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vouloir produire de nouvelles espèces; mais varier les espèces connues et produire ainsi des phénomènes extraordinaires et inouïs, est chose beaucoup plus aisée. On passe facilement des miracles de la nature aux miracles de l'art. Si l'on saisit une fois la nature dans une de ses variations, et si l'on en comprend bien la marche, on pourra, sans beaucoup de peine, conduire la nature par art où elle s'est engagée par aberration fortuite; et non-seulement en cette façon, mais en beaucoup d'autres; car une seule erreur montre et ouvre la voie à une foule d'erreurs et de déviations. Ici il n'est pas besoin de citer d'exemples, tant ils sont nombreux. Il faut faire un recueil et une histoire naturelle particulière de tous les monstres et enfantements prodigieux de la nature, en un mot, de toutes les nouveautés, raretés et bizarreries de la nature. Mais il faut faire ce recueil avec un choix scrupuleux, pour qu'il ait de l'autorité. On doit surtout se défier de tous les prodiges qui ont rapport à la religion, comme ceux que rapporte Tite-Live, et tout autant, de ceux qu'on trouve dans les livres de magie naturelle, d'alchimie et autres semblables; car ceux qui les font sont comme les amants des fables. On doit recueillir ces faits dans des histoires graves et dignes de foi, et dans des rapports authentiques.

30. Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en neuvième lieu les faits limitrophes ou de participation. Ce sont ceux qui présentent des espèces de corps telles, qu'elles semblent composées de deux espèces pour servir de transition de l'une à l'autre. Cet ordre de faits peut être justement compris parmi

les faits exceptionnels et hétéroclites; car, au milieu de l'universalité des choses, ils sont rares et extraordinaires. Mais cependant, à cause de leur importance, on doit en traiter et leur donner un rang à part; car ils montrent parfaitement la composition des choses et le travail de la nature, indiquent les causes du nombre et de la qualité des espèces ordinaires dans le monde, et conduisent l'esprit de ce qui est à ce qui peut être.

EXEMPLES: Les comètes, qui tiennent le milieu entre les étoiles et les météores; les poissons volants, le musc, la chauve-souris, etc.

31. Parmi les faits privilégiés, nous placerons en dixième lieu les faits de puissance ou de faisceaux (en empruntant ce nom aux insignes du pouvoir), que nous appelons aussi esprits ou mains de l'homme. Ce sont les ouvrages les plus nobles et les plus parfaits, et en quelque façon le couronnement de chacun des arts. Comme notre principal but est de faire servir la nature aux affaires et aux besoins de l'homme, rien de plus conséquent que de noter et de compter les conquêtes déjà acquises à l'empire de l'homme (comme autant de provinces occupées et soumises), surtout celles où l'esprit s'est le plus exercé et qui sont les plus parfaites; car c'est par elles que l'on peut le plus facilement passer à des conquêtes nouvelles. Un esprit qui a le ferme dessein, après les avoir étudiées, de pousser plus avant, arrivera indubitablement ou à les conduire plus loin encore, ou à les ramener à quelque théorie déterminée, ou à en tirer par application quelque usage plus relevé.

Mais ce n'est pas tout; de même que par les ou

vrages rares et extraordinaires de la nature, l'esprit est excité et engagé à la recherche et à la découverte des formes sous lesquelles ces merveilles doivent être comprises, pareil office est accompli par la vue des œuvres de l'art les plus ingénieuses et remarquables; et certes avec plus d'efficacité, en ce que le mode d'opération dans les merveilles de l'art est le plus souvent connu et facile à saisir, tandis que le plus souvent, dans les merveilles de la nature, il est fort obscur. Il faut cependant prendre garde ici, plus que partout ailleurs, que de tels faits n'abattent l'intelligence et ne la terrassent en quelque façon.

