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me pressaient de me prononcer pour la conservation de l'Assemblée et me promettaient à ce prix leur entier concours ne promettaient-ils pas plus qu'ils ne pouvaient tenir? Dans la lutte de la gauche contre la droite, ou si l'on veut de la République contre la réaction monarchique, ils formaient un contre-poids nécessaire et précieux à ménager mais à eux seuls ils n'auraient pu soutenir un pouvoir qui aurait eu tout à la fois à contenir les impatiences de la droite et à combattre les violences de la gauche : la position n'eût pas été longtemps tenable, et après quelques mois passés en efforts impuissants, les deux pouvoirs se seraient trouvés affaiblis et compromis l'un par l'autre les choses en étaient arrivées à ce point que le terme de l'existence de l'Assemblée ne pouvait plus être indéfiniment reculé; dès lors, il valait mieux, pour tout le monde, le rapprocher que l'éloigner. Ce sont ces raisons qui nous déterminèrent à intervenir à nos risques et périls dans cette mêlée, et à prononcer, en face de cette Assemblée, que je croyais alors toute-puissante, le mot fatal: il faut mourir! C'est à que revenait naturellement cette triste et délicate mission.

moi

Le débat, qui devait avoir une influence si décisive sur les destinées de la France, s'ouvrit par un discours habile et mesuré d'un représentant, dont le nom est à jamais consacré dans les fastes de notre révolution, M. Desèze, qui, comme organe de la minorité de l'un des comités, vint appuyer la proposition Rateau. Il se fondait sur ce que le décret qui avait déterminé les lois organiques à voter n'était pas, comme la Constitution elle-même, im modifiable autrement que par la voie de révision, et sur ce que l'Assemblée était parfaitement libre de revenir sur ce décret, si l'intérêt public et l'opinion du pays l'exigeaient; il rappelait que ceux qui repoussaient la proposition reconnais

saient combien la situation était difficile et tendue par la coexistence de deux pouvoirs souverains, dont l'un était une Assemblée constituante jusqu'alors toutepuissante, et l'autre un pouvoir exécutif, dont les attributions constitutionnelles venaient nécessairement limiter cette toute-puissance. « Et, en effet, ajoutait-il, avec les rires approbatifs de la droite, tous les sacrifices que l'Assemblée a dû faire à la concorde ne sont-ils pas autant de preuves que cette concorde a besoin, pour durer, de continuels sacrifices. »

Après lui, M. Pierre Bonaparte, fils de Lucien, cédant à la violence de sa nature un peu sauvage, vint dénoncer à l'animadversion publique les partisans de la proposition. «<< Il est temps, s'écrie-t-il, d'imposer silence à ces rebelles en révolte ouverte!...» (Exclamations d'un côté ; oui, oui, de l'autre). Il termine en disant que si des sacriléges menaçaient l'Assemblée, <«< heureux celui qui mourrait en défendant le sanctuaire des lois et scellerait de son sang ses convictions et sa foi.» (Bravos à gauche.) Hélas! ce jour de la violation sacrilége du sanctuaire des lois est venu, non du côté où M. Pierre Bonaparte le prévoyait, mais du côté de sa propre famille, et il n'a pas versé son sang, et il n'est pas mort pour défendre l'objet de sa foi. Ajoutons toutefois que si M. Pierre Bonaparte n'a pas été martyr de sa foi, il n'a pas été du moins complice du coup d'État, et qu'il vécut, sous l'Empire, dans une retraite qui l'honore.

M. de Montalembert, après avoir témoigné de tout l'embarras qu'il éprouvait de dire aux gens: Allezvous-en, divise l'Assemblée en trois catégories: ceux qui, sûrs de revenir, consentent volontiers à s'en aller; ceux qui, certains de n'être pas réélus, ne veulent à aucun prix s'en aller; et enfin, ceux qui n'ont pas de parti pris et qui demandent à être éclairés. C'est à ces derniers qu'il s'adresse, car ils feront la majorité. Il

écarte l'argument de l'hostilité supposée entre le Président et l'Assemblée :

Car l'art des conversions, dit-il spirituellement, a fait de très-grands progrès du côté où il pouvait le moins s'y at tendre; il a vu tout à coup des témoignages de sympathie, des déférences, des adhésions laudatives pour l'élu des conservateurs. Il ne s'en afflige pas, il s'en félicite, au contraire; mais il y a, dans l'élection présidentielle, autre chose que la personne du président : il y a la manifestation d'un puissant courant d'opinion vers ce que les uns appellent la réaction, les autres un retour vers l'ordre, vers une politique modérée. Eh bien! toute la question est ici. Êtes-vous en complet accord avec ce courant d'opinion? je ne le crois pas... (rumeurs et dénégations à gauche) et plus on le soutiendra et plus le désaccord éclatera. Le pays a eu la fièvre, et, comme les malades, il se retourne dans son lit; il a déjà essayé de bien des positions : il en est arrivé à désirer une nouvelle Assemblée. A-t-il tort ou raison? je ne sais; mais ce que je sais, c'est que ce malade est maître de ses médecins et qu'il a le choix de ses remèdes. (Mouvement.) Vous avez déchaîné ce géant et vous l'avez armé du suffrage universel: il vous dit en ce moment, à demi-mot, qu'il désire un changement (ah! ah!); ne le forcez pas à le dire plus haut. (Réclamations à gauche. A l'ordre! Grand tumulte.) ... Il y a quelque chose de plus triste que les renversements violents de l'autorité : c'est quand l'autorité diminue, s'étiole, se dépopularise dans les âmes. Sauvez donc le double principe d'autorité et de liberté ; l'erreur et la faute du dernier gouvernement est de s'être trop fié à son droit légal. Que de fois ne l'ai-je pas entendu dire que le mouvement extérieur qui se produisait dans les masses était factice et factieux! Or, ce dédain de l'opinion du dehors, du courant électrique qui avait fini par envelopper toute la nation, a conduit ce gouvernement à sa chute. Ne suivez pas cet exemple, imitez plutôt le général Cavaignac : le plus beau jour de sa vie, ce n'est pas celui où l'Assemblée a déclaré qu'il avait bien mérité de la patrie, ni celui où il se défendit avec une éloquence triomphante; non, c'est celui où, après avoir géré le mandat qui lui avait été confié, il l'a déposé loyalement, noblement à cette tribune et a été

