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circonstances! Le débat se trouvait, par là, réduit à de bien misérables proportions.

Le général Cavaignac se contente d'opposer à cet étrange reproche d'ingratitude ces paroles dédaigneuses: « Je laisse au pays à apprécier ce que j'ai pu devoir à M. Garnier-Pagès! » Paroles suivies de l'approbation à peu près générale de l'Assemblée : Un grand et légitime orgueil venait d'écraser une sotte et puérile vanité1!

M. Dupont (de l'Eure) proposa l'ordre du jour sui

vant:

« L'Assemblée, persistant dans le décret du 28 juin 1848 ainsi conçu: Le général Cavaignac a bien mérité de la patrie, passe à l'ordre du jour, » et cette proposition est accueillie par l'énorme majorité de 504 voix

contre 34.

Le triomphe du général était complet et éclatant. Il avait, sans doute, ressenti cette noble ambition des grandes âmes pour lesquelles le pouvoir reçoit du

1. M. Landrin vient confirmer que, lorsqu'il est allé trouver le général pour savoir s'il accepterait le pouvoir, celui-ci avait fait la condition que la commission serait prévenue de cette démarche, et qu'elle l'avait été en effet; qu'il n'y avait là de complot d'aucun côté, que la commission au bout de deux mois était usée, qu'elle avait perdu la confiance du pays, que ses amis et lui, bien qu'ils eussent contribué à la former, durent reconnaître qu'un pouvoir aussi peu homogène ne pouvait subsister plus longtemps; qu'ils durent agir en conséquence de cette conviction.

M. Ledru-Rollin eut le triste courage de prolonger ce débat: Où étaient, dit-il, ces 20,000 hommes que le général Cavaignac avait concentrés sous sa main? on ne les a vus nulle part le 22 juin.

Le général Bedeau lui répond que, lorsqu'en exécution du plan d'avance concerté entre les généraux Cavaignac, Lamoricière et lui, il se rendit à l'Hôtel de Ville, il y trouva neuf bataillons, le 10° bataillon ayant été intercepté par les barricades du pont d'Austerlitz : qu'il eut immédiatement ces forces à sa disposition, que le but principal c'était de couvrir l'Assemblée, la tête et le cœur de la République (que n'avait-il eu la même pensée au 24 février). Le général Cavaignac ajoute que concentration ne signifie pas réunion matérielle dans

danger même un nouvel attrait, mais il n'y avait rien dans ce sentiment qui pût ternir son honneur.

Ces attaques, venant toutes du même côté, devaient naturellement porter le général à se rapprocher de plus en plus du parti conservateur, et déjà, par l'intermédiaire du général de Lamoricière, quelques démarches avaient été faites pour donner à ce rapprochement une sorte de consécration parlementaire ; il avait été convenu que le général, à un jour donné, monterait à la tribune et y ferait un appel solennel au concours des opinions libérales et modérées de l'Assemblée. Je devais répondre à cet appel et promettre le concours demandé. Les rôles étaient ainsi d'avance bien tracés.

Au jour convenu, le général monte, en effet, à la tribune, l'attention et la curiosité générales étaient excitées au plus haut degré ; j'étais prêt à remplir loyalement l'engagement que j'avais pris, lorsqu'à notre grande surprise, le général, au lieu de cet appel net et catégorique qu'il devait nous adresser, s'embarrasse dans une déclamation passionnée, disant qu'il

un même lieu, mais troupes tenues disponibles dans des lieux divers et obéissant à un même ordre que c'est ce qui avait eu lieu les 22 ou 23 juin où les troupes étaient massées à la porte Saint-Denis, à l'Hôtel de Ville, au faubourg Saint-Jacques prêtes à agir. A ce moment, le général est interrompu par la Montagne, qui lui lance le reproche aussi injuste que brutal d'avoir tout sacrifié à sa candidature. Il se retourne vers les bancs de la gauche, d'où partent ces reproches, et, animé d'une vive indignation, il leur jette cette sanglante apostrophe: « Adressez-moi des injures; et croyez-moi, si je cherchais à me faire des titres comme candidat, je préférerais vos injures à vos éloges ! Vous croyez servir la République, je crois la servir aussi qui de nous l'aura le mieux servie, le pays en jugera ; et vous, monsieur Ledru-Rollin, vous dites que vous Vous êtes retiré de moi, assurément cette séparation existe, et je ne prévois guère qu'elle puisse jamais cesser. » Toute la partie modérée de l'Assemblée, qui voyait avec bonheur se consommer sous ses yeux et d'une manière irréparable cette séparation qu'elle avait si ardemment désirée, accueillait ces paroles avec des applaudissements frénétiques.

accueillerait ceux qui seraient disposés à mourir avec lui pour la République.

Je n'avais rien à répondre à une telle provocation; aussi, après avoir échangé des regards étonnés avec mes voisins, je restai silencieux sur mon banc. Ainsi avorta cette scène parlementaire, préparée avec tant de soin par les amis du général et dont ils attendaient un heureux effet sur l'opinion.

