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Telle fut la proclamation par laquelle le vainqueur d'Isly annonça à la colonie son retour impatiemment attendu, après le voyage triomphal de cinq mois qu'il venait de faire en France.

Les deux tristes événements auxquels faisait allusion l'ordre général étaient l'explosion de la poudrière d'Alger et un coup de main, la surprise de Sidibel-Abbès (1).

(1) Le samedi 8 mars 1845, à 10 h. 1/4 du soir, deux fortes explosions suivies de détonations successives se firent entendre dans les bâtiments de la Marine. Le pavillon du commandant d'artillerie et les logements des compagnies d'ouvriers artilleurs et de pontonniers, les maisons du commissaire de la marine et du directeur du port avaient été emportés. Le contrôleur d'armes, le sergent-major armurier, sa femme et son enfant, 43 ouvriers d'artillerie, 31 pontonniers, 10 artilleurs et 2 ouvriers avaient été tués. On compta, en outre, 30 blessés. Un seul sous-officier qui eut la précaution, après la première explosion, de se réfugier dans une embrasure, fut préservé.

On eut à regretter également la perte du commandant d'artillerie Palard, et de Mme Segretier, femme du directeur du Port.

Quant à la surprise du poste de Sidi-bel-Abbès, nous en trouvons le récit dans un journal du temps, l'Écho d'Oran, des 1er et 8 février 1845.

Le poste de Sidi-bel-Abbès, à 18 lieues au sud d'Oran, à moitié chemin de Mascara à Tlemcen, se compose d'une redoute et d'un camp retranché, dans lequel sont établis un bataillon du 6o de ligne et deux escadrons de spahis.

Le 31 janvier au matin, le commandant supérieur Vinoy s'était porté avec sa cavalerie vers une tribu du voisinage, à qui des bestiaux avaient été volės.

Vers 10 heures, c'est-à-dire à l'heure du repas des soldats, des Arabes, au nombre de 60 environ, arrivaient à l'entrée du camp précédés de quelques enfants. La plupart portaient des bâtons de voyageur; aucune arme ne paraissait. Ils se présentaient pour une réclamation à adresser au commandant supérieur. Le factionnaire laisse entrer les premiers; bientôt, la tournure de ces visiteurs lui inspirant quelques doutes, il veut arrêter les suivants et est étendu mort d'un coup de pis. tolet. Cette détonation est le signal de l'attaque; tous ces fanatiques s'élancent dans le camp. tirent des armes cachées sous leurs vêtements, se précipitent sur nos soldats pris à l'improviste. La demeure du commandant supérieur est envahie, le planton tué sur la porte. Nos soldats courent aux armes, se jettent sur les Arabes qui cherchent à fuir; déjà les issues étaient gardées; tout ce qui était entré trouve la mort; on relève 58 cadavres.

Cette lutte corps à corps contre des hommes décidés à sacrifier leur vie nous a coûté cher; on évalue à plus de 30 nos tués et blessés.

Un coup de canon avertit le commandant Vinoy. Il ramena au camp les douars dont les hommes s'étaient fait tuer et qui ne contenaient plus que les femmes, les enfants, les vieillards et les troupeaux.

Moins meurtrier que l'accident de la poudrière d'Alger, l'événement de Sidi-bel-Abbès avait une portée bien plus grave. Il nous enseignait que la hardiesse et la multiplicité des courses militaires accomplies depuis quatre ans avec une incessante persévérance par le maréchal et ses lieutenants n'avaient que momentanément étouffé le fanatisme religieux des Arabes. Cette irruption en pleine paix d'une soixantaine de fanatiques ayant fait le sacrifice de leur vie pour risquer l'enlèvement d'un blockhaus, était un symptôme dont la gravité ne pouvait échapper à la perspicacité du maréchal Bugeaud. Débarqué le 25 mars, il tint à se montrer presque immédiatement dans l'Ouest; il se mit en route dès le 31. Il rend compte de son arrivée de ce premier voyage et de ses projets ultérieurs, à son fidèle confident Gardère, dans la courte lettre suivante qu'il signe : Votre ami très pressé :

Alger, 10 avril 1845

Mon cher Gardère,

Nous avons fait une heureuse traversée et, cependant, ces dames ont eu le mal de mer.

