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pays pour qu'on y fasse résolument la part des nécessités financières, et qu'on ne se montre pas disposé à les sacrifier au désir de capter la faveur du peuple. Cette identification n'est pas encore assez complète chez nous pour que les discussions de budget, même sous l'ancienne monarchie, ne fussent pas toujours très-longues et très-orageuses; la lutte entre le désir de la popularité et les nécessités gouvernementales s'y reproduisait toujours avec une grande vivacité. L'Assemblée constituante obéissait, en outre, à une influence qui commençait à s'y faire sentir; elle ne pouvait se dissimuler que sa fin approchait; l'élection du 10 décembre avait déjà fait sortir de ses mains et de sa dépendance le pouvoir exécutif, et le moment approchait où elle allait être forcée de remettre à d'autres le pouvoir législatif lui-même. Elle cédait donc tout naturellement au désir de se recommander ainsi par ces dégrèvements à la mémoire du peuple.

Cependant tout porte à croire que l'impôt eût été sauvé, si le ministère n'avait pas été empêché de se mêler à la discussion par ce mémorable incident des dossiers et par la crise ministérielle qui en avait été la suite.

M. Passy lutta avec talent et persévérance, mais il était seul; et il était dans la nature de son esprit, essentiellement éclectique, d'admettre trop facilement la force des raisons de ses adversaires. Cela peut être de très-bon goût en conversation, cela est presque dangereux en politique; ainsi ce n'était pas un trop bon moyen de sauver l'impôt du sel que de commencer par accorder, comme le faisait M. Passy, que cet impôt renfermait un vice radical et était frappé d'iniquité dans sa base. C'était faire une concession d'autant plus dangereuse qu'à bien y regarder tous les impôts de consommation offrent à peu près le même vice, celui de grever principalement les masses; ce en quoi

précisément ils sont, il faut bien le reconnaitre, productifs et partant nécessaires. Cette concession imprudente n'empêchait pas le ministre de donner de très-bonnes raisons pour le maintien de l'impôt au moins jusqu'au prochain budget. Il remettait sous les yeux de l'Assemblée le bilan de la République depuis la Révolution, et il prouvait que le découvert à la fin de 1849 serait de 569 millions, indépendamment des déficits qui se produiraient dans les recettes et dans les aggravations de dépenses que l'Assemblée se montrait toujours si facile à voter.

Et c'est en présence d'un pareil découvert, s'écriait-il, c'est dans un des moments les plus embarrassés pour les finances du pays, qu'on veut priver le Trésor d'une recette de plus de vingt millions; vous dites qu'on trouvera d'autres ressources: croyez-vous donc qu'il soit si facile de créer des impôts nouveaux? Citoyens, j'ai pris le fardeau lourd et pénible qui pèse sur moi; j'ai su ce que je faisais; je n'ai pas ignoré dans quels embarras je pouvais me trouver; mais j'ai espéré, j'espère encore pouvoir mener à bien cette œuvre si difficile de la restauration de nos finances. C'est à vous de m'aider: j'ai besoin de votre assistance; je résiste et résisterai à toute diminution de ressources. Si vous me retranchez vingt millions de mes ressources déjà réduites à la plus extrême limite, vous nous jetez sur le terrain des aventures.

M. Goudchaux lui-même, j'aime à lui rendre cette justice, vint très-noblement en aide à son successeur.

Le crédit de la République commence à se fonder (la rente s'était élevée, depuis le 15 décembre, de 74 fr. à 78 fr.), disait-il, aidez-le; ce que vous pouvez faire de mieux pour cela, c'est de remettre à 1850 le dégrèvement du sel.

La réduction de la taxe du sel de 30 à 10 centimes proposée par la Commission n'en fut pas moins votée par 403 voix contre 360. Mais quand on considère le

faible chiffre de cette majorité, et qu'on voit qu'un assez grand nombre de nos amis avaient contribué à la former, on ne peut que regretter de plus en plus l'impossibilité où nous avions été de nous occuper plus exclusivement de cette grave affaire.

Cette réduction avait, sans doute, son importance comme mesure financière, mais elle en avait une plus grande peut-être comme premier échec politique du nouveau gouvernement; elle fut le début de cette série de mesures égoïstes et désorganisatrices par lesquelles l'Assemblée constituante marquait si tristement le terme de ses travaux.

