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rocher de Sisyphe. C'est bien le cas de vous dire aujourd'hui ce que le maréchal de Villars disait à Louis XIV: « Je vais combattre vos ennemis et je vous laisse au milieu des miens. >>

Signé: BUGEAUD.

Nous avons vu, après le retour triomphal du vainqueur d'Isly, combien les populations algériennes étaient promptes à l'enthousiasme et avec quelle facilité elles se laissaient aller à la confiance extrême. La terreur, il est vrai, n'était pas moins prompte à envahir leur cœur au premier incident fâcheux, et jamais peuple ne fut plus disposé à l'exagération et à la panique que la population de notre colonie. C'est ainsi que, pendant l'absence du gouverneur général, le terrible événement de Sidi-Brahim prit les proportions d'une catastrophe épouvantable et d'un désastre sans précédent. A en juger par l'effroi qui se répandit à Alger, on aurait pu croire les résultats de nos campagnes entièrement compromis et le royaume arabe reconstitué entre les mains du puissant Émir. Il convient donc de raconter sans passion cet épisode et de rentrer dans la vérité.

Cet évènement, très improprement désigné par certains historiens sous le nom de « massacre de SidiBrahim », est un fait de guerre dans lequel, selon leur habitude, nos admirables soldats se sont défendus avec un héroïsme antique et ont vendu leur vie, pied à pied, après l'avoir, de prime abord, fort imprudemment compromise. Je trouve un saisissant récit de

ce combat de géants dans le livre Zouaves et Chasseurs à pied du général duc d'Aumale (Paris, 1855).

Nous occupions depuis un an, près des frontières du Maroc, une petite crique appelée Djemâa-Ghazaouat, mouillage fort médiocre, mais le meilleur de cette plage inhospitalière et le seul point d'où l'on pût assurer le ravitaillement des colonnes qui opéraient dans cette partie sans cesse agitée de nos possessions. Bien qu'on y eût déjà créé quelques établissements, les défenses en étaient à peine ébauchées. Aussi, le commandement en avait-il été confié à un officier d'une vigueur et d'une résolution bien connues, le lieutenant-colonel de Montagnac. Comme tout semblait tranquille sur la frontière, on avait, pour faciliter les subsistances et les fourrages, réuni à Djemâa plus d'infanterie et surtout de cavalerie qu'il n'en fallait pour la défense de ce petit poste. Tout à coup on apprend qu'Abdel-Kader a rassemblé des forces nouvelles et qu'il envahit notre territoire. Le général Cavaignac, qui commandait à Tlemcen, s'empresse de concentrer ses troupes : il envoie en conséquence des ordres à Djemâa; mais Montagnac était déjà en campagne. Informé que l'émir allait attaquer la tribu des Souhalia qui nous avait donné de nombreuses preuves de fidélité, il avait cru que l'honneur ne lui permettait pas de laisser nos alliés sans secours, et, malgré la défense. formelle qui lui en avait été faite, il sortit avec 62 cavaliers du 2o hussards et 350 hommes du 8° d'Orléans. En vain reçoit-il à son premier bivac les ordres de son général : avant de les exécuter, il veut avoir repoussé l'ennemi. Entraîné par sa bouillante ardeur, égaré par de faux renseignements, il morcelle encore sa troupe, laisse dans le camp le commandant Froment-Coste du 8e bataillon et s'avance avec sa cavalerie, soutenue par deux compagnies de chasseurs. Bientôt

un combat inégal s'engage. Abdel-Kader est là, avec tout son monde. A la première décharge, Montagnac tombe blessé mortellement. En peu d'instants, tous les chevaux, presque tous les hommes, sont atteints. Le commandant de Cognord, du 2o hussards, rallic ceux qui restent. Cette poignée de braves se serre sur un mamelon et ne cesse de s'y défendre jusqu'à ce que les munitions soient épuisées. Alors les Arabes, se rapprochant de ce groupe devenu immobile et silencieux, « le font tomber sous leur feu comme un vieux mur ». L'ennemi ne ramassa que des cadavres et des blessés qui ne donnaient plus signe de vie. Avant d'expirer, Montagnac avait fait appeler le commandant Froment-Coste. Ce dernier accourt avec une compagnie; ce nouveau détachement est entouré et, après une héroïque défense, détruit jusqu'au dernier homme (1).

