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les conditions nécessaires pour conquérir la majorité dans l'Assemblée, et ramener le calme et la confiance dans le pays. Quant au reproche adressé à MM. Molé et Thiers de se tenir derrière le rideau, il n'était pas sans vérité, mais il cachait un piége, car, si ces messieurs, le prenant au mot, eussent accepté le pouvoir, tout le parti républicain, et M. Billault en tête, eût crié bien plus fort encore à la réaction monarchique, à la contre-révolution.

Je n'étais pas absolument appelé à la tribune par ce discours toutefois, il m'offrait l'occasion de faire entendre enfin la parole du Gouvernement sur cette redoutable question, et je la saisis. C'était bien plus qu'un discours, c'était un grand acte que j'allais accomplir. Dans le cours ordinaire des choses, ce sont les assemblées qui déclarent leur désaccord avec le pouvoir exécutif or, les rôles allaient changer et c'est le pouvoir exécutif qui, par ma voix, allait déclarer son incompatibilité avec l'Assemblée constituante et lui signifier d'avoir à se retirer et de céder sa place à d'autres. Parviendrais-je à envelopper ce congé d'assez de ménagements pour ne pas pousser l'Assemblée à une résistance désespérée, et cependant à y mettre assez de fermeté et de netteté pour ne laisser place à aucune incertitude, à aucun faux fuyant? Certes, la chose n'était pas facile, car il s'agissait de mettre le fer dans une plaie bien vive et déjà bien envenimée. Je pressentais fort bien, en outre, ce que nous préparait de difficultés et de périls la position d'une assemblée qui se survit à elle-même et qui se permet tout, parce qu'elle ne répond plus de rien aussi abordai-je la tribune avec un grand trouble; le sentiment du devoir put seul m'aider à le surmonter.

Je commençai par donner satisfaction à la dignité de l'Assemblée, en écartant toute idée de pression extérieure.

L'Assemblée, dis-je, dans la résolution qu'elle va prendre, doit conserver la plus entière spontanéité et ne se préoccuper que d'une seule chose le bien du pays, le salut de la République; et quand le gouvernement se croit obligé d'exprimer sa pensée, c'est à ces grands intérêts seuls qu'il obéit. (Très-bien ! Mouvement.)

Après ce début assez favorablement accueilli, j'adressai un mot de réfutation à l'orateur qui m'avait précédé.

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Si la question, dis-je, était aussi simple et aussi personnelle qu'elle l'est dans le discours du préopinant; s'il suffisait, comme il l'a insinué, de changer les ministres pour faire disparaître les difficultés de la situation, en vérité, le remède serait si facile et nous trouverait si disposés à l'accepter, que tout débat serait inutile. Malheureusement, la question est tout autre; les hommes changeraient, M. Billault siégerait parmi les ministres, que les dangers, pour changer de nature, n'en seraient pas moins grands. (Rires à droite. Rumeurs à gauche.) Ma pensée a une toute autre portée que celle d'une épigramme personnelle; je veux dire que, quels que soient les ministres assis sur ces bancs, quelque confiance qu'ils aient en eux et qu'ils inspirent aux autres, de quelque énergie d'initiative qu'ils soient doués; avec une assemblée qui a accompli son œuvre, dont le terme est marqué, il serait impossible à ces ministres de proposer ces projets à longue portée dont parle M. Billault. Quant à nos rapports avec la majorité, je ne nie pas les honorables efforts qui ont été faits pour établir la confiance entre elle et le nouveau gouvernement; mais, comme on l'a dit avec esprit, ces. efforts mêmes attestent assez les difficultés de la situation: comment en serait-il autrement? Voilà deux pouvoirs dont l'un était naguère et reste encore aujourd'hui tout-puissant, et dont l'autre, issu du suffrage du peuple entier, est investi par la Constitution d'attributions immenses et porte à lui seul la responsabilité du gouvernement tout entier. Comment faire fonctionner ensemble ces deux pouvoirs, sans frottement ni collision? La difficulté est grande, et la Constitution l'a elle-même prévue. Lorsqu'elle a eu à régler les rapports de l'Assem

blée constituante qu'appellerait une révision, avec le pouvoir exécutif existant, le seul remède qu'elle ait trouvé aux dangers de cette coexistence d'un pouvoir illimité de sa nature avec un autre pouvoir souverain, c'est d'abréger autant que possible une telle situation; et ce remède, c'est précisément celui que nous vous proposons. Le danger auquel le législateur a cru devoir ainsi pourvoir existe pour nous à un bien plus haut degré : vous n'êtes pas, en effet, une simple assemblée de révision éphémère, ne se rassemblant que pour un seul objet, et avertie par la Constitution ellemême de se renfermer strictement dans cet objet. Non, vous avez, réunis dans vos mains, tous les pouvoirs de la société; vous avez été tout à la fois pouvoir constituant et pouvoir exécutif, et, malgré la sagesse, le patriotisme que vous avez apportés dans l'exercice de cette dictature, il vous est impossible de ne pas vous en souvenir, et ce souvenir suffirait à rendre nos rapports difficiles. Et voyez comme la force des situations domine la volonté des hommes: votre choix, comme votre devoir, est d'accomplir votre œuvre constituante sans vous laisser détourner par d'autres soins; c'est le vœu exprès de la Constitution. Eh bien! que se passe-t-il depuis que la Constitution est faite? quels sont les débats qui ont rempli vos séances? quel jour s'est écoulé sans une nouvelle interpellation sur quelques points de l'administration ou de la politique? Vous vous êtes préoccupés bien plus de gouvernement que de constitution; quant aux lois organiques, vous n'en avez pas fait une seule! (A ces mots, un sentiment de colère, jusqu'alors comprimé, éclate dans la gauche; des cris: A l'ordre le ministre! partent de ce côté. Allez-vous-en! me crie M. Portalis avec une grossièreté indigne dans la bouche d'un magistrat, et que, dans tous les cas, le respect dû au nom qu'il porte aurait dù lui interdire. Le président le rappelle à l'ordre : sa fureur redouble et ses voisins le contiennent à grand'peine.) Voir le Moniteur.