A peine arrivé, je suis parti pour l'Ouest et je me suis montré à la frontière pour qu'on ne pût pas douter que je suis là. J'ai eu soin de répandre le bruit que je suis prêt à soutenir l'Empereur contre Abdel-Kader, qui semble vouloir se dresser contre son chef religieux qui lui a donné l'hospitalité.

J'ai renoncé à la grande expédition contre les montagnes de Bougie. Le Gouvernement s'en souciait peu, et ne voulait pas en prendre la responsabilité; le public et les Chambres blåmaient.

Pour agir avec une entière prudence il eût fallu des renforts qu'on ne voulait pas me donner.

Je me bornerai donc à achever la soumission du bassin de l'Oued Sebaou. Il y a encore là des tribus nombreuses et belliqueuses, qui peuvent réunir 10,000 fantassins et qui reçoivent probablement de grands renforts de leurs voisins de l'Est. Il y aura quelques combats sérieux.

Lamoricière étendra nos possessions dans le sud d'Oran pour nous ouvrir les routes commerciales avec le Désert; Bedeau soumettra l'Aurès.

Embarqué le 31 mars sur le Caméléon, commandant Fourichon, le maréchal avait borné son apparition dans l'Ouest à la ville d'Oran et au poste d'extrême frontière de Djemâ-Ghazaouat qui devait, avant la fin de la même année, acquérir une si triste célébrité. Il était rentré à Alger dès le 6 avril, se proposant, comme il le dit dans la lettre qui précède de laisser à Lamoricière le soin d'étendre notre autorité dans le sud d'Oran, et de se réserver pour lui-même une excursion militaire d'importance secondaire sur l'Oued Sebaou.

S'il la projetait secondaire seulement, c'était, comme il le laisse entendre, pour obéir aux intentions des Chambres et du Gouvernement. Livré à son propre sentiment, il eut constamment, en effet, pendant ses sept années de gouvernement, et dès qu'Abdel-Kader lui laissait un répit, l'intention d'unifier toute l'Algérie sous la domination française par la soumission de la Kabylie.

Mais pendant qu'il songeait à la Kabylie, c'était

l'Ouest encore qui allait le rappeler. A l'heure même où le maréchal indiquait ses intentions à Gardère, la guerre sainte se prêchait dans le Dahra, dépendant en partie de la subdivision d'Orléansville commandée par le colonel de Saint-Arnaud. Le drapeau du Prophète y était déployé par le plus redoutable adversaire que nous ayons rencontré en Afrique après l'Émir, par le chérif Mohammed ben Abdallah que les Français, plus peut-être que les Arabes, ont popularisé sous le nom de Bou-Maza (l'homme à la chèvre) (1).

(1) Le peuple arabe a non seulement des chefs militaires, mais il a encore des chefs religieux. Il existe chez les Arabes trois classes de noblesse la noblesse d'origine; la noblesse temporelle ou militaire; la noblesse religieuse :

1o On appelle noble d'origine, chérif tout musulman qui peut, au moyen de titres en règle, prouver qu'il descend de Fathma Zohra fille du Prophète, et oncle de ce dernier. On peut dire que c'est Mohamed lui-même qui a fondé cette sorte de noblesse très considérée chez les Arabes. Il prescrit en effet dans plusieurs passages du Koran de témoigner les plus grands égards aux hommes issus de son sang, annonçant qu'ils seront les plus fermes soutiens et les purificateurs futurs de la foi musulmane. Les Arabes montrent en général une grande déférence pour les cheurfa (pluriel de chérif), et leur donnent le titre de sidi, mon seigneur. Toutefois, leur nombre est considérable au point de former des farku particuliers dans certaines tribus; les marques extérieures de respect qu'on leur témoigne varient avec les lieux. Le chérif est sujet aux lois, mais il a dans les pays musulmans le droit d'invoquer un jugement rendu par ses pairs. C'est ainsi qu'Abdel-Kader s'était réservé le droit de les juger lui-même. Les cheurfa jouissent de prérogatives plutôt morales que matérielles, et leur influence ne doit pas se mesurer sur les honneurs qu'on leur rend. Un 'grand nombre de cheurfa ont été marabouts, mais cette réunion de deux caractères distincts n'est qu'accidentelle.

