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nous met en présence de complications plus graves, plus dangereuses qu'aucune de celles dont nous avions triomphé.

Au milieu d'une séance remplie par un débat insignifiant, entre le général Cavaignac et le général Changarnier à propos d'articles de journaux, débat dans lequel les susceptibilités et les amours-propres de ces deux généraux avaient été mis en jeu, M. Ledru-Rollin monte à la tribune pour annoncer à l'Assemblée et à la France ce qu'il appelait emphatiquement la bonne nouvelle; il désignait ainsi la fuite du Pape de Rome et sa retraite à Gaëte après l'assassinat de son ministre Rossi, le meurtre de quelques-uns de ses fidèles serviteurs et un siége de plusieurs jours soutenu dans le palais du Vatican; le tout suivi de la proclamation d'une République romaine qui, pour premier acte, avait dégradé le chef de la catholicité de tout pouvoir temporel et déclaré fièrement la guerre à l'Autriche. Le gouvernement révolutionnaire de la Toscane s'était réuni à ce nouveau gouvernement, mais le Piémont s'était refusé à le reconnaître. L'orateur s'étonnait que nous ne l'eussions pas devancé dans l'annonce de ces glorieux événements; il soupçonnait que le gouvernement, loin de se féliciter de cette révolution, se préparait à l'étouffer, non par une intervention directe, qu'il n'oserait pas se permettre, mais par l'intervention indirecte du Piémont : « Cette intervention « jésuitique et qui n'ose pas s'avouer, ajoutait-il, est <«< convenue avec l'Angleterre, qui l'appuierait par la « présence de ses flottes à Gênes. » Il nous sommait, aux applaudissements frénétiques de la Montagne, de déclarer si ces faits étaient vrais, et si une intervention détournée et jésuitique était sur le point de déshonorer le gouvernement français.

Tel fut le commencement de ce débat qui, après avoir si profondément agité les derniers jours de la

République, devait se prolonger jusque sous l'Empire, et l'ébranler pour la seconde fois.

Rappelons sommairement les circonstances qui avaient amené cet événement.

Les troubles de Rome avaient des causes plus anciennes, plus profondes que celles qui avaient agité le nord de l'Italie; elles ne tenaient pas à l'oppression accidentelle de l'étranger, comme à Turin, Milan, Venise, mais aux incompatibilités que le temps et les progrès de la civilisation avaient établies entre la population des États romains et le gouvernement clérical.

Au moyen âge, les peuples non-seulement ne repoussaient pas le gouvernement des prêtres, mais ils le recherchaient. Dans cette société encore à demi barbare, le titre de clerc, ou prêtre, signifiait sagesse, science, moralité. Aussi, le pouvoir du clergé était-il partout invoqué comme la seule protection qui existât alors contre les abus de la force. Être gouverné par un évêque était non-seulement un bonheur, mais un privilége; on recherchait l'administration du clergé, comme on avait recours de préférence à la procédure et à la juridiction ecclésiastique, parce qu'elle était plus humaine et plus raisonnable que celle de la féodalité. Mais il est advenu de ces gouvernements ecclésiastiques ce qu'il adviendra toujours de tous les gouvernements théocratiques; le cours de la civilisation a marché pour les institutions laïques et les a successivement dégagées de la rouille de la barbarie qui les recouvrait, tandis que l'administration et la juridiction ecclésiastiques sont restées immuables comme le dogme avec lequel elles se confondaient. Il est arrivé un jour, et cela était inévitable, où les gouvernements des prêtres et des clercs ont cessé d'être une protection contre les abus d'un régime qui n'existait plus; conservant, d'un autre côté, leur esprit tracassier et inquisitorial, leurs puériles susceptibilités et

leur faiblesse, ils se trouvèrent de beaucoup inférieurs, sous tous les rapports politiques et sociaux, aux gouvernements laïques. Les conséquences de ce fait ne pouvaient manquer de se produire; les gouvernements cléricaux disparurent successivement, les uns par les vicissitudes de la guerre et par les traités qui se concluent ordinairement aux dépens du plus faible, les autres par des révolutions intérieures. Un seul restait debout au commencement de ce siècle, celui du Pape. C'est qu'aussi cette institution de la papauté, comme puissance temporelle, avait sa raison d'exister et de durer dans une cause bien autrement générale et permanente que dans le besoin des peuples d'être protégés contre des jours passagers d'ignorance et de barbarie; sans remonter à la fameuse donation de Charlemagne, ni discuter les libéralités de la princesse Mathilde ou la légitimité des conquêtes des Borgia, la domination temporelle des papes sur les États romains dans nos temps modernes puisait sa force et son droit dans cette conviction universelle, qui ne rencontrait guère alors de contradiction en Europe, que l'unité du catholicisme est invinciblement liée à l'indépendance du chef de l'Église romaine comme souverain temporel. Les gouvernements voyaient, en outre, dans l'indépendance des papes une garantie de l'équilibre qu'ils étaient intéressés à maintenir entre eux, équilibre qui eût été rompu le jour où le pape eût été le subordonné de l'un d'eux. En outre, les clergés de chaque grand État catholique de l'Europe trouvaient au besoin dans la papauté un point d'appui contre les entreprises de leurs gouvernements respectifs; les peuples eux-mêmes avaient un grand intérêt à cette indépendance de la papauté, car elle leur assurait chez eux la séparation des deux pouvoirs spirituel et temporel, ce grand bienfait du christianisme, ce gage précieux de progrès et de liberté.