Car il est à craindre que devant ces merveilles de l'art, qui semblent comme le faîte et le dernier mot de l'industrie humaine, l'esprit ne se trouve étonnẻ et comme lié et fasciné, de telle sorte qu'il ne puisse plus rien concevoir hors d'elles, et pense qu'on ne peut rien faire de grand que par les moyens qui les ont produites, employées seulement avec plus de soin et des artifices plus consommés,

On doit, au contraire, tenir pour certain que les modes d'opération et de production découverts et connus jusqu'à ce jour, sont pour la plupart trèspauvres, et que toute véritable puissance dépend et doit être dérivée, comme de sa source, des formes, dont aucune n'a encore été découverte.

C'est pourquoi, comme nous l'avons dit ailleurs, celui qui réfléchirait aux machines et aux béliers des anciens, avec quelque application que ce fût, y employât-il même toute sa vie, n'arriverait jamais à la découverte des canons et des effets de la poudre. Tout

comme celui dont toutes les réflexions se porteraient sur les laines et les fils végétaux, ne viendrait jamais à songer au ver à soie et à son travail.

C'est pourquoi, si l'on veut y faire attention, on remarquera que toutes les grandes découvertes ont dû le jour, non aux combinaisons de l'esprit et aux développements de l'art, mais entièrement au hasard, dont la coutume est de n'opérer qu'après des siècles. Mais rien ne tient lieu du hasard et ne le prévient, si ce n'est la découverte des formes.

Il est inutile de donner des exemples particuliers de ces sortes de faits, tant ils sont nombreux. Car il faut entreprendre la grande tâche d'interroger et d'examiner à fond tous les arts mécaniques, et même les arts libéraux, dans leurs opérations, et de faire un recueil et une histoire particulière de tout ce qu'ils contiennent de plus relevé, et des œuvres capitales avec les modes de production et d'opération.

Cependant nous ne faisons point une loi de s'astreindre dans ces recherches aux oeuvres qui paraissent être le chef-d'œuvre à la fois et le secret de l'art, et qui ont le privilége d'exciter l'admiration. L'admiration est fille de l'extraordinaire; car tout ce qui est extraordinaire, quoiqu'au fond de nature vulgaire, produit l'admiration.

Tandis qu'au contraire, les choses qui méritent une véritable admiration, parce qu'elles constituent une espèce entièrement distincte de toutes les autres, pour peu qu'elles soient familières à l'homme, sont à peine remarquées. Mais on doit noter les faits exceptionnels de l'art, tout autant que les faits exceptionnels de la

nature, dont nous avons déjà parlé. Et de même que, parmi les faits exceptionnels de la nature, nous avons mis le soleil, la lune, l'aimant, et choses semblables, qui toutes vulgaires qu'elles sont, n'en ont pas moins une nature spéciale, ainsi doit-on faire pour les œeuvres exceptionnelles de l'art.

Parmi les œuvres de l'art, on doit préférer celles qui se rapprochent le plus de l'imitation de la nature, ou, au contraire, qui la dominent et la changent le plus.

Fait exceptionnel dans les œuvres de l'art : le papier. Parmi les opérations de l'esprit et de la main de l'homme, les prestiges et les jeux méritent d'être étudiés. Enfin, parmi les faits qui tiennent de la magie et du sortilége, au milieu des fables, il y a des observations curieuses et certaines à recueillir.

32. De ce que nous avons dit, il résulte que les cinq espèces de faits dont nous avons parlé en dernier lieu, faits analogues, faits exceptionnnels, faits de déviation, faits de limitation et faits de puissance, ne doivent pas être ajournées jusqu'à la recherche de quelque nature déterminée (comme doivent l'être les autres faits que nous avons exposés en premier lieu, et plusieurs de ceux qui viendront ensuite), mais que l'on doit dès le commencement en faire un recueil et comme une certaine histoire particulière, parce qu'ils ne laissent entrer dans l'intelligence que des connaissances de choix, et redressent le mauvais tempérament de l'esprit, qui doit nécessairement être affecté, attaqué et corrompu par le cours habituel et ordinaire des choses.

On doit donc voir dans ces faits une sorte de pré

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