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Après ces deux mois, la colonne du maréchal était tellement harassée, qu'il dut renvoyer sa cavalerie, commandée par Yusuf, à Alger, où elle fut dissoute. Quant à son infanterie, ne pouvant la réexpédier si loin, il la conduisit à Orléansville, le 29 décembre, où elle resta. Mais, après avoir pris vingt-quatre heures seulement de repos personnel, il emmena avec lui toute la colonne de Saint-Arnaud, à qui il laissait en échange ses bataillons exténués. Lui, le maréchal, repartait, seul infatigable.

Pendant ce temps (1) (décembre 1845 et janvier

liers vinrent tenir tête à nos 450 spahis ou chasseurs. Après une mêlée générale, les cavaliers de l'Emir se replièrent sur une position en arrière où, pour les rallier, Abdel-Kader avait planté un drapeau blanc. Nos cavaliers les y suivirent; le cheval d'Abdel-Kader fut tué; chacun put voir les cavaliers arabes s'élancer vers leur chef pour le monter à nouveau (sic).

« L'ennemi prit alors une troisième position, d'où il fut à nouveau chassé. «Nos pertes s'élevaient à 10 tués et 20 blessés, outre 60 chevaux tués ou morts de fatigue. »>

(1) Le colonel Saint-Arnaud, dans sa Correspondance, a apprécié comme il suit les manœuvres du maréchal dans cette campagne :

Oued-Isly, 27 décembre 1845.

Le maréchal court, avec Yusuf, après Abdel-Kader, qu'ils n'attrapent jamais et qui leur glisse dans les doigts. Moi, je suis là en observation pour l'assaillir s'il débouche dans une des quatre vallées que je garde.

Orléansville, 24 janvier 1846.

On juge mal à Paris ce qu'a fait le maréchal dans cette longue campagne, la plus fatigante qu'il ait jamais entreprise. Il n'y avait pas de bataille à livrer, puisque l'ennemi fuyait toujours. Il n'y avait qu'une chose à faire empêcher l'Emir de descendre dans les plaines, l'user en le réduisant à l'impuissance. Pour cela, il fallait se montrer partout, lutter d'activité, de persévérance, d'énergie. J'ai prêté ma colonne au maréchal. Eh bien! tout le monde regrette la vie d'Orléansville parce que l'on se battait. La fatigue était extrême, mais chaque jour avait son résultat.

Le maréchal manoeuvre et organise. Le pays est mauvais; l'on manque de tout et on a l'air de ne rien faire. Pour accepter un pareil rôle, il faut être grand et sûr de soi! Ce rôle aurait compromis des réputations moins solides. La chose la plus facile à la guerre, c'est la bataille, pour l'homme de guerre, s'entend. Mais manœuvrer contre un ennemi aux abois, qui se rattache à tout, mobile comme un oiseau, c'est plus difficile, et personne, en ce genre, n'aurait fait autant que le maréchal.

1846), le chassé-croisé, le va-et-vient de droite et de gauche des généraux et des colonels était incessant. Yusuf circulait de Tiaret à Teniet-el-Håd, Lamoricière du Tell à Tiaret, Marey à Boghar, d'Arbouville de Sétif à Médéah.

D'Orléansville, le maréchal-gouverneur s'était rendu sur le Nahr-Ouassel (1) (nom du Chélif dans son cours supérieur). N'y trouvant pas l'Émir, il s'y fit relever par Pélissier, qui venait de conduire un gros convoi à Tiaret et d'y remplacer Lamoricière passé à Mascara, et se rendit à Boghar.

Ce fut alors que l'Émir, par un prodige d'audace et de célérité, trouvant la ligne impénétrable à l'Ouest et au centre, essaya de la forcer à l'Est. Il reparut à l'improviste chez son beau-père Ben-Salem, sur le Sebaou et sur l'Isser, là où, depuis la rupture du traité de la Tafna, on ne l'avait point revu.

Le 5 février 1846, le général Gentil attaqua le camp de Ben-Salem qui venait de razzier nos tribus sur l'Isser. Quelle fut la surprise du maréchal quand il apprit, par des lettres trouvées sur les morts et le témoignage des prisonniers, la présence de l'Émir en personne, au camp de Ben-Salem pendant l'affaire du 5! A marches forcées, le maréchal joignit, dès le 9, le général Gentil. Bedeau le suivait de près. Ainsi, peu s'en était fallu que l'Émir ne rentrât dans la Mitidja, comme en 1840 après l'affaire des Portes de Fer! L'alerte fut grande à Alger laissée sans gar

(1) Nahr ouassel veut dire Fleuve naissant.

nison. Aussitôt le maréchal y mit sur pied la milice, par le télégraphe, dans des termes qui, en même temps, essayaient de rassurer les colons:

Dépêche télégraphique du gouverneur général.

Boghar, le 5 février 1846.