C'est ce qui explique comment ce pouvoir temporel et souverain des papes s'est maintenu intact au milieu de ses luttes contre l'Empire, de ses guerres contre les différents États de l'Italie, de ses scandales et de ses schismes, tantôt foulé aux pieds, tantôt se redressant et dominant ses ennemis, et a pu arriver ainsi jusqu'à nous, modifié, affaibli, sans doute, mais encore assez puissant pour que nul n'ose y toucher sans craindre d'ébranler le monde. Toutefois, ce gouvernement papal qui, naguère, pouvait se dire la plus vieille et la plus solide monarchie de la terre a subi, à son tour, la loi du temps; déjà amoindri, mutilé, par sa grande lutte contre la réforme, nos révolutions de France ont achevé de le miner.

La première de ces révolutions, celle de 1789, après avoir chassé le pape de Rome, finit par en faire le prisonnier du premier Napoléon; la seconde révolution, celle de 1830, après avoir provoqué le soulèvement des Romagnes, enfonça les portes d'Ancône, prit possession de cette ville, et fit de la réforme du gouvernement temporel du pape une question européenne.

La dernière, celle de 1848, s'annonçait d'abord sous des auspices plus favorables à la papauté; Pie IX, qui occupait alors le trône pontifical, soit qu'il fût entraîné par ce courant général des idées qui, à ce moment, portaient les gouvernements comme les peuples vers des institutions libres, soit qu'il sentit que, pour ne pas être emporté par le mouvement, il fallait en prendre la direction, entra résolûment et avec éclat dans la voie des réformes; il se prononça même contre la domination autrichienne et l'on vit, comme au temps des Guelfes et des Gibelins, les troupes du Saint-Père combattre les barbares étrangers aux cris de: «< Vive l'indépendance de l'Italie ! » Aussi, jamais popularité ne fut-elle plus grande à ce moment que celle de Pie IX, non-seulement en Italie, mais dans le

monde entier; popularité, hélas! bien éphémère. Les événements devaient reprendre bientôt leur cours naturel et forcé.

On sait comment le roi de Piémont Charles-Albert, après avoir chassé les Autrichiens de la Lombardie jusques et par de là les rives du Mincio, avait été repoussé à son tour, et s'était vu obligé de rentrer dans les anciennes limites de son royaume, sous la protection d'un armistice et de la médiation anglo-française; le Pape, effrayé des excès du parti révolutionnaire en Italie, des menaces d'un schisme en Autriche, et peutêtre aussi mécontent des procédés et des vues ambitieuses du Piémont, n'avait pas attendu cette défaite. de l'armée piémontaise pour se rétracter, et dans sa fameuse Encyclique du 29 avril 1848 il avait déclaré que, comme père commun des fidèles, ministre de paix et de conciliation, il ne pouvait ni ne devait prendre aucune part dans la guerre engagée entre le Piémont et l'Autriche. Ce revirement politique, suivi bientôt du rappel par le roi de Naples de ses troupes et de la retraite du grand-duc de Toscane en Autriche, laissèrent les passions révolutionnaires sans guide et sans frein dans toute l'Italie. Ces passions s'exaspérèrent par l'humiliation de la défaite et par le désespoir d'une nationalité entrevue et perdue; elles firent explosion à Rome par des insurrections et des violences qui forcèrent le Pape à fuir et à chercher un asile dans les États du roi de Naples.

Telle est la série d'événements qui nous plaçaient, à notre tour, en face du grand et redoutable problème de la conciliation à trouver entre le pouvoir temporel des papes et les besoins de la civilisation moderne. Prendrions-nous parti pour la révolution contre ce pouvoir ou pour ce pouvoir contre la révolution? l'une et l'autre solutions étaient pleines de dangers.

Il faut le dire, les dispositions de l'opinion publique

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