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dis que toutes les autres dynasties représentaient à leurs yeux le gouvernement des bourgeois et des riches.

Ainsi, les sentiments les plus contraires se réunissaient en faveur de la candidature de Louis-Napoléon; pour les uns, son nom signifiait ordre, sécurité et même monarchie; pour les autres, ce même nom signifiait triomphe du peuple sur les riches, égalité absolue, révolution. Avec le concours de telles forces, cette candidature ne pouvait qu'obtenir une écrasante majorité.

Le général Cavaignac et ses ministres pouvaient seuls se faire illusion à cet égard : ils comptaient sur le souvenir des services éclatants que le général venait de rendre au pays, mais les peuples oublient vite. Quant à cet instrument de la centralisation administrative sur lequel ils fondaient aussi leurs espérances, ils auraient dû savoir que si la centralisation profite aux gouvernements qui ont de l'avenir, elle ne profite guère à ceux qui ne sont pas sûrs de leur lendemain.

Enfin, la protection accordée avec éclat par le général au Saint-Père, l'hospitalité qu'on lui offrait, l'influence que sa présence exercerait, en France, sur le clergé et sur le monde catholique, étaient pour beaucoup aussi dans les espérances qu'entretenaient encore le général et ses amis. Mais le Pape, au dernier moment, trompa cet espoir; au lieu de venir chercher un refuge en France, il préféra aller demander un asile au roi de Naples, et le ministre de l'instruction publique, que le général Cavaignac avait envoyé d'avance à Marseille pour y recevoir le Saint-Père avec grand appareil, s'en revint à Paris seul et un peu décontenancé.

Un fâcheux incident vint aggraver encore ce désappointement et cela fort inopportunément, car on était

à la veille de l'élection et tous les coups portaient. Voici les particularités de cet incident.

Chaque révolution, en France, a ses martyrs à glorifier, ses blessés à relever et à indemniser. La légitimité, en 1814, avait eu ses émigrés à dédommager; la révolution de 4830, ses combattants de Juillet à récompenser; il était done inévitable que la révolution du 24 Février eut aussi à honorer et rémunérer ceux qui avaient combattu ou souffert pour la république. Cela paraissait si naturel que l'opinion générale avait, à cet égard, devancé le pouvoir législatif: une souscription ouverte par de riches banquiers dès les premiers jours de la révolution au profit des blessés des journées de Février avait produit une somme assez importante (près de 2,000,000 de fr.). Lors done que M. Sénard, alors ministre de l'intérieur, présenta un projet de loi pour régulariser l'emploi de cette souscription et y ajouter, au nom de l'État, une somme de 600,000 francs en rentes viagères, plus un million en capital, le tout à distribuer, à titre de récompense nationale, parmi ceux qui avaient souffert pour la cause de la République ; le principe de ce projet de loi ne fut contesté par personne.

Toutefois, la commission chargée de l'examen de ce projet voulut, avant de faire son rapport, connaître les noms et la position de chacun des prenant part à ces récompenses dites nationales, et, en conséquence, elle demanda communication des listes. Or, ces listes avaient été dressées par une commission que le gouvernement provisoire avait désignée quelques jours après la révolution du 24.Février, c'est-à-dire en pleine effervescence révolutionnaire et démagogique. On se fera une juste idée de la composition et de l'esprit de cette commission lorsqu'on saura le nom de son président: c'était le fameux Albert. Le travail de distribution et les propositions qu'elle fit ne pouvaient que

se ressentir d'une telle origine, et c'est avec une sorte de stupéfaction pour les uns, de secrète satisfaction. pour les autres, que les commissaires de l'Assemblée virent parmi les personnes proposées pour des récompenses nationales des individus qui avaient été condamnés à des peines infamantes, pour des vols, des faux, et même des assassinats; le rédacteur de ces listes avait eu l'inconcevable naïveté de mettre à côté des noms de ces individus leurs qualifications et les causes mêmes de leurs condamnations. M. Dufaure était ministre de l'intérieur, lorsque la commission avait insisté pour avoir communication de ces listes, et c'était lui qui, après les avoir reçues de l'Hôtel de Ville, les avait envoyées, sans même en prendre connaissance, au bureau de l'Assemblée.

La Montagne, qui attachait une grande importance à ce que la loi sur les récompenses nationales vînt à discussion et fût votée, importance tout à la fois politique et pécuniaire, ne cessait d'interpeller le gouvernement et la commission pour faire mettre cette loi à l'ordre du jour.