Le général de Lamoricière, qui avait été le principal agent de ce rapprochement dont il avait calculé l'effet probable sur l'élection prochaine du président, nous disait tristement en passant devant notre banc : « Cavaignac n'a pas dit ce qu'il voulait dire, la langue lui a fourche.» N'y avait-il pas plutôt dans l'esprit du général un reste d'hésitation qui, au moment de franchir ce grand pas et de rompre tout à fait avec ses anciens amis, troubla sa pensée et altéra, comme malgré lui, son langage?

Pendant que les républicains se divisaient et se subdivisaient ainsi en une foule de fractions hostiles, républicains de la veille et du lendemain, républicains politiques et socialistes, jacobins et modérés, etc., etc., donnant au public le triste et scandaleux spectacle de leurs luttes acharnées d'amour-propre ou d'ambition; pendant que, d'un autre côté, les tentatives de former au sein de l'Assemblée un grand parti compacte des opinions libérales, parti dont le général Cavaignac aurait été le chef et la personnification hautement avouée, avortaient si malheureusement, le parti bonapartiste tenait une conduite toute contraire : il adoptait un candidat unique, sur lequel il concentrait toutes ses influences. Le dernier frère de Napoléon, l'ancien roi de Westphalie, vivait toujours; lui et son fils se trouvaient même à Paris lors de la révolution du 24 février; ils y étaient venus avec l'autorisation de Louis-Philippe, sous le prétexte de quelques affaires

d'intérêt qui les y appelaient, et leur séjour s'y était prolongé par suite d'une tolérance tacite; ils avaient donc sur leur cousin Louis-Napoléon une sorte de droit de priorité et de prépossession. Ils s'effacèrent cependant l'un et l'autre devant lui: soit que le vieux roi se fit un scrupule, après avoir porté une couronne, de devenir président d'une république, c'est là du moins le motif qu'il me donna de son abstention; soit, ce qui doit être plus vrai, que le sénatus-consulte de l'an X qui appelait à succéder à la couronne impériale dans la ligne collatérale Louis-Napoléon, par droit de représentation de son père, l'ancien roi de Hollande, fût considéré comme faisant loi pour la famille; ce qui est certain, c'est que toute compétition bonapartiste s'évanouit devant l'espèce de légitimité impériale de Louis-Napoléon et qu'il fut proclamé candidat à la présidence de la République par tout le parti, au même titre et du même droit qu'il aurait été appelé à succéder à l'Empire: circonstance, il faut l'avouer, fort peu rassurante pour la République !

Ceux des républicains qui, en admettant Louis-Napoléon comme représentant, avaient espéré qu'une fois assis sur le banc de l'Assemblée, ils auraient tous les jours l'occasion de l'interpeller, de l'attaquer et de l'amoindrir, furent déjoués dans leur calcul. LouisNapoléon n'assistait, en effet, que bien rarement aux séances et lorsque, par accident, il s'y élevait quelque débat à son sujet, ses cousins se chargeaient de parler pour lui. Il savait bien que ce n'était pas là qu'était sa force; ses chances étaient ailleurs, et il n'en négligea

aucune.

En effet, de nombreux agents parcouraient pour lui les villes et les campagnes, répandant partout les promesses les plus extravagantes; quatre ou cinq journaux créés tout à coup, et sous des titres qui rappelaient l'ancien Empire, se mirent à entonner des

hymnes à la gloire de Napoléon; des almanachs napoléoniens furent répandus à profusion parmi les populations; ces menées trouvaient en tous lieux quelques vieux militaires du premier Empire pour les appuyer et quelques commis-voyageurs du commerce pour les propager. Elles étaient, d'ailleurs, singulièrement favorisées par la disposition générale des esprits. La cause bonapartiste, ainsi que nous l'avons déjà dit, avait pour auxiliaires ardents tous ceux qui repoussaient la République, soit par haine de l'anarchie, soit par attachement à leurs intérêts si gravement compromis depuis le 24 février, soit par répulsion contre les hommes que la Révolution avait fait surgir. Elle trouvait aussi un puissant appui dans les ressentiments ou les rivalités qui divisaient les républicains euxmêmes; elle était forte, en outre, des souvenirs du premier Empire, souvenirs qui, grâce au crible du temps, avaient perdu tout l'odieux dont un despotisme militaire violent et les humiliations douloureuses d'une double invasion les avaient autrefois mélangés pour ne garder que des impressions de grandeur et de gloire, qui, passées à l'état de légende chez le peuple, étaient devenues pour lui une sorte de culte traditionnel.

La cause bonapartiste était aussi grandement favorisée par les démagogues, qui voyaient dans l'avènement d'un Bonaparte le triomphe de l'égalité révolutionnaire. Je me rappelle que, lors d'un voyage que je dus faire dans le département de l'Aisne, comme président du conseil général de ce département, au moment de la plus grande chaleur de la lutte électorale, des groupes d'enfants et d'hommes du peuple entourèrent ma voiture en criant, comme s'ils eussent voulu m'adresser une menace ou un défi : Vive Napoléon ! C'est que, pour eux, le gouvernement d'un Bonaparte, c'était le gouvernement des hommes du peuple; tan

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