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sur l'heure expédié en France le commandant Rivet, auprès du maréchal. L'annonce d'évènements aussi graves devait naturellement faire oublier au duc d'Isly tous ses griefs et ses velléités d'abandonner le gouvernement d'Afrique.

Le soir même de l'arrivée à la Durantie du commandant Rivet, le maréchal écrivait la lettre suivante :

Le maréchal Bugeaud à M. de Marcillac,
préfet de la Dordogne.

La Durantie, 6 octobre 1845:

M. le chef d'escadron Rivet m'apporte d'Alger les nouvelles les plus fâcheuses. L'armée et la population réclament à grands cris mon retour. J'avais trop à me plaindre de l'abandon du Gouvernement vis-à-vis de mes ennemis de la presse et d'ailleurs pour que je ne fusse pas parfaitement décidé à ne rentrer en Algérie qu'avec la commission que j'ai demandée et après la promesse de satisfaire à quelques-unes de mes idées fondamentales. Mais les évènements sont trop graves pour que je marchande mon retour au lieu du danger. Je me décide donc à partir après-demain. Je vous prie de m'envoyer quatre chevaux de poste qui me conduiront à Périgueux..... Il est fort à craindre que ceci ne soit une rude guerre à recommencer. Hélas! les évènements ne donnent que trop raison à l'opposition que je faisais au système qui étendait sans nécessité l'administration civile et diminuait l'armée pour couvrir les dépenses de cette extension. J'ai le cœur navré de douleur de tant de malheurs et de tant d'aveuglement de la part des gouvernants et de la presse, qui nous gouverne bien plus qu'on n'ose l'avouer.

Signé Maréchal BUGEAUD.

Le préfet eut la légèreté de communiquer à la presse locale cette lettre qui n'était point destinée à la publicité et qui était de nature à envenimer les rapports déjà fort tendus qui existaient entre le maréchal et le ministère.

La lettre confidentielle ci-dessous, adressée par le commandant Rivet, officier d'ordonnance du maréchal Bugeaud, à son ami M. Léon Roches, le lendemain. du retour du maréchal à Alger, reproduit exactement les impressions du maréchal durant cette crise :

Alger, 16 otobre 1845.

Mon cher Roches, Fourichon vous a écrit longuement et vous a mis au courant de la situation de la frontière d'Oran ; je m'abstiendrai donc de revenir sur ces déplorables évènements.

A la nouvelle de la catastrophe de Ghazaouat, j'ai quitté Alger le 30 septembre pour en informer le maréchal. Dans la nuit du 5 au 6 octobre, je suis arrivé à Excideuil et, trente-six heures après, nous étions sur la route de Marseille avec notre excellent patron, qui a été admirable de détermination et d'abnégation de lui-même. Qu'il y a de patriotisme et de chaleur dans cette grande âme!

Arrivés le 11 à Marseille, nous n'avons pu nous embarquer que le 13 pour Alger, où nous avons touché le 15, à 4 heures de l'après midi.

L'accueil que le maréchal a reçu de l'armée et de la population a dû bien le consoler de cette animosité de la presse qui s'est déchaînée contre lui depuis quelques mois. Si vous aviez vu toutes ces figures rayonner de bonheur au moment où nous avons traversé les flots de la population algérienne, vous en auriez pleuré d'attendrissement.

Demain, 17, nous partons d'Alger pour courir à l'incendie qui a embrasé à peu près toute la province d'Oran et qui, fort heureusement, a respecté jusqu'à ce jour la province d'Alger.

Nous traverserons, en la descendant, toute la vallée du Chélif, afin d'imposer à tout le monde sur notre passage; puis nous rallierons Saint-Arnaud et le général de Bourjolly, afin d'écraser les Flitas et les Beni-Ouragh, et de là nous continuerons vers l'Ouest pour achever la besogne de concert avec le général de Lamoricière.

Vous connaissez sans doute la mesure énergique que le Gouvernement vient de prendre. Six régiments de renfort et deux de cavalerie seront rendus en Algérie avant la fin du mois.

