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vertus du peuple français, elle fera triompher la république démocratique, et punira sans pitié tous ses ennemis.

» Ce décret et le rapport seront imprimés dans toutes les langues, envoyés aux départements et aux armées; on en distribuera six exemplaires à chaque député.

Le projet est adopté.

SÉANCE DU SEPT MAI 1794 (18 floréal an II).

Rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fêtes nationales.

Robespierre, au nom du comité de salut public. «Ci- ^ toyens, c'est dans la prospérité que les peuples, ainsi que les particuliers, doivent pour ainsi dire se recueillir pour écouter, dans le silence des passions, la voix de la sagesse. Le moment où le bruit de nos victoires retentit dans l'univers est donc celui où les législateurs de la république française doivent veiller avec une nouvelle sollicitude sur eux-mêmes et sur la patrie, et affermir les principes sur lesquels doivent reposer la stabilité et la félicité de la république. Nous venons aujourd'hui soumettre à votre méditation des vérités profondes qui importent au bonheur des hommes, et vous proposer des mesures qui en découlent naturellement.

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» Le monde moral, beaucoup plus encore que le monde physique, semble plein de contrastes et d'énigmes. La nature nous dit que l'homme est né pour la liberté, et l'expérience des siècles nous montre l'homme esclave; ses droits sont écrits dans son cœur, et son humiliation dans l'histoire le genre humain respecte Caton, et se courbe sous le joug de César : la postérité honore la vertu de Brutus, mais elle ne la permet que dans l'histoire ancienne : les siècles et la terre sont le partage du crime et de la tyrannie; la liberté et la vertu se sont à peine reposées un instant sur quelques points du globe: Sparte brille comme un éclair dans des ténèbres immenses.

» Ne dis pas cependant, ô Brutus, que la vertu est un fantôme ! Et vous, fondateurs de la république française, gardez-vous de désespérer de l'humanité, ou de douter un moment du succès de votre grande entreprise!

» Le monde a changé ; il doit changer encore. Qu'y a-t-il de commun entre ce qui est et ce qui fut? Les nations civilisées ont succédé aux sauvages errants dans les déserts; les moissons fertiles ont pris la place des forêts antiques qui couvraient le globe; un monde a paru au-delà des bornes du monde; les habitants de la terre ont ajouté les mers à leur domaine immense; l'homme a conquis la foudre, et conjuré celle du ciel. Comparez le langage imparfait des hiéroglyphes avec les miracles de l'imprimerie; rapprochez le voyage des Argonautes de celui de Lapey rouse; mesureż la distance entre les observations astronomiques des mages de l'Asie et les découvertes de Newton, ou bien entre l'ébauche tracée par la main de Dibutade et les tableaux de David.

» Tout a changé dans l'ordre physique; tout doit changer dans l'ordre moral et politique. La moitié de la révolution du monde est déjà faite; l'autre moitié doit s'accomplir.

» La raison de l'homme ressemble encore au globe qu'il habite; la moitié en est plongée dans les ténèbres quand l'autre est éclairée. Les peuples de l'Europe ont fait des progrès étonnants dans ce qu'on appelle les arts et les sciences, et ils semblent dans l'ignorance des premières notions de la morale publique; ils connaissent tout, excepté leurs droits et leurs devoirs. D'où vient ce mélange de génie et de stupidité? De ce que, pour chercher à se rendre habiles dans les arts, il ne faut que suivre ses passions, tandis que pour défendre ses droits et respecter ceux d'autrui il faut les vaincre. Il en est une autre raison; c'est que les rois qui font le destin de la terre ne craignent ni les grands géomètres, ni les grands peintres, ni les grands poëtes, et qu'ils redoutent les philosophes rigides et les défenseurs de l'humanité.

» Cependant le genre humain est dans un état violent qui ne peut être durable. La raison humaine marche depuis long-temps contre les trônes à pas lents, et par des routes détournées, mais sûres; le génie menace le despotisme alors même qu'il semble le caresser: il n'est plus guère défendu que par l'habitude et par la terreur, et surtout par 'appui que lui prête la ligue des riches et de tous les oppresseurs subalternes, qu'épouvante le caractère imposant de la révolution française.

Le peuple français semble avoir devancé de deux mille ans le reste de l'espèce humaine; on serait tenté même de le regarder au milieu d'elle comme une espèce différente : l'Europe est à genoux devant les ombres des tyrans que nous punissons.

» En Europe, un laboureur, un artisan est un animal dressé pour les plaisirs d'un noble en France, les nobles cherchent à se transformer en laboureurs et en artisans, et ne peuvent pas même obtenir cet honneur.

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» L'Europe ne conçoit pas qu'on puisse vivre sans rois, sans nobles, et nous que l'on puisse vivre avec eux.

» L'Europe prodigue son sang pour river les chaînes de l'humanité, et nous pour les briser.

