal Soult a l'intention de me dégoûter de ma situation pour me la faire abandonner.

Cette pensée résulte d'une foule de petits faits et d'un ensemble qui prouve qu'il n'a aucun égard pour mes idées, pour' mes propositions. Vous avez vu le cas qu'il fait de l'engagement, pris devant le Conseil, de demander 500,000 francs pour un essai de colonisation militaire; c'est la même chose de tout, ou à peu près. Il suffit que je propose une chose pour qu'on fasse le contraire, et le plus mince sujet de ses bureaux a plus d'influence que moi sur l'administration et la colonisation de l'Algérie. Dans tous les temps, les succès des généraux ont augmenté leur crédit; le mien a baissé dans la proportion du progrès des affaires de l'Algérie. Je ne puis être l'artisan de la démolition de ce que je puis, sans vanité, appeler mon ouvrage. Je ne puis assister au triste. spectacle de la marche dans laquelle on s'engage au pas accéléré.

Extension intempestive, ridicule, insensée, de toutes les choses civiles; compétition successive de l'armée et des travaux publics pour couvrir les folles dépenses d'un personnel qui suffirait à une population dix fois plus forte voilà le système! Je suis fatigué de lutter sans succès contre tant d'idées fausses, contre des bureaux inspirés par le journal l'Algérie. Je veux reprendre mon indépendance pour exposer mes propres idées au Gouvernement et au pays. Le patriotisme me le commande puisque j'ai la conviction qu'on mène mal la plus grosse affaire de la France.

Peu après son arrivée à la Durantie, le maréchal entretenait encore du même sujet son illustre correspondant. I accepte ses reproches au sujet d'une circulaire récente relative à son thème favori la colonisation.

Bugeaud avait écrit cette circulaire avec la convic

T. III.

tion que le ministre de la guerre lui accorderait l'autorisation d'appliquer à un essai de colonisation militaire un crédit de 500,000 francs. Il avait parlé au positif, indiquant ce qui serait fait par le Gouvernement général en faveur des nouveaux colons, comme s'il allait pouvoir exécuter ses promesses. Le crédit lui fut refusé; la circulaire fut blâmée : c'est ce qu'il s'explique dans la lettre suivante à M. Guizot :

Le maréchal Bugeaud à M. Guizot.

La Durantie, 28 septembre 1845.

Votre lettre du 23 août est venue me trouver ici, au moment où j'y arrivais pour visiter mes champs. Je leur ai donné un coup d'œil très rapide, et pour ne leur rien dérober, je me lève avant le jour pour vous répondre..... Au moment de mon départ d'Alger, j'ai laissé, pour être inséré dans le Moniteur du 5 septembre (1), un article qui répond à votre désir de me voir atténuer, par un acte quelconque, ce que vous appelez le mauvais effet de ma circulaire... Elle ne devait avoir aucune publicité... Je dois dire aussi que les termes en étaient trop positifs; j'aurais dû mettre partout les verbes au conditionnel; au lieu de dire : « Les colons

(1) Le Moniteur Algérien du 10 septembre 1845 contient quatre colonnes sur les progrès de la colonisation. Cet article, cité dans la lettre du maréchal Bugeaud au ministre Guizot, émanait donc du gouverneur général; nous en relevons ici seulement la conclusion :

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Que si l'on venait dire que le Gouvernement n'a su entreprendre en Algérie qu'une colonisation mesquine et jeter sur le sol qu'une population de 7,000 individus, nous répondrions par l'exposé qui précède et par simple comparaison du chiffre de deux époques en 1841, l'effectif n'était que de 25,000 ou 27,000 Européens; il est aujourd'hui de 85,000. Ce qui fait que la population acquise pendant les onze premières années de l'occupation a quadruplé depuis quatre ans. »>

recevront, etc. », j'aurais dû dire « Si le gouvernement adoptait mes vues, les colons recevraient, etc. >> Changez le temps du verbe, et vous ne verrez plus qu'une chose simple, une investigation statistique qui est dans les droits et dans les usages du commandement, et destinée à éclairer le Gouvernement lui-même... Ce qui prouve que je n'avais pas de temps à perdre pour connaître un résultat avant mon départ, c'est que je n'ai pu encore obtenir que les états de la division d'Alger; ils me donnent 3,996 sous-officiers et soldats, présentant entre eux un avoir de 1,700,000 francs. On peut évaluer que les deux autres divisions donneront chacune environ 3,000 demandes. Voilà donc près de 10,000 sous-officiers et soldats de vingt-quatre à trente ans, c'est-à-dire tous jeunes, forts, vigoureux, disciplinés, aguerris, acclimatés, offrant de se consacrer à l'Afrique, eux et leurs descendants... Si la France était assez mal avisée pour ne pas s'emparer de telles dispositions afin de consolider promptement et à jamais sa conquête, on ne pourrait trop déplorer son aveuglement... Du reste, pour répondre à la sotte et méchante accusation de la presse qui m'appelle un pacha révolté, je viens me livrer seul au cordon, et je me suis présenté tout d'abord chez le ministre de la guerre. Si j'avais eu quelques craintes, son charmant accueil les aurait effacées. Il m'a bien fait voir, dans la conversation, que les déclamations de la presse avaient produit quelque effet sur son esprit; mais aussitôt que je lui ai expliqué mes motifs, tous basés sur la profonde conviction où je suis que c'est rendre à la France un grand service et que l'acte en lui-même est au fond dans les droits et dans les usages du commandement, le nuage s'est dissipé, et, pendant les deux jours (1) que nous avons disserté sur les

(1) Au sujet de ce voyage à Soultberg, auquel fait allusion le maréchal Bugeaud, et à la visite qu'il fit au maréchal Soult, avant de se rendre à la

affaires de l'Afrique, je n'ai trouvé en lui que d'excellents sentiments pour moi et de très bonnes dispositions pour les affaires en général. De mon côté, j'y ai mis un moelleux et une déférence dont vous ne me croyez peut-être pas susceptible, et cela m'a trop bien réussi pour que je n'use pas à l'avenir du même moyen.

Signé BUGEAUD.

Le maréchal ne devait pas jouir longtemps de ses loisirs de la Durantie, loisirs assez agités, du reste, par les discussions sur la politique algérienne et qui allaient être brusquement interrompus par des nouvelles venues d'Alger.

Après le départ du gouverneur général, les tribus de la province d'Oran, du Dahra, de l'Ouarensenis avaient pris feu comme une traînée de poudre. Le gouverneur par intérim, M. de Lamoricière, dans son émotion, avait publié, un peu imprudemment, ces fâcheuses nouvelles dans toute leur étendue, avant de se porter de sa personne au foyer de l'incendie. Il est vrai que, se jugeant impuissant à le maîtriser, il avait

Durantie, nous avons recueilli d'un de nos amis, le marquis Philippe de Mornay, petit-fils du maréchal duc de Dalmatie, un précieux témoignage qui détruit certaine légende attribuant aux deux grands soldats une inimitié réciproque. Philippe de Mornay, qui avait à peine quinze ans à cette époque, se trouvait à Soultberg, au moment de la visite du maréchal Bugeaud. « Je me souviens encore, me disait-il récemment, de l'agitation de mon grand-père, avant l'arrivée du maréchal Bugeaud et de son émotion lorsque la voiture parut dans l'avenue. Il descendit à la hâte le perron du château et pressa longuement dans ses bras son camarade, son hôte, l'ancien caporal d'Austerlitz. Ceci prouve que si, entre les deux maréchaux de France, les bureaux, les politiciens n'avaient point interposé leurs intrigues et leur détestable influence, aucun conflit ne se serait produit.

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