Exécutez mes ordres pour la milice et pour les condamnés. C'est en se préparant à l'avance qu'on évite le danger. Si, contre toute attente et malgré nos efforts, les circonstances devenaient pressantes, le sentiment général applaudirait à cette mesure de prudence. Il est possible qu'elle cause dans le premier moment une certaine émotion; dans peu de jours on y sera habitué, et l'on reconnaîtra qu'elle est de nature à prévenir et non à susciter des alarmes. Il n'y a réellement pas de danger bien sérieux, quant à présent, et nous comptons bien les éloigner pour l'Est comme nous l'avons fait pour l'Ouest; mais une sage prévision a dicté mon ordre.

L'ordre était donné en même temps, d'établir un camp à Bou-Farik. Yusuf, qui n'avait guère eu le loisir de prendre du repos, fut chargé, en outre, de former une colonne de protection éventuelle pour la Mitidja, tandis que le général Gentil fermait l'entrée principale de la plaine au col des Beni-Aïcha.

Quant à Abdel-Kader, trouvant son ennemi partout en éveil, il ne quittait pas, par prudence, les flancs du Djurjura.

Ce fut alors que, se trouvant, sans l'avoir cherché, si près de sa capitale, le maréchal y rentra après cinq mois d'absence, sans être attendu, le soir du 24 février, à la tête de la colonne d'Arbouville.

Son entrée, dans ce jour d'émotions, fut l'occasion des manifestations les plus touchantes. L'intrépide maréchal, avant de prendre un instant de repos, passa en revue les deux bataillons de la milice d'Alger qu'il trouva sur pied.

Cette campagne pénible a été décrite à grands traits d'une plume magistrale par le général Trochu, qui, en qualité d'aide de camp, n'avait point quitté le maréchal et avait partagé toutes ses fatigues. Nous ne saurions mieux faire que de citer in extenso ce récit remarquable, qui mentionne en termes émus les incidents de guerre et le triomphe improvisé au retour:

Cette campagne n'a pas été la plus féconde en périlleux et brillants combats, mais la plus étendue, la plus active et la plus efficace de toutes celles qui ont rempli et honoré son gouvernement de l'Algérie.

Dix-huit colonnes mobiles furent mises en mouvement. Celle que commandait le maréchal en personne ne comptait pas plus de 2,500 baïonnettes et 400 sabres. Des marches, des contre-marches, des fatigues écrasantes, des efforts inouïs furent imposés à toutes; mais pas une, à proprement parler, ne combattit sérieusement l'ennemi, qui, ne s'étant organisé nulle part, demeurait insaisissable, on pourrait dire invisible. La petite cavalerie du maréchal rencontra seulement à Temda celle d'Abdel-Kader, qui ne fit pas grande contenance et s'en alla de très bonne heure, paraissant obéir à un mot d'ordre de dispersion. Finalement, lorsque les dix-huit colonnes épuisées étaient au loin, en opération, celle du maréchal entre Médéah et Boghar, on apprit soudainement qu'AbdelKader, les tournant toutes avec 2,000 cavaliers du Sud, avait

T. III.

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pénétré par la vallée de l'Isser jusque chez les Khrachna dont il avait tué les chefs nos agents et pillé les tentes. Il était donc à l'entrée de la Mitidja, la plaine de la grande colonisation, défendue seulement par trois ou quatre douzaines de gendarmes dispersés, à douze lieues d'Alger qui n'avait pas de garnison, et où un bataillon de condamnés, outre la milice, dut être formé à la hâte et armé. L'alerte fut des plus vives; Alger ne courait là aucun risque, ni l'Algérie non plus, car la pointe audacieuse d'Abdel-Kader ne pouvait être qu'une incursion; mais les oreilles des colons de la Mitidja l'échappèrent belle!

La sérénité du maréchal dans cette redoutable crise, on pourrait dire sa gaieté, nous remplit d'étonnement et d'admiration. Ce calme profond d'un chef responsable sur qui la presse algérienne et métropolitaine s'apprêtait à déchaîner toutes ses colères, et aussi des veilles continuelles, des fatigues excessives pour son âge, furent, dans cette campagne ultra laborieuse de près d'une année, des faits qui mirent dans un nouveau relief la vaillante organisation morale et physique du gouverneur. Mais son rôle dans l'action ne différa et ne pouvait pas différer de celui des autres généraux lancés comme lui, avec de petits groupes, à la poursuite d'un ennemi qui n'avait pas de corps et se montrait partout inopinément, alors que les populations indigènes, d'ailleurs restées en intelligence avec lui, s'étaient généralement soumises et avaient repris leurs campements accoutumés.

La guerre se termina tout à coup, comme il arrive si souvent, par un hasard qui fut un coup de fortune inattendu. Les cavaliers d'Abdel-Kader étaient des gens du Désert, grands pillards, et qui, une fois gorgés de butin, n'avaient plus, selon leur coutume, qu'une préoccupation, celle de le remporter à leurs tentes, entreprise qni avait ses difficultés et ses périls. En ce moment, dix compagnies de jeunes soldats

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