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DE

ODILON BARROT

ÉLECTION DE LOUIS-NAPOLÉON

A LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

C'est dans ces conditions qu'allait se faire, en France, un nouvel essai de république; cet essai devait infailliblement avorter. Il y a des maladies organiques dont on peut retarder le funeste dénouement à force de soins et de bon régime; mais pour la République de 1848, il n'en a pas été ainsi. Aux vices de son organisation sont venues se joindre les imprudences et les inconséquences de conduite. Le dénouement ne pouvait être que fatal.

Nous avons déjà vu comment, après avoir, par une manie insensée d'unité et d'uniformité, concentré tous les pouvoirs dans les mains d'un seul homme, on avait commis la faute énorme de faire de cet homme, au moyen de l'élection directe par le suffrage universel, la personnification des passions de tout un

peuple; comment, en plaçant en face du président une Assemblée unique, on avait organisé un duel dont l'issue ne pouvait être que la mort de l'un des deux combattants et il était facile de prévoir lequel des deux devait succomber. Nous avons aussi fait ressortir comment cette faute s'était aggravée de toutes les tentatives d'ostracisme dirigées contre le candidat redouté, tentatives faites sans ensemble, sans intelligence, sans résolution, et qui ne pouvaient que grandir et fortifier celui contre lequel elles étaient dirigées; nous avons vu, enfin, avec quel étrange aveuglement, Gouvernement et Assemblée, par leur empressement à voter la Constitution et à avancer le jour de l'élection présidentielle, se précipitaient à l'envi au-devant du coup qui devait les frapper: comme s'ils eussent été, eux aussi, impatients d'en finir.

La suite de ce récit n'est que la continuation et l'aggravation de ces fautes. Il semble même que l'aveuglement redouble à mesure que la crise suprême approche, et c'est bien aux hommes d'État de la République qu'on peut appliquer ce vers si souvent cité : « Quos vult perdere Jupiter dementat. »

On ne peut cependant pas dire que le général Cavaignac ait succombé sans lutter; il ne négligea aucun des avantages qu'il pouvait tirer de la possession du pouvoir et de l'action dévouée du monde officiel. Il aurait pu, peut-être, s'en servir avec plus d'habileté; mais on ne peut pas lui reprocher de n'en avoir pas usé.

Ainsi, M. Dufaure, dans une circulaire adressée à tous les préfets, tout en leur recommandant de respecter et de faire respecter la liberté du suffrage, posait ainsi la candidature du général Cavaignac. « La nation, disait-il, devait, dans son choix, se confier à un passé sans reproche, à un patriotisme incontesté, à une ré

solution mâle, énergique, déjà éprouvée au service de la République, plutôt qu'à de vaines et trompeuses pro

messes, etc. »

De plus, répondant à une lettre du président du tribunal de commerce de Paris, le même ministre énumérait tous les droits que le général Cavaignac avait, selon lui, d'être préféré à son concurrent. La demande et la réponse avaient été insérées dans le Moniteur et publiées dans toute la France.

C'était là assurément une intervention bien modérée et très-légitime du Gouvernement, dans une élection qui importait tant au salut de la République. Hé bien, elle ne trouva grâce, ni auprès des démagogues qui s'étaient montrés, on le sait, si scrupuleux dans leurs circulaires et dans leurs fameux bulletins de la République, ni auprès des bonapartistes, qui devaient bientôt faire de l'intervention du Gouvernement en matière d'élection tout un système politique.

M. Joly, au nom des premiers, M. Jules Favre, comme organe des derniers, portèrent successivement leurs interpellations à la tribune.

L'agitation était grande dans cette société dont les destinées allaient se décider par un seul scrutin. Les clubs étaient en permanence, les discours les plus violents s'y tenaient. M. Ledru-Rollin ne craignait pas d'y faire appel aux armes. Un officier de l'étatmajor de l'armée ayant assisté à un de ces clubs, le ministre de la guerre, le général Lamoricière, l'avait envoyé à titre de punition dans un bataillon de dépôt. Ce fut là l'occasion des interpellations de M. Joly; il se plaignit des rigueurs du pouvoir contre les démocrates et de l'indulgence qu'on accordait aux agitations bonapartistes. Il dénonçait des rassemblements qui avaient lieu tous les jours à la place Vendôme devant le logement de LouisNapoléon, rassemblements d'où s'échappaient les

cris de Vive Napoléon, à bas Cavaignac! Il s'étonnait qu'on ne les eut pas encore réprimés. Le général de Lamoricière répondit que, « tant qu'il aurait le commandement de l'armée, il ne permettrait pas aux officiers de fréquenter des clubs. » M. Dufaure ajouta que, si les rassemblements de la place Vendôme prenaient un caractère séditieux, qu'ils n'avaient pas encore, il saurait appliquer les lois existantes, et que si ces lois ne suffisaient pas, il en demanderait de nouvelles. Quant aux clubs, il déplora leur violence et se plaignit particulièrement d'un discours qui provoquait ouvertement à la guerre civile; M. Ledru-Rollin, auteur de ce discours, prétendit que l'appel aux armes qu'on lui reprochait n'était que conditionnel, et pour le cas seulement où l'Autriche rétablirait le pape à Rome; cette première escarmouche, soutenue seulement par l'extrême gauche, ne pouvait avoir une grande portée.

Mais M. Jules Favre, appuyé par tout le parti bonapartiste, reprend le combat avec cet acharnement qui lui est propre. Il porte à la tribune une foule de petits faits assez insignifiants. C'est un préfet qui, s'adressant aux maires de son département convoqués devant lui, leur rappelle l'importance de l'élection du président et les avertit que le peuple des campagnes a besoin d'être éclairé sur la portée de son vote. C'est un membre du conseil général du Pas-de-Calais qui dit aux maires de son canton : « Prenez garde, Paris renferme 300,000 républicains qui ne souffriront pas que le pouvoir échappe de leurs mains. » C'est un sous-préfet qui dit à ses maires qu'il faut empêcher, à tout prix, l'élection de Louis-Napoléon. C'est enfin la lettre de M. Dufaure au président du tribunal de commerce sur l'élection présidentielle, lettre dénoncée par M. Jules Favre, l'auteur des fameuses circulaires, comme un attentat à la liberté des élections. Chacune

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