2o Les membres de la noblesse militaire chez les Arabes portent le nom de djouad. Ce sont les descendants des familles anciennes et illustres dans le pays, ou encore les rejetons d'une tribu célèbre, les Koraïtches dont Mahomet faisait partie. Dans ce dernier cas, ils se désignent par le nom de dhaouda et représentent une noblesse supérieure aux djouad. La plus grande partie des djouad tire son origine des Mehhal, conquérants venus de l'Est à la suite des compagnons du Prophète. Les djouad constituent l'élément militaire dans la société arabe. Ce sont eux qui, accompagnés de

Le général de Bourjolly, commandant à Mostaganem, voulut se porter au secours de son voisin, le

leur clientèle, mènent les Arabes au combat. Par le fait, ces derniers sont presque leurs sujets. L'homme du peuple, le vassal a souvent à souffrir de l'autorité des djouad. Ceux-ci se font pardonner leurs mauvais traitements et maintiennent leur influence en accordant généreusement hospitalité et protection à ceux qui la réclament. Du reste, l'habitude a rivé la chaine qui unit l'homme du peuple aux djouad ou cheikhs, vieillards ou lettrés. 3o La noblesse religieuse mérite d'être étudiée avec soin. Son influence sur les Arabes est encore plus puissante, quoiqu'elle ne soit pas basée sur les mêmes fondements. Marabout est le participe passé du verbe rebat, lier. Le marabout est l'homme lié à Dieu, voué à l'observation des préceptes du Koran. C'est lui qui, aux yeux des populations, conserve intacte la foi musulmane; il est l'homme que les prières ont le plus rapproché de la Divinité. Aussi ses paroles deviennent des oracles auxquels la superstition ordonne d'obéir et qui règlent à la fois les discussions privées et les questions d'intérêt général. C'est ainsi que les marabouts ont souvent empêché l'effusion du sang en réconciliant des tribus ennemies, et prêché, le Koran aux mains, la guerre contre les Infidèles. Il faudrait remonter très haut dans notre histoire pour retrouver le temps où nos évêques jouaient le rôle de marabouts et où leur influence spirituelle et temporelle était assez grande pour servir d'arbitre ou pour entrainer les Croisés dans une guerre sainte. La noblesse religieuse est héréditaire comme les deux autres noblesses. En l'honneur d'anciens marabouts particulièrement vénérés, sont établies des chapelles, marabout. C'est ordinairement autour de ces constructions que les marabouts établissent une sorte de douar qui prend le nom de zaouia.

Les zaouia ont pour chef l'homme le plus influent de la famille des marabouts. L'exercice de l'hospitalité envers tous les voyageurs et les étrangers musulmans est un des premiers devoirs de sa position. Les criminels même doivent trouver un abri chez lui; c'est ainsi que quelques chapelles que nous appelons vulgairement marabouts sont un asile inviolable aux yeux des Arabes. Du reste, ces congrégations religieuses, sortes d'abbayes, de couvents, de séminaires, sont tellement nombreuses dans certaines tribus, telles que les Hachem, qu'elles y forment des divisions particulières. Les marabouts ne se livrent ordinairement à aucun travail manuel. Ils se vouent, dans l'intérieur des zaouïas, à l'instruction d'un certain nombre d'hommes ou d'enfants confiés par les tribus. Ces disciples desservants, étudiants, prennent le nom de tôlba (tâleb, lettré), et deviennent maîtres d'école dans les villes, assesseurs de cadi, quelquefois mėme cadis. On se tromperait en supposant que tout chérif, djouad ou marabout occupe une position élevée dans la société arabe. On en voit, au contraire, journellement qui sont occupés à de vulgaires métiers. Mais si tous les membres de ces classes ne jouissent point d'une part égale de

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