» Nos sublimes voisins entretiennent gravement l'univers de la santé du roi, de ses divertissements, de ses voyages; ils veulent absolument apprendre à la postérité à quelle heure il a dîné, à quel moment il est revenu de la chasse; quelle est la terre heureuse qui à chaque instant du jour eut l'honneur d'être foulée par ses pieds augustes; quels sont les noms des esclaves privilégiés qui ont paru en sa présence au lever, au coucher du soleil.

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» Nous lui apprendrons, nous, les noms et les vertus des héros morts en combattant pour la liberté ; nous lui apprendrons dans quelle terre les derniers satellites des tyrans ont mordu la poussière ; nous lui apprendrons à quelle heure a sonné le trépas des oppresseurs du monde.

» Oui, cette terre délicieuse que nous habitons, et que la nature caresse avec prédilection, est faite pour être le

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domaine de la liberté et du bonheur; ce peuple sensible et fier est vraiment né pour la gloire et pour la vertu. O ma patrie si le destin m'avait fait naître dans une contrée étrangère et lointaine, j'aurais adressé au ciel des vœux continuels pour ta prospérité; j'aurais versé des larmes d'attendrissement au récit de tes combats et de tes vertus; mon âme attentive aurait suivi avec une inquiète ardeur tous les mouvements de ta glorieuse révolution ; j'aurais envié le sort de tes citoyens ; j'aurais envié celui de tes représentants! Je suis Français, je suis l'un de tes représentants.... O peuple sublime! reçois le sacrifice de tout mon être heureux celui qui est né au milieu de toi ! Plus heureux celui qui peut mourir pour ton bonheur !

» O vous, à qui il a confié ses intérêts et sa puissance, que ne pouvez-vous pas avec lui et pour lui! Oui, vous pouvez montrer au monde le spectacle nouveau de la démocratie affermie dans un vaste empire. Ceux qui, dans l'enfance du droit public et du sein de la servitude, ont balbutié des maximes contraires prévoyaient-ils les prodiges opérés depuis un an? Ce qui vous reste à faire est-il plus difficile que ce que vous avez fait? Quels sont les politiques qui peuvent vous servir de précepteurs ou de modèles? Ne faut-il pas que vous fassiez précisément tout le contraire de ce qui a été fait avant vous? L'art de gouverner a été jusqu'à nos jours l'art de tromper et de corrompre les hommes; il ne doit être que celui de les éclairer et de les rendre meilleurs.

» Il y a deux sortes d'égoïsme : l'un vil, cruel, qui isole l'homme de ses semblables, qui cherche un bien-être exclusif acheté par la misère d'autrui; l'autre généreux, bienfaisant, qui confond notre bonheur dans le bonheur de tous, qui attache notre gloire à celle de la patrie. Le premier fait les oppresseurs et les tyrans; le second les défenseurs de l'humanité. Saivons son impulsion salutaire; chérissons le repos repos acheté par de glorieux travaux; ne craignons point la mort qui les couronne, et nous consoliderons le bonheur de notre patrie, et même le nôtre.

» Le vice et la vertu font les destins de la terre: ce sont les deux génies opposés qui se la disputent. La source de l'un et de l'autre est dans les passions de l'homme : selon la direction qui est donnée à ses passions, l'homme s'élève jusqu'aux cieux, ou s'enfonce dans des abîmes fangeux; or, le but de toutes les institutions sociales, c'est de les diriger vers la justice, qui est à la fois le bonheur public et le bonheur privé.

» Le fondement unique de la société civile c'est la morale. Toutes les associations qui nous font la guerre reposent sur le crime : ce ne sont aux yeux de la vérité que des hordes de sauvages policés et de brigands disciplinés. A quoi se réduit donc cette science mystérieuse de la politique et de la législation? A mettre dans les lois et dans l'administration les vérités morales, reléguées dans les livres des philosophes, et à appliquer à la conduite des peuples les notions triviales de probité que chacun est forcé d'adopter pour sa conduite privée, c'est-à-dire à employer autant d'habileté à faire régner la justice que les gouvernements en ont mis jusqu'ici à être injustes impunément ou avec bienséance.

» Aussi voyez combien d'art les rois et leurs complices ont épuisé pour échapper à l'application de ces principes, et pour obscurcir toutes les notions du juste et de l'injuste! Qu'il était exquis le bon sens de ce pirate qui répondit à Alexandre: On m'appelle brigand, parceque je n'ai qu'un navire, et toi, parceque tu as une flotte, on t'appelle conquérant! Avec quelle impudeur ils font des lois contre le vol, lorsqu'ils envahissent la fortune publique! On condamne en leur nom les assassins, et ils assassinent des millions d'hommes par la guerre et par la misère ! Sous la monarchie, les vertus domestiques ne sont que des ridicules; mais les vertus publiques sont des crimes la seule vertu est d'être l'instrument docile des crimes du prince; le seul honneur est d'être aussi méchant que lui. Sous la monarchie, il est permis d'aimer sa famille, mais non sa patrie ; il est honorable de défendre ses amis, mais non les oppri

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