Je laissai passer cet orage, et puisqu'on ne me tenait aucun compte de la modération de mes arguments empruntés à la Constitution elle-même, j'entrai plus avant dans le vif de la question et je m'en trouvai bien.

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Quand je parle de vos préoccupations étrangères à votre œuvre constituante, est-ce que je dis une chose qui soit nouvelle et que n'attestent pas les procès-verbaux de toutes vos séances? Il ne fallait donc pas venir nous dire à cette tribune, comme on l'a fait, que l'Assemblée ne voulait prolonger son existence qu'en défiance du pouvoir exécutif et pour le surveiller; il ne fallait pas nous faire cet aveu, qu'au fond de votre résistance il y avait la défiance que vous inspire le vote futur du pays! (Réclamations à gauche. Assentiment à droite.) Eh bien! oui, cette défiance est au fond de la question : je ne vous en accuse pas; c'est votre patriotisme qui vous égare et vous fait entrevoir le danger là où il n'est pas. (Nouvelle explosion de colère à gauche. Cris: A l'ordre! de ce côté. M. de La Rochejaquelein: Quoi! on ne peut plus parler de patriotisme égaré! Le président de l'Assemblée : Si ces interruptions continuent, je lèverai la séance. Le calme se rétablit enfin et je continue :) Je ne suis monté à cette tribune que pour accomplir un devoir; mais, si j'avais à lutter à chaque mot contre des susceptibilités que je ne comprends mème pas, mes forces n'y pourraient suffire. Si vous ne me permettez pas de dire ma pensée avec respect, mais en toute sincérité, s'il ne m'est pas donné, sans soulever des tempêtes, de vous représenter respectueusement que votre patriotisme vous égare, je prends facilement l'engagement de renoncer à la parole désormais. Je m'imposerais le silence plutôt que de trahir ma pensée. (Très-bien!) Oui, je le répète : c'est la défiance contre l'élection qui s'avance qui pèse sur votre décision; or, jamais un gouvernement n'a impunément montré de la défiance envers le pays. Rappelez-vous les résistances, les atermoiements apportés à l'élection de cette Assemblée; alors on se défiait aussi du suffrage universel, on disait que l'éducation du pays était encore à faire (Vif assentiment à droite), et vous savez ce que cela a rapporté à ceux qui manifestaient cette défiance. Rappelez-vous les débats qui se sont élevés plus tard sur l'élection du président de la République; on cherchait également à éluder, à retarder ce choix qu'on redoutait. Eh bien ! ces hésitations, ces résistances ont porté leur fruit. Ce sont des expériences qui datent d'hier est-il nécessaire d'une troisième leçon pour vous apprendre que nous sommes tous soumis à un seul juge, le peuple, et qu'on ne gagne rien à contester son

jugement? On ne réussirait, tout au plus, qu'à le passionner. Ah! je vous en conjure, ne commettez pas une telle imprudence; il y va, non de l'existence de quelques ministres, il y va, ce qui est bien autrement important, de la force morale de l'Assemblée, de cette force qu'elle doit emporter tout entière dans sa retraite, avec le souvenir des grands services qu'elle a rendus; il y va aussi de l'avenir du pays qui est si profondément engagé dans le choix de la future assemblée: il faut que ce choix se fasse dans le calme des passions; qu'il ne soit pas influencé par la lutte, ni inspiré par la colère, ce qui arrivera infailliblement s'il est contesté, dénoncé d'avance par vous comme devant être fu. neste à la République. Je voudrais que la question, dégagée de toute passion, se posàt ainsi dans toute sa simplicité : Est-il bon, est-il utile au bien du pays, que l'incertitude continue à planer sur le moment où cette Assemblée sera remplacée par l'Assemblée législative? Si cette incertitude exerce une influence fâcheuse sur l'état des esprits, sur la marche des affaires, sur la sécurité et la prospérité publiques, ce que pas un homme de bon sens ne saurait nier, alors que l'Assemblée fixe elle-même, dans sa pleine liberté et selon ses convenances, le terme de ses travaux, et par là elle s'honorera une fois de plus par un de ces grands services dont les peuples gardent la mémoire.

Le grand mot était prononcé. C'est sur ce discours que l'Assemblée procéda au vote. La proposition Rateau fut prise en considération par quatre cents voix contre trois cent quatre-vingt-seize. L'Assemblée, on le voit, était nombreuse et la majorité bien faible, mais cette majorité, toute faible qu'elle était, n'en était pas moins décisive; car s'il est difficile à une assemblée de se proroger contre un mouvement d'opinion tel que celui qui s'était prononcé au dehors, alors même que ce mouvement n'est appuyé dans son sein que par une minorité, à plus forte raison cela lui devient-il impossible lorsque la majorité de ses membres, quelque minime qu'elle soit, vient à sanctionner cette opinion qui commande la retraite.

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