Mais aussitôt que les listes furent dans les mains de la commission et que la rumeur de ce qu'elles contenaient se fut répandue, on vit accourir au bureau où siégeait cette commission une foule de députés empressés à prendre communication de ces listes. La presse s'en saisit immédiatement et le scandale éclata.

Ce fut alors le tour des centres de presser le débat. M. de La Rochejaquelein en prit l'initiative et dénonça le fait à la tribune: l'indignation de l'Assemblée se manifesta aussitôt avec une énergie telle, que M. Dufaure retira instantanément le projet de loi.

Mais la discussion fut reprise le lendemain par M. Sénard, qui ne voulait pas accepter la responsabilité des immoralités de ce projet. Il lui fut facile de s'en dégager complétement en prouvant que les listes ne

lui avaient pas été remises et qu'il ignorait absolument ce qu'elles renfermaient lorsqu'il avait présenté le projet de loi. M. Dufaure, à son tour, expliqua qu'il s'était borné, sur les instances de la commission parlementaire, à demander les listes restées entre les mains de la commission des récompenses et qu'aussitôt qu'il les avait reçues il s'était empressé de les transmettre à l'Assemblée sans même en prendre connaissance Le général Cavaignac repoussa également, aux applaudissements de toute l'Assemblée, une si ignoble solidarité.

Quant à la Montagne, elle éprouvait quelque confusion; toutefois, M. Guinard, le dernier président de la commission des récompenses, essaya de faire tête à l'orage. Il monta à la tribune, d'abord pour se plaindre amèrement de l'indiscrétion qui avait fait connaître ces listes à l'Assemblée et de l'indiscrétion non moins grande avec laquelle on les avait ensuite livrées à la publicité. C'était là, disait-il, une vraie trahison, une manœuvre du parti réactionnaire contre la République; ces listes, du reste, n'étaient, d'après lui, que des feuilles informes sur lesquelles on avait copié les écrous comprenant indistinctement les sentences pour délits communs et les condamnations politiques, et par cela même énonçant des faits autres que ceux qui avaient motivé les propositions de la commission. A quoi M. Baroche, en sa qualité de président de la commission parlementaire, répondait que les listes étaient contresignées par le secrétaire de la commission des récompenses, le sieur Rouen; qu'elles étaient done régulières et authentiques; que c'était avec ce caractère qu'elles avaient été officiellement transmises à la commission de l'Assemblée; que si, conformément aux usages reçus, plusieurs représentants, dont quelquesuns appartenant à la presse périodique, avaient demandé communication de ce document et en avaient

pris des extraits qu'ils avaient livrés ensuite à la publicité des journaux, la commission n'avait eu ni le droit ni le pouvoir de les empêcher; qu'il n'était pas vrai que tout ce scandale vint de ce qu'on avait copié sur les listes des écrous indiquant conjointement les condamnations pour crimes communs et celles pour crimes politiques; que, par exemple, les héritiers de Fieschi, la sœur de Lecomte, figuraient sur ces listes, quoique leurs noms n'eussent été impliqués dans aucune poursuite pour crime commun; que c'était donc bien volontairement et avec discernement que ces personnes avaient été désignées pour participer à des récompenses nationales auxquelles elles n'avaient d'autres titres que ceux qu'elles tiraient d'assassinats, odieux dans tous les temps et pour tous les partis!

La discussion s'envenimait de plus en plus; l'extrême gauche récriminait avec fureur, affectant de prendre le change sur le véritable caractère des reproches adressés à ses amis; elle évoquait le souvenir du milliard des émigrés. Il échappa même à M. Guinard de rappeler qu'il avait été prisonnier de M. Thiers. Vous vous trompez, lui répondit celui-ci de son bane, aux applaudissements de toute l'Assemblée, vous n'avez jamais été mon prisonnier, mais celui de la loi. Un énergumène de la Montagne demanda une enquête déclarant, de sa propre autorité, infâme celui qui avait livré la liste aux journalistes; enfin, l'ordre du jour pur et simple fut voté.

Le seul reproche qu'on pouvait, en toute justice, adresser au gouvernement du général Cavaignac à propos de cet incident, était un peu de négligence; mais la haine et l'esprit de parti ne se satisfont pas de si peu le lendemain paraissait dans le journal la Presse une liste des voleurs ou assassins proposés pour des récompenses nationales, avec cet intitulé imprimé en lettres majuscules: Pensionnaires du Général Cavaignac.

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