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dans ses relations habituelles, parlant peu et sachant écouter beaucoup, à la grande différence de LouisPhilippe, il lui arrivait quelquefois de trahir sa pensée par des jets soudains; mais à la première résistance, il la repliait dans le secret de son âme et paraissait se rendre aux raisons de ses conseillers, alors qu'il ne faisait qu'ajourner et attendre.

Il ne me fut pas difficile de deviner tout de suite ce caractère tout à la fois entreprenant et réservé et de pressentir que si nous pouvions traverser ensemble et en bon accord des temps de crise, pendant lesquels combattre c'était gouverner, cet accord cesserait aussitôt que le danger ne ferait plus diversion à la contrariété si profonde de nos sentiments et de nos opinions. Mais aussi j'étais bien résolu à regarder ma mission comme accomplie le jour où je verrais l'Assemblée législative installée aux lieu et place de la Constituante. On verra par quelles causes j'ai dû revenir sur cette résolution.

La composition du cabinet ne fut pas moins laborieuse que le choix de son président : il est des temps où le pouvoir a peu d'attraits. Les candidats parmi les hommes considérables n'étaient pas nombreux. Il fallut avoir recours à bien des négociations, faire intervenir bien des influences, avant d'arriver à la composition de ce ministère dont on a pu contester les capacités, mais dont personne ne s'est avisé de nier la haute et parfaite honorabilité.

La pensée qui présida à la formation du cabinet fut celle-ci: L'Assemblée constituante se composait de trois grands partis dont les forces se balançaient à peu près, à savoir: le parti légitimiste, le parti républicain, le parti libéral et constitutionnel. Il parut nécessaire que ces trois partis eussent leur représentant dans le ministère. Le dernier de ces partis devait rester toutefois prédominant. Les ministères de coalition ont

leurs inconvénients quand il s'agit d'une action énergique à imprimer au gouvernement, mais lorsqu'il faut surtout résister, ils n'ont que des avantages et c'était notre cas. Le choix à faire dans le parti légitimiste n'était pas sans difficulté, il fallait que le ministre appelé à représenter ce parti eût sa pleine confiance, et cependant qu'il se reliât par quelques côtés aux idées de progrès et de liberté auxquelles un ministère de la république ne pouvait pas ne pas répondre. Ce choix fut heureux: il tomba sur un jeune député de la droite qui, après s'être fait remarquer sous le régime parlementaire par un talent distingué et élevé, avait montré un grand courage dans l'affaire des ateliers nationaux; il joignait à des convictions catholiques très-prononcées des sentiments libéraux incontestés. Je le vis à cette occasion et fus assez heureux pour le décider à accepter; M. de Falloux fut chargé du département de l'instruction publique et des cultes.

Nous primes dans le parti républicain M. Bixio, qui avait donné un gage éclatant à la république et à l'ordre dans les journées de Juin, et chez qui les opinions républicaines ne nous avaient pas paru exclure l'esprit gouvernemental. Tous les autres ministres appartenaient, quoique dans des nuances diverses, au grand parti libéral et constitutionnel. C'était M. Passy, qui, longtemps débattu avec M. Fould pour le ministère. des finances, fut définitivement préféré. J'attachais une grande importance à cette nomination, au point de vue. de l'intérêt général, parce que nos finances étaient dans un déplorable état et que c'était là qu'une main ferme, expérimentée et surtout pure était nécessaire; au point de vue de ma situation personnelle, parce que si j'avais pris mon parti de tous les dangers politiques qui m'attendaient et si j'étais d'avance préparé aux violences des uns, aux intrigues des autres, j'avais

avant tout besoin d'être pleinement rassuré sur les choses d'argent. Cette sécurité, M. Passy me la donnait complète. Je n'ai jamais pensé à tout ce qu'il a fallu en lui de vrai patriotisme et d'abnégation pour se charger d'un tel fardeau, dans un tel temps, et pour accepter, lui deux fois ministre sous Louis-Philippe, les dangers, les solidarités d'un ministère qu'un autre présidait, sans concevoir pour lui la plus haute estime et sans ressentir une vive reconnaissance.

A l'Intérieur, M. de Maleville, qui avait été secrétaire général de ce département sous la monarchie constitutionnelle, nous offrait des garanties d'expérience administrative. De plus, orateur spirituel, d'une parole facile et souvent mordante, il devait nous être d'un grand secours à la tribune: il était d'ailleurs accrédité d'avance auprès de l'Assemblée dont il était un des vice-présidents.