Ainsi, une crise ministérielle, nos crédits et nos finances compromis, le gouvernement mis en minorité dans l'Assemblée : voilà les résultats d'un accès de colère et d'orgueil dans le chef de l'État; ces choses ne devraient arriver que sous les gouvernements absolus,

J'étais enfin parvenu, non sans beaucoup de peines et d'ennuis, à remplir les vides laissés par mes collègues démissionnaires; je m'étais d'abord vainement adressé à deux ou trois de mes amis naturellement désignés, et par leur expérience des affaires et par leur talent de tribune, pour remplacer M. de Maleville; mais j'essuyai partout des refus et nous fùmes obligés, de guerre lasse, de presser M. Léon Faucher de consentir à échanger son portefeuille des travaux publics contre celui de l'intérieur; il ne s'y décida qu'avec une vive répugnance, comme s'il eût eu le pressentiment de tous les déboires qui l'attendaient. dans ce nouveau poste.

M Lacrosse, ancien parlementaire et vice-président de la Constituante, fut appelé à le remplacer aux travaux publics, et pour succéder à M. Bixio nous appeJames un jeune député, M. Buffet, qui tenait une place distinguée parmi nos nouveaux hommes politiques,

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autant par le sérieux de son talent que par l'honorabilité de son caractère. Au moyen de ce replâtrage, le ministère était reconstitué, mais au lieu de se fortifier, il se trouvait affaibli, surtout dans ses influences politiques; le parti républicain n'y était plus représenté, et au lieu d'un ministre de l'intérieur sympathique à l'Assemblée, nous en avions un dont le courage et le talent ne pouvaient certes être contestés, mais que ses manières et son ton devaient bientôt rendre profondément antipathique à tous les partis.

Je craignais que l'extrême gauche ne s'emparât de l'incident des dossiers pour attaquer violemment le président; si elle eût porté son accusation sur ce terrain, la tentative faite par le premier magistrat de la République de violer un dépôt public, et sa conduite vis-à-vis d'un ministre qui avait eu le courage de défendre ce dépôt, auraient donné matière à bien d'amères et cruelles réminiscences et sur la tentative de Strasbourg et sur celle de Boulogne. Quelle eût été notre position dans un tel débat? elle eût été des plus fausses, nous n'aurions pu ni justifier le président, ni nous joindre à ses accusateurs.

Heureusement la montagne, croyant faire de l'habi leté, prit la thèse précisément inverse; c'est le ministère et non le président qu'elle s'avisa d'attaquer.

Nous avions gardé un silence absolu sur cette affaire, et cela par un sentiment qui s'explique facilement, lorsque les journaux jacobins se donnèrent le mot pour attaquer M. de Maleville; dénonçant ce qu'ils appelaient ses susceptibilités exagérées, ils insinuaient que les pièces qu'il avait refusées au président avaient depuis disparu par son fait du ministère. Un M. Germain Sarrut, vieux conspirateur émérite, qui se vantait à la tribune d'avoir subi cent quatorze procès personnels, affirmait le fait dans une lettre signée de lui. Notre ancien collègue fut

done forcé de s'expliquer, il le fit avec une vigueur et une réserve également dignes d'éloge. Il raconta que, le jour même où l'Assemblée allait proclamer le président de la République, les scellés avaient été apposés par les soins de son prédécesseur, M. Dufaure, sur les seize cartons renfermant les dossiers des affaires de Strasbourg et de Boulogne, et que procèsverbal en avait été dressé de la manière suivante :

Par ordre du ministre de l'intérieur, il a été constaté qu'il existait à la direction de la sûreté générale, 1er bureau, seize cartons renfermant des dossiers et des pièces concernant les affaires de Strasbourg et de Boulogne, dans lesquelles a figuré M. Louis Bonaparte. Ces pièces sont (suit un inventaire détaillé). Le jour même où l'Assemblée nationale allait proclamer le président de la République, ces cartons ont été mis sous les scellés et des mesures sont prises pour qu'ils demeurent déposés en lieu sûr au ministère. De tout quoi procès-verbal a été dressé en double expédition, et signé par nous, secrétaire général au ministère de l'intérieur. Signé: HERMAN.

J'étais, ajoute M. de Maleville, gardien dépositaire de ces papiers; je ne pense pas que ce pays puisse être jamais assez malheureux pour avoir un ministre capable de trahir son devoir à ce point de laisser déplacer et disparaître des pièces qui appartiennent à l'histoire et à l'État. (Très-bien! très-bien!) Et voici maintenant ce que j'oppose aux assertions de M. Germain Sarrut : Sur mon honneur, et à la face de mon pays et de cette Assemblée, quiconque dira que le ministre de l'intérieur, M. de Maleville, a touché à ces papiers, les a vus, les a retenus, en a détourné une pièce et l'a ensuite rétablie, celui-là en a làchement menti.

M. Léon Faucher, parlant au nom du ministère, déclare qu'il accepte toute solidarité avec M. de Maleville. Des applaudissements prolongés suivirent ces explications.

La montagne aurait dû s'apercevoir, à cette explo

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