C'est assez dire que ce n'est plus seulement le rétablissement de l'ordre en Algérie que l'on veut, mais l'extirpation de la cause du mal, jusque dans sa racine. Nul doute que l'on ne soit décidé à aller chercher Abdel-Kader partout où il sera, sans respect pour les frontières.

L'hiver sera consacré à refaire notre situation en Algérie tout aussi bonne et meilleure peut-être qu'elle n'était auparavant, et quand la bonne saison sera venue, nous serons en mesure d'opérer chez les Beni-Snassen et de passer la Malouïa, s'il le faut.

Toute notre diplomatie, mon cher Roches, à mon sens, doit tendre aujourd'hui à persuader à l'empereur qu'il est dans son intérêt de coopérer avec nous à l'expulsion, et, ce qui vaudrait encore mieux, à l'anéantissement d'Abdel-Kader. Ce qu'il y a de bien certain, c'est que nous agirons avec ou sans l'empereur du Maroc. Il n'est plus possible qu'il en soit autrement, cela n'a pas besoin de commentaire. L'envoi de l'ambassadeur marocain à Paris favorisera singulièrement

nos négociateurs, et je vous félicite bien sincèrement de ce succès diplomatique.

Le maréchal avait bien envie de vous écrire quelques mots de sa main, sachant qu'il vous ferait grand plaisir; mais comment est-il possible qu'il en trouve le moment, absorbé comme il l'est par les préparatifs du départ de demain, et par les mille affaires du gouvernement? Il me charge de le suppléer, et je le fais moi-même avec précipitation, mais de bien grand cœur.

Le général de Lamoricière, parti, le 2, d'Oran, a opéré sa jonction, le 9, à Bab-Theiza avec le général Cavaignac; le 10, ils étaient à Djemâa-Ghazaouat; aucun engagement n'avait encore eu lieu. Abdel-Kader est chez les Traras, derrière eux; ils se disposaient à aller l'y attaquer.

Un autre malheur que nous n'avons appris qu'hier le commandant de Sebdou, M. Billaut, et l'officier des affaires arabes, M. Dombasles, ont été attirés chez les Ouriache par les chefs de la tribu sous le prétexte de s'entendre sur les dangers du moment. Ils s'y sont rendus avec cinq hussards et ont été victimes de leur imprudence. Ils ont eu tous la tête. coupée. Ah! Dieu, que de représailles à exercer! Fallait-il que les principes si sages de notre excellent maréchal fussent consacrés par de si terribles démonstrations!

Adieu, votre dévoué et bien aimant

RIVET.

Nous avons ramené Vergé de France avec Mm. Vergé. Ne nous reviendrez-vous pas aussi bientôt avec une compagne chérie ?

Post-scriptum de la main du maréchal :

Gardez-vous bien, mon cher Roches, de parler de l'inter

vention ou de l'invasion que, peut-être, nous pourrions faire sur le territoire marocain, sous le consentement de l'empereur.

Mille amitiés,

Maréchal B.

Parti précipitamment de la Durantie, Bugeaud arrivait le 15 octobre, après un voyage aussi rapide que le permettaient les ressources de locomotion de cette époque.

Aussitôt que les trois coups de canon eurent appris que la frégate le Panama amenant le gouverneur général était en vue, toute la population fut sur pied. La milice prit les armes, et les troupes furent échelonnées sur la rue de la Marine.

A 4 heures, le maréchal débarquait sous la voûte de l'Amirauté au milieu d'une foule immense. « Messieurs, dit-il en saluant l'assemblée, je voudrais arriver dans des circonstances plus favorables; mais je n'en éprouve pas moins un vif sentiment de plaisir à me trouver au milieu de vous. Au reste, ces circonstances, quelque graves qu'elles soient, n'ont rien de désespéré; avec l'aide de Dieu, nous rétablirons les choses en bon état. Vous savez que le gouvernement du Roi met à ma disposition les moyens nécessaires pour arriver à ce résultat. »

Le gouverneur général se mit en marche. La rue de la Marine était couverte de monde dans toute son étendue; la place Royale, la place du Gouvernement, étaient encombrées; les terrasses des maisons, les balcons, garnis de spectateurs. Tout Alger s'était porté

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