Aux Affaires étrangères, M. Drouyn de Lhuys nous offrait également les mérites réunis d'un orateur plein de finesse et de ressources et d'un homme déjà éprouvé dans les affaires. Il avait été ambassadeur en Espagne, directeur des affaires étrangères sous l'ancien gouvernement, et sa disgrâce sous M. Guizot l'avait en quelque sorte consacré aux yeux du parti libéral. 11 présidait dans l'Assemblée le comité des affaires diplomatiques.

Les travaux publics furent confiés à M. Léon Faucher, esprit ardent, absolu, très-honnête et très-courageux, mais cassant et plein d'une confiance en luimême qui faisait tout à la fois sa force et son danger : ses études économiques et sa haute probité le rendaient propre à ce département.

Restaient les portefeuilles de la Guerre et de la Marine, qui furent confiés l'un au général Rulhières, bon et loyal militaire, incapable de se prêter à rien de ce qui pourrait le moins du monde blesser l'honneur et

le devoir; l'autre à M. de Tracy, un de ces caractères élevés et sans reproche qui donnent un cachet d'honnêteté et de droiture à toute combinaison politique dans laquelle ils entrent; ancien colonel d'artillerie, il n'était pas recommandé par ses antécédents pour ce département, mais indépendamment de ce que l'expérience a appris que les meilleurs ministres de la marine sont ceux qui n'appartiennent pas à cette arme, M. de Tracy, par ses connaissances variées, son amour du travail et son sentiment profond du devoir, promettait un bon ministre de la marine, et cette promesse il l'a tenue.

Je me réservai le ministère de la Justice qui, bien que chargé de tous les détails de la réorganisation judiciaire, devait me laisser assez de loisirs pour les luttes de la tribune et pour surveiller la marche générale des affaires,

Le ministère se complétait par le choix des fonctionnaires qui se rattachaient le plus directement à l'action du gouvernement; nous ne voulûmes pas prendre notre préfet de police de Paris dans le monde politique ces fonctions tout à la fois si importantes et si délicates furent confiées à un homme spécial, au général Rebillot, inspecteur de la gendarmerie, déjà initié par cet emploi dans la police de Paris, et de qui nous n'avions à craindre ni les prétentions personnelles en politique, ni par conséquent des excès de zèle, ou des intrigues. Ce choix s'est trouvé pleinement justifié M.Rebillot a fait son devoir, tout son devoir, mais rien que son devoir. C'est ce que nous attendions de lui.

La préfecture de la Seine ou mairie centrale de Paris. fut confiée, après des débats assez vifs, à M. Berger, ami particulier de M. Thiers et sur les très-vives sollicitations de ce dernier. Il est vrai que les candidats vers lesquels aurait incliné le Président de la République

n'avaient d'autres titres que leur dévouement personnel à la famille Bonaparte, et après tout M. Berger, dont l'élection, en 1847, à la mairie du 2o arrondissement de Paris, avait mis en émoi toute la bourgeoisie, représentait assez bien cet élément municipal qu'il était dans mes intentions d'élever et de fortifier. Le caractère de cet homme a été bien loin de répondre à notre attente il s'est éteint assez misérablement dans les honneurs du sénat impérial, dont il était le premier à se moquer avec un grossier cynisme.

La place de procureur général fut confiée à un avocat du barreau de Paris, M. Baroche, qui avait déjà pris une place distinguée parmi les orateurs de l'Assemblée constituante; ardent et toujours prêt à la lutte, il nous parut propre à remplir cette magistrature essentiellement militante, surtout dans les temps de trouble et d'agitation: malheureusement cette ardeur n'était pas réglée par des principes arrêtés et n'était inspirée que par une impatiente ambition. Républicain très-prononcé lorsque la république seule pouvait lui ouvrir la carrière constitutionnel, libéral, avec nous, il devait devenir l'agent principal et le plus efficace du despotisme impérial, en qualité de président du Conseil d'État.

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Un poste beaucoup plus important était à pourvoir: c'était celui du commandement de l'armée qui était réunie à Paris et dont une partie bivouaquait encore sur l'esplanade des Invalides, aux portes mêmes de l'Assemblée; il n'y eut aucune hésitation entre nous sur ces deux points que l'armée serait conservée dans sa force et son unité, et que le commandement en serait confié au général Changarnier: nous savions la décision de ce caractère. En même temps nous conférions au maréchal Bugeaud le commandement en chef de l'armée des Alpes, avec permission d'établir son quartier général à Bourges. Nous sentions que le

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