Restait la compagnie de carabiniers du 8°, commandée par le capitaine de Géreaux. Les Arabes vont fondre sur elle de toutes parts. C'est, en effet, la présence de l'ennemi qui apprend à la fois à Géreaux le danger qui le menace et le désastre de ses compagnons. Mais son courage ne se trouble pas. Il rassemble sa petite troupe, se saisit du marabout de Sidi-Brahim qui est à sa portée et s'y barricade. Il y est aussitôt attaqué avec fureur. Cependant le feu des grosses carabines décime les assaillants, dont les plus hardis sont renversés à coups de baïonnette. Abdel-Kader, qui dirige le combat, le suspend un moment. Il envoie au capitaine français une sommation écrite, l'engageant à cesser une lutte inutile, promettant la vie sauve à ses hommes. Géreaux lit la lettre aux chasseurs d'Orléans qui n'y répondent que par les cris de Vive le Roi!

(1) Blessé et sans connaissance, le chef d'escadron Courby de Cognord allait être décapité, lorsqu'un vieux régulier d'Abdel-Kader reconnut l'officier supérieur aux soutaches de son dolman. On l'emporta; il se rétablit et fut rendu à la liberté l'année suivante : il est aujourd'hui officier général. (Note du duc d'Aumale, 1855.)

T. II.

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Un drapeau tricolore fait avec des lambeaux de vêtements est hissé sur le marabout; on y pratique quelques créneaux à la hâte; on coupe les balles en quatre ou en six pour prolonger la défense. L'attaque recommence plus acharnée que jamais, puis le feu s'arrête encore. Le capitaine Dutertre, adjudant-major du bataillon, fait prisonnier quelques heures plus tôt, s'avance vers le marabout: «Chasseurs, s'écrie-t-il, on va me décapiter si vous ne posez les armes, et moi, je viens vous dire de mourir jusqu'au dernier plutôt que de vous rendre!» Sa tête tombe aussitôt. Deux fois encore la sommation et le combat sont renouvelés; les rangs de nos braves sont bientôt éclaircis, mais pas un d'eux n'hésite. Lassé par cette résistance, l'Émir, qui a déjà perdu plus de monde qu'il n'avait tué de Français le matin, a recours à un moyen qui lui paraît plus sûr. Il s'éloigne hors de la portée des carabines et enveloppe le marabout d'un cordon de postes qui ferme toutes les issues. Les chasseurs sont sans eau et sans vivres, ils restèrent ainsi trois jours! Enfin, le 26 septembre au matin, Géreaux remarqua que l'ennemi semblait s'être relâché de sa vigilance. D'ailleurs les hommes étaient épuisés. Ils aimaient mieux mourir en combattant que de succomber à la faim et à la soif. Géreaux s'élance avec sa petite troupe, soixantedix hommes, portant une dizaine de blessés, - fait une trouée à la baïonnette à travers la ligne ennemie et s'achemine sur la crête d'une chaîne de collines, qui le ramène vers Djemâa. L'audace de ce mouvement frappe les Arabes de stupeur; ils redoutent le feu des grosses carabines et se bornent à suivre les Français à distance. Nos soldats touchent au port; ils aperçoivent déjà l'enceinte de la ville, lorsque quelques-uns d'entre eux découvrent un filet d'eau au fond du ravin. Tous se jettent aussitôt sur la source..... Ceux qui ont connu les souffrances de la soif savent qu'il est souvent impossible de

résister à ce besoin impérieux. En vain Géreaux s'efforce de retenir sa compagnie sur la crête qu'il n'avait cessé d'occuper. Les officiers restent seuls et sont forcés de descendre. Les Arabes saisissent ce moment avec un cruel à-propos. Ils s'emparent de la hauteur, écrasent d'un feu plongeant les malheureux chasseurs. Géreaux, cependant, essaye de continuer la retraite. Les débris de sa petite troupe se remettent en marche, échelonnés en trois petits carrés. Mais les Arabes sont revenus plus nombreux.

Le lieutenant Chappedelaine, le docteur Rogazetti, qui n'avaient cessé de seconder vaillamment leur héroïque chef, sont frappés à mort. Géreaux tombe à son tour pour ne plus se relever. Tout est anéanti. De toute la colonne qui avait quitté Djemâa, le 21, douze hommes seulement furent recueillis par une sortie de la petite garnison qu'y avait laissée Montagnac. Mais cette lutte terrible, malgré sa funeste issue, suffit pour illustrer à jamais le nom de Géreaux et le numéro du 8° bataillon d'Orléans. »

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En relisant cette émouvante et légendaire défense, nous avouons que l'idée ne nous est point venue de la transformer de la part des soldats d'Abdel-Kader en lâche assassinat, en massacre, en infâme guet-apens. Tout au contraire, nous revendiquons pour la petite troupe du colonel Montagnac et celle du commandant de Géreaux l'honneur et la gloire d'avoir combattu contre des ennemis dignes de leur audace et de leur courage.

Le désastre de Sidi-Brahim fut suivi d'une autre disgrâce militaire plus grave sous certains rapports. Un détachement de la colonne du général Cavaignac

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