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reprendre sa place de représentant, au milieu des applaudissements, non de ses amis, mais de ses adversaires euxmêmes. Faites comme lui!... Sachez conquérir la gloire la plus rare, la plus vraiment grande, celle de savoir abdiquer à propos.

Ce discours, plein de raison et de fine ironie, excita l'approbation d'une grande partie de l'Assemblée.

M. Billault crut devoir intervertir les rôles : c'était l'Assemblée qui était en cause, il y mit le ministère. S'il y a eu du malaise dans les esprits, si le pays se prend à douter, et si les affaires s'arrêtent, il faut l'attribuer, selon lui, à l'état de l'administration qui, depuis un mois, est frappée de stérilité.

On se demande, dit-il, comment, avec six millions de voix, avec cette puissance populaire énorme, le doute et l'hésitation existent partout, et alors l'opinion aspire à un changement et se passionne pour un inconnu ; les ennemis de la République exploitent ce sentiment, et à l'aide de cette agitation factice des pétitions qu'ils colportent partout, ils tentent un 15 mai moral. (Très-bien.) Il nous eût fallu, dès le 20 novembre, un pouvoir actif au dehors; il eût fallu que, pendant le temps qui doit s'écouler entre l'élection du président et celle de l'Assemblée législative, le gouvernement se préoccupât des douleurs et des immenses souffrances du pays, et que, d'accord avec l'Assemblée nationale, il vint ici poser et résoudre d'urgence des questions qui préoccupent et troublent, à un si haut degré, notre société française..... (M. Thiers. Vous avez le droit d'initiative, pourquoi ne proposez-vous rien vous-même?) ...... Le gouvernement n'en a rien fait. Qu'a fait le ministère depuis un mois? il a retiré des projets de lois; il n'en a pas présenté un seul. Cela s'explique : le ministère s'est composé de membres qui n'avaient pas la majorité dans l'Assemblée; dès lors, il était simple qu'ils n'eussent pas dans cette majorité toute la confiance, tout le laisser-aller qui facilite toute chose dans un gouvernement libre. Cette majorité était cependant disposée à donner son concours. (Une voix: Et la loi du sel!) Si, dès le commencement de la

discussion de cette loi, au lieu de laisser le ministre des finances lutter seul, le cabinet tout entier se fût engagé, il est probable que les quelques voix qui ont constitué la majorité se seraient déplacées. Vous voulez qu'on croie à la force du gouvernement le pays ne demande pas mieux; mais, quand il voit se tenir systématiquement en dehors du ministère qu'ils ont concouru à former, des hommes importants dont le passé est considérable et dont la force serait si utile, quelle foi voulez-vous qu'il ait dans cette œuvre? il demande naturellement quelles amères pensées se cachent derrière la situation ambiguë de ces hommes.

Certes, M. Billault avait dans ce discours dépensé tout ce qu'il avait de finesse et d'esprit, et sauf ses doléances sur les horribles souffrances du peuple, réminiscence assez malheureuse de son discours sur le `droit au travail, ses traits étaient habilement lancés. Cependant, M. Billault avait le tort de trop se ressembler à lui-même, alors que tout avait changé autour de lui. Son discours était ce que nous appelions sous la monarchie constitutionnelle un discours ministre; ménageant le Président, adulant la majorité, rejetant sur l'insuffisance et l'inertie des ministres toute cette agitation maladive qui poussait le pays vers l'inconnu, et, bien entendu, s'offrant comme réunissant ces conditions d'activité, de vigoureuse initiative, de sympathie pour le peuple, d'entente cordiale avec le Président et la majorité qui devaient rendre toute chose facile et faire cesser ce malaise général. M. Billault se trompait de date: il y a des situations tellement critiques, qu'elles ne comportent guère ces tactiques ingénieuses et savamment combinées, qui, dans les temps ordinaires, amusent, intéressent les partis et donnent à un député la réputation d'homme d'esprit. En outre, il n'y avait peut-être que M. Billault, dans l'Assemblée, qui eût la pensée qu'il y avait en lui, après son discours sur